Après dix ans d'investigations, le Groupement d'Intérêt Scientifique sur les sols, le Gis Sol - qui regroupe notamment les ministères en charge de l'Agriculture, de l'Ecologie associés à l'Institut National de la Recherche Agronomique (Inra) - a présenté vendredi 18 novembre le premier bilan scientifiquement quantifié de l'état des sols de France métropolitaine et d'Outre-mer. De 2000 à 2009, 13.000 échantillons ont été prélevés sur 2.200 sites visant à analyser la fertilité des sols, leur contamination ainsi que les services environnementaux rendus. En tant que milieu naturel interagissant avec les autres milieux environnementaux, les sols assurent en effet ''des fonctions essentielles comme par exemple un rôle d'épuration-filtration ou de zone tampon vis-à-vis des eaux, ils participent à la lutte contre le changement climatique grâce à leur capacité à stocker du carbone, abritent un immense réservoir de biodiversité'', a rappelé l'agronome Dominique Arrouays, directeur de l'unité Infosol de l'Inra, l'un des auteur du rapport.
Bonne gestion de certaines propriétés des sols
Ce dernier a fait état d'un bilan ''nuancé'' des sols de l'Hexagone. Parmi les points ''positifs'': l'analyse réalisée sur l'ADN microbien des sols de France, tant en quantité qu'en biodiversité, montrent qu'aucun sol ne paraît stérilisé, et que, d'autre part, les micro-organismes représentent ''un potentiel considérable'' pour une gestion plus écologique des sols et de la production agricole. ''Les sols français ne sont pas morts'', a déclaré Dominique Arrouays : en atteste ''la présence de plusieurs milliards de micro-organismes'', a-t-il souligné. Selon le rapport, les sols abriteraient ''environ 10 milliards d'individus par gramme de sol dont la majeure partie, encore largement inconnue''.
Autres points ''positifs'' : il n'y a pas d'évolution notable de l'acidité des sols (pH) depuis 15 ans, ce qui indique ''une bonne gestion à l'échelle nationale'' des sols agricoles qui ne montrent pas non plus ''de baisse mesurable de leurs teneurs en potassium, malgré une diminution importante des apports minéraux externes''. L'état des réserves minérales, nécessaires à la croissance et au développement des plantes, est par ailleurs stable.
Cadmium, plomb, cuivre, pesticides organochlorés : des contaminants diffus persistants
La majorité des sols de France présente également des teneurs en éléments traces métalliques (arsenic, chrome, cobalt, cuivre, mercure, molybdène, nickel, thallium, zinc…) ''plutôt faibles'' (moins de 2 % des valeurs sont supérieures aux seuils retenus pour les épandages de boues de station d'épuration). Mais des teneurs ''préoccupantes" restent toutefois élevées pour le cadmium ou le plomb en région parisienne et dans le Nord-Pas-de-Calais. Ces contaminations "touchent principalement les zones urbaines et industrielles et montrent parfois de larges gradients affectant les secteurs situés en périphérie (…) Environ 140.000 tonnes de teneur en plomb d'origine anthropogène et non géologique ont été recensées dans le bassin parisien'', cite M. Arrouays.
La contamination en cuivre est également ''omniprésente'' dans les sols viticoles. liées notamment aux applications de bouillie bordelaise pour lutter contre le mildiou. Si ''elle ne présente a priori pas de danger pour la vigne elle-même'', cette contamination ''est susceptible de générer des transferts par érosion et elle pourrait devenir un handicap majeur en cas de changement d'usage des sols''. Certains sols de vigne présentent également de fortes teneurs en plomb, probablement pour des raisons historiques d'application de produits de traitement contenant du plomb (arséniates de plomb) et aujourd'hui interdits.
Le stock français, "considérable" de carbone (présent en particulier dans les massifs montagneux), atteint quant à lui 3,2 milliards de tonnes dans les 30 premiers centimètres, ce qui joue un rôle de "levier temporaire d'atténuation des émissions de gaz à effet de serre", mais pendant une durée qui demeure "incertaine". Les 3,2 milliards de tonnes représentent ''l'équivalent du budget annuel de l'Etat français sous nos pieds'', a chiffré M. Arrouays en évaluant la tonne de CO2 à 10 euros. Mais les "événements climatiques extrêmes auxquels on s'attend pourraient aussi précipiter le déstockage de carbone organique''.
Deux autres polluants organiques (POP) dont l'origine est historique inquiètent également les chercheurs. Il s'agit du DDT et du lindane, deux insecticides organochlorés interdits en France respectivement depuis 1972 et 1998 qui demeurent ''fortement rémanents''. Ces deux contaminants sont encore très présents dans l'ensemble des sols,'' y compris là où ils n'ont pas été épandus'' , mais à faible concentration. Ils ne présentent toutefois "qu'un très faible risque de transfert dans la chaîne alimentaire", assurent les chercheurs. La situation en France demeure ''moins alarmante qu'en Grande-Bretagne ou en Allemagne'', où de ''nombreux POP ne sont pas ou ne sont que très rarement observés'' dans les sols français, selon M. M. Arrouyais. En revanche, aux Antilles, plus de la moitié des sols des bananeraies seraient encore contaminées au pesticide chlordécone ''particulièrement persistant et préoccupant", alors qu'il est interdit depuis 1993 et considéré comme perturbateur endocrinien.
Menaces de l'artificialisation et de l'érosion
Les chercheurs relèvent aussi de faibles teneurs en phosphore (élément pourtant indispensable à la fertilité des sol) dans la majorité des territoires en France qui ''ont diminué d'un facteur 3 depuis 1970''. A l'inverse, les teneurs en phosphore sont en excédent dans le Nord- Pas-de-Calais (autour des zones minières) et la Bretagne, région d'élevage où l'augmentation ''continue'' des teneurs est "très préoccupante en raison de son impact sur la qualité des eaux et sur l'eutrophisation des milieux". ''Une meilleure valorisation des effluents d'élevage'' pourrait équilibrer ces situations. Le rapport s'inquiète également de l'accélération de la progression de l'artificialisation durant la dernière décennie au détriment des terres agricoles. Entre 2003 et 2009, l'artificialisation des sols a affecté l'équivalent d'un département moyen comme le Loiret, soit 6.100 km2 perdus en 7 ans, contre la même surface en dix ans entre 1992 et 2003…Le phénomène a touché en 2010 8,9% des sols français. ''La première menace est l'artificialisation le plus souvent irréversible'', estime M. Arrouays.
L'érosion est l'autre facteur ''majeur'' inquiétant de dégradation des sols. En moyenne, 17 % du territoire national seraient touchés d'érosion liée notamment à une mauvaise gestion agricole, à l'urbanisation et au changement climatique. L'érosion affecte principalement les sols agricoles limoneux des grands Bassins parisien et aquitain, ainsi que certaines situations de piémont et certains secteurs méditerranéens. Elle est susceptible de ''remettre en cause la durabilité à long terme de certains agro-écosystèmes" et pourrait se trouver amplifiée sous l'effet du réchauffement climatique. ''La gestion des sols périurbains est un enjeu important".