A l'instar du climat, le combat pour la préservation de la biodiversité passe par une mobilisation générale à tous les échelons. On sait que Nicolas Hulot cherche à porter cet enjeu au niveau international, via la diplomatie française, et à instiller cette prise en compte dans chaque département ministériel. D'où la réunion prochaine d'un comité interministériel sur cette question. Mais l'action relève aussi du niveau local. La Région Nouvelle-Aquitaine l'a bien compris et en fait une priorité politique.
"La Région n'a pas de pouvoir réglementaire ou fiscal, l'action ne peut se faire que par la démonstration, d'où la mobilisation des scientifiques", explique son président Alain Rousset. La collectivité a donc pris la décision en janvier 2017 de mettre en place un "Giec de la biodiversité", sorte de déclinaison régionale de l'IPBES. Baptisé "Ecobiose", cette initiative vise à "évaluer les conséquences de l'érosion du vivant sur tous les domaines de la société humaine, aussi bien la santé, l'agriculture, l'industrie...".
Ce comité scientifique interdisciplinaire, qui fait appel à une centaine de chercheurs, a remis ce lundi les premiers résultats de ses travaux, qui portent sur la biodiversité en territoires de plaine et de grandes cultures. La totalité du rapport, qui va couvrir six socio-écosystèmes, est attendu pour avril 2019. Il doit permettre d'analyser les différents secteurs dont l'activité repose sur l'exploitation des ressources naturelles ou qui en tirent bénéfice : agriculture, sylviculture, chasse, tourisme, gestion des espaces naturels, etc.
La pollinisation augmente les revenus de 200 €/ha
Parmi les conclusions de ce premier volet, deux apportent des enseignements sur la question de la pollinisation et sur celle de la biodiversité des sols. Le rapport conclut en effet que la pollinisation par les insectes augmente les rendements des cultures de colza et tournesol de 30 à 40%, et les revenus des agriculteurs de 200 à 300 euros par hectare. "Mais, hors des périodes de floraison de ces cultures, les abeilles s'alimentent sur les adventices, essentiellement les coquelicots", explique Sabrina Gaba, directrice de recherche à l'Inra. D'où l'intérêt de préserver des parcelles abritant des espèces favorables aux pollinisateurs autres que les cultures d'oléo-protéagineux.
Quant à la biodiversité des sols, elle agit directement et indirectement sur la production de biomasse, et par conséquent sur les rendements, sur la rétention de l'eau dans les sols et sur l'épuration de ces derniers, concluent les scientifiques. "L'activité des vers de terre permet une hausse des rendements de 25% par une mobilisation de l'azote", explique ainsi Vincent Bretagnolle, coordonnateur scientifique d'Ecobiose.
"La biodiversité n'est pas une contrainte mais un atout", conclut le directeur de recherche au CNRS. Elle peut être envisagée comme une alternative à l'utilisation de l'azote inorganique mais aussi à celle des phytos, en exerçant "un contrôle des ravageurs des cultures par leurs ennemis naturels (insectes, araignées, oiseaux, chiroptères, etc.)", conclut l'étude. "Pour une large part, ce rôle positif de la biodiversité dépend de la présence d'habitats semi-naturels (bosquets, haies, friches) et d'une flore spontanée diversifiée car elle est à la base de l'ensemble des réseaux trophiques", soulignent les chercheurs. D'où l'intérêt de maintenir des prairies fourragères et de préserver un "sol vivant".
Le mode de production agricole conduit à sa perte
Pourtant, les indicateurs de la biodiversité sont au rouge vif. "Oiseaux, insectes et reptiles sont ainsi en déclin prononcé depuis 25 ans (de 35% à 90% selon les taxons)", rapporte l'étude. Vincent Bretagnolle met en cause la baisse du nombre d'exploitations agricoles qui a conduit à une augmentation des surfaces des parcelles exploitées et à une uniformisation du paysage. Le chercheur pointe également la baisse de l'activité d'élevage traditionnel. "Les vaches ne mangent plus d'herbe mais du soja", résume le chercheur. A l'uniformisation des paysages s'ajoute le recours massif aux produits phytosanitaires, l'autre volet de l'intensification agricole.
Ce qui ressort de cette étude, c'est que le mode d'agriculture actuel conduit à sa propre perte. L'intensification agricole remet en effet en cause "les conditions nécessaires au maintien de l'ensemble des services rendus par la Biodiversité", en particulier la production agricole elle-même. "Le défi de l'agriculture de demain est donc (…) d'intégrer la conservation et la gestion de la biodiversité dans les schémas d'aménagement du territoire et de politique agricole", conclut le rapport.
L'accompagnement plutôt que la contrainte
L'idée des élus régionaux est de s'appuyer sur ces données scientifiques, qu'ils veulent incontestables, pour sensibiliser les acteurs socio-économiques. "Nous allons mener un travail pédagogique, accompagnés par les scientifiques s'ils le veulent bien, auprès des différents corps socio-économiques", explique Alain Rousset. Car si la Région n'a pas de pouvoir réglementaire ou fiscal, elle a des moyens financiers et peut introduire une conditionnalité dans ses aides et politiques publiques.
Compte tenu de l'objet de cette première production d'Ecobiose, c'est vers la filière agricole que va se tourner dans un premier temps la Région, qui a déjà lancé un plan pour l'agriculture bio et un plan de réduction de l'utilisation des pesticides. "Nous allons avoir des discussions avec le monde coopératif", indique Alain Rousset, qui précise également vouloir travailler avec les Safer sur la question du partage des terres.
En tout état de cause, c'est l'accompagnement plutôt que la contrainte qui va être retenu pour mobiliser les acteurs. A l'image de la convention signée en juillet 2016 par la Région avec la Chambre d'agriculture de Gironde et le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB) en vue d'organiser une sortie des pesticides.