C'est un bouquet de stratégies que la secrétaire d'État à la Biodiversité, Bérangère Abba, a dévoilé, mardi 15 mars : le premier volet de la troisième Stratégie nationale pour la biodiversité (SNB3), un nouveau plan en faveur des zones humides, ainsi qu'un Plan national d'action contre les espèces exotiques envahissantes. Cette multiplication des stratégies permettra-t-elle d'enrayer l'érosion continue de la biodiversité ? Les associations de protection de la nature en doutent, faute notamment d'indicateurs et de moyens suffisants.
« Aujourd'hui, le déclin continu de la biodiversité a révélé les limites des politiques et des stratégies mises en place jusqu'alors », peut-on lire dans la nouvelle stratégie. Que prévoit concrètement cette dernière pour changer les choses ? Elle liste 72 mesures autour de cinq axes : la protection des écosystèmes, l'utilisation durable et équitable des ressources naturelles, la sensibilisation et la formation de la société, auxquels s'ajoutent deux axes plus méthodologiques portant sur la gouvernance et la question des financements.
Désamorcer les critiques
Souhaitant désamorcer les critiques, Mme Abba a pris soin de préciser devant la presse que la stratégie serait amendée à l'issue de la 15e Conférence des parties à la Convention internationale sur la diversité biologique (COP15), qui devrait se poursuivre, en août prochain, après de multiples reports dus à la crise sanitaire. Le projet de stratégie a en effet reçu des avis défavorables de plusieurs instances consultatives, dont le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) et le Conseil national de la transition écologique (CNTE).
« Dans de nombreux cas, la SNB3 se contente de lister l'existant et de l'organiser sous forme d'objectifs et de mesures, sans apporter de réelles nouveautés, critique le CNPN dans un avis en date du 22 février 2022. Elle traite de manière insuffisante les principales pressions, éludant presque totalement l'artificialisation des sols, l'intensification agricole et forestière, la pêche industrielle et l'activité cynégétique. » Quant au CNTE, par un avis du 2 mars 2022, il a jugé le projet de SNB « insuffisamment ambitieux au regard du déclin de la biodiversité, présentant peu de réponses opérationnelles et un calendrier imprécis, et a regreté qu'aucune hiérarchisation ne permette d'identifier les priorités, notamment au regard de l'efficience des actions ».
Selon la représentante du gouvernement, ces critiques étaient essentiellement liées aux délais trop courts pour travailler sur les indicateurs, les financements et la gouvernance. Des insuffisances auxquelles pourront remédier les amendements post-COP 15, estime-t-elle.
Mesures non datées et non chiffrées
Mais ces reproches sont également formulés par les associations de protection de l'environnement. « Nous sommes d'accord sur les cinq axes, mais les mesures sont non datées et non chiffrées. On refuserait cela dans une stratégie RSE d'une entreprise », a ainsi pointé Sandrine Bélier, directrice d'Humanité et biodiversité, à l'occasion de la présentation des résultats d'un sondage, le 2 mars, sur les attentes des Français en matière de protection de l'environnement. « Nous devons poursuivre la réflexion sur les suivis et les indicateurs, et les instances nationales se sont engagées à poursuivre ce travail », veut rassurer Bérangère Abba.
La secrétaire d'État annonce toutefois le lancement d'une mission confiée à de hauts fonctionnaires sur les besoins de financement des politiques de biodiversité. Une mission dont les conclusions pourraient également donner lieu à des amendements de la stratégie. « L'engagement d'inscrire les financements dans une trajectoire pluriannuelle constitue déjà une avancée », fait valoir Mme Abba.
Mais, pour l'heure, celle-ci ne peut mettre en avant que le fond d'amorçage de 5 millions d'euros, voté dans la loi de finances pour 2022, auquel s'ajoutent quelques financements complémentaires. Ceux-ci doivent permettre de réaliser 500 opérations « coups de poing » d'ici à 2025 pour lutter contre les espèces exotiques envahissantes, suivre le projet de création d'un douzième parc national consacré aux zones humides, résorber les premières décharges littorales en 2022, traiter deux points noirs des continuités écologiques en Isère et en Côte-d'Or, publier des plans nationaux d'action pour une dizaine d'espèces dans les jours qui viennent, déployer 1 000 aires éducatives, à horizon 2025, ou encore créer, cette année, 1 000 services civiques consacrés à la nature.
Mais Mme Abba reconnaît qu'il faut aller plus loin sur la fiscalité affectée, à travers le principe « pollueur-payeur », mais aussi « usager-payeur », « là où les atteintes sont avérées ». Les travaux sur les financements et les subventions dommageables doivent aussi être menés, en lien avec les réflexions européennes et internationales, ajoute la vice-présidente de l'Assemblée des Nations unies pour l'environnement.
Quant à l'agriculture, « nous avons un gros travail à mener avec les agriculteurs sur les sols, les pratiques agroenvironnementales, les intrants, la gestion de la ressource en eau », admet Bérangère Abba. Celle-ci précise sa volonté de « ne pas détourner le regard » de ces questions ni de céder à une fuite en avant dont la guerre en Ukraine serait le prétexte.
Gouvernance à revoir
En matière de gouvernance, les critiques portent à la fois sur l'élaboration de la stratégie et sur sa gestion. « La Stratégie nationale biodiversité est le fruit d'une vision collective et de dix-huit mois de concertation et de consultations avec les acteurs des territoires de métropole et d'outre-mer, les élus, les experts, les scientifiques, les usagers et associations, les instances représentatives, les services publics et les opérateurs. Une consultation du public a également été menée pour nourrir le texte, conduisant à plus de 4 000 contributions au total », fait valoir le ministère de la Transition écologique. « Une démocratie directe non aboutie et le court-circuit des corps intermédiaires », cingle, de son côté, Yves Vérilhac.
Pour ce qui est du suivi de la stratégie, « nous avons l'engagement du Premier ministre d'assurer ce pilotage au niveau interministériel », se félicite Bérangère Abba. La représentante du gouvernement annonce, par ailleurs, que chaque département ministériel devra présenter sa propre feuille de route en matière de biodiversité, comme ils le font déjà sur le climat.
Mais des critiques émanent également quant à la mauvaise implication des collectivités territoriales. « Il y a un défaut d'appropriation de la stratégie par les acteurs et les territoires », regrette Rémi Luglia, président de la Société nationale de protection de la nature (SNPN) qui craint, pour cette raison, que la stratégie ne serve à rien. Pour remédier à cela, la secrétaire d'État annonce une conférence annuelle État-Régions, afin d'aligner les objectifs, une initiative du même ordre élargie à toutes les collectivités, ainsi qu'une conférence des outre-mer tous les ans.
Reste à savoir si la méthode est la bonne alors que les précédentes stratégies ont échoué. « Préserver la biodiversité, c'est changer radicalement de mode de société (production et consommation, constructions comprises). Tout le reste est voué à l'échec. Il y aura constamment des impacts, quelles que soient les mesures prises, même à les supposer bien conçues, réalisées, suivies et respectées », estime Gabriel Ullmann, ancien membre de l'Autorité environnementale.