"L'organisation des politiques de compensation des atteintes à la biodiversité joue sur leur façon d'atteindre leurs objectifs", a pointé Anne-Charlotte Vaissière, chargée de recherche au laboratoire Ecologie systématique et évolution, lors d'un colloque sur la séquence Eviter-Réduire-Compenser (ERC).
La première forme d'organisation historique de la compensation s'est limitée à l'approche "hiérarchique" par projet d'aménagement. Les acteurs essayaient tout d'abord d'éviter les impacts, puis de les réduire et enfin de les compenser. Selon la scientifique, cette approche a encore du mal à être mise en œuvre. Parmi les difficultés : la prise en compte de la complexité de la biodiversité ainsi que le peu de suivi ou contrôle des projets.
Progressivement, l'organisation de la politique de compensation s'est ouverte à de nouvelles possibilités à travers les lois Grenelle, la doctrine sur la séquence ERC et enfin la loi biodiversité. En particulier, cette dernière donne accès à une anticipation et une mutualisation de la compensation entre acteurs et sur un territoire. Elle propose ainsi de confier la réalisation des mesures de compensation à un opérateur dédié ou acquérir des unités dans le cadre d'un site naturel de compensation agréé par l'Etat. La séquence doit désormais répondre à un objectif de non-perte nette de biodiversité.
La séquence ERC peu mise en œuvre au niveau de la planification
Pour certain, l'élargissement de la vision de la séquence ERC de l'échelle du projet à celui d'un territoire ouvre de nouvelles perspectives notamment pour permettre des projets cohérents d'un point de vue biologique. "Il faut définir quelle modalité de séquence est à développer à l'échelle d'un territoire pour que les actions soient pertinentes les unes par rapport aux autres", a assuré Brian Padilla, ingénieur écologue pour l'unité mixte de service patrimoine naturel UMS PatriNat.
Toutefois, les exemples restent encore rares. "La séquence ERC est de plus en plus intégrée dans les projets d'aménagement, mais au niveau de la planification pratiquement pas", a noté Charlotte Bigard, doctorante au Centre d'écologie fonctionnelle et évolutive. "Théoriquement, le projet est encadré par le document d'urbanisme. Cependant, en pratique ce n'est pas ce que l'on observe. En effet, la tendance est plutôt inverse : réviser les documents de planification pour permettre l'élaboration de projets". Cette approche par la planification ouvre de nombreuses questions : quels sont les outils existants, l'échelle territoriale adaptée, la méthode, etc. ?
Pour trouver des pistes de réponses, la scientifique s'est penchée sur les solutions misent en place par les territoires face à la séquence ERC. Elle a mené une enquête auprès de huit métropoles, six agglomérations, une communauté urbaine et une collectivité territoriale. "Ce problème est récent pour eux. Leurs réflexions et actions sont en cours, en pleine évolution et sont plus ou moins avancées", constate Charlotte Bigard. Le plus fréquemment, la réflexion se concentre sur la compensation. Pour la mettre en œuvre, une première stratégie est de réorienter des outils existants familiers. Le plus utilisé des outils serait la trame verte et bleue (TVB). En complément, pour identifier des futures zones de compensation, peuvent également être mobilisées les zones naturelles d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF), les shémas directeurs d'aménagement et gestion de l'eau (sdage) ou schémas d'aménagement et gestion de l'eau (sage) ou encore les aires d'alimentation de captage.
Sur les 16 territoires interrogés, deux ont indiqué articuler leur réflexion autour de l'évitement à travers la TVB. "L'un travaille en détail sur les fronts d'urbanisation à travers les corridors et les réservoirs pour stopper l'artificialisation au niveau des secteurs à enjeux, l'autre travaille sur la hiérarchisation des enjeux par sous-trame écologique avec notamment un zonage dans le plan local d'urbanisme intercommunaux (PLUi) spécifique. Afin d'éviter au maximum les futurs impacts sur les espaces les plus sensibles", explique dans sa thèse Charlotte Bigard.
Les observatoires de la biodiversité, un outil "puissant"
Pour disposer d'une vision plus fine de la biodiversité, certains ont recours à des observatoires de la biodiversité. "Cet outil paraît très puissant car à travers l'exploitation de données aujourd'hui inutilisées, il donne une opportunité d'avoir des connaissances sur l'intégralité du territoire", estime la scientifique. Parmi les autres outils utilisés : des contrats avec des agriculteurs, des plans d'action ou plus rarement des outils issus de la gestion du foncier comme la déclaration d'utilité publique (DUP) ou la fiducie. Sont également mobilisés le schéma de cohérence territoriale (Scot) et le PLUi.
Une seconde stratégie pour mettre en œuvre la séquence ERC passe par des remaniements organisationnels internes. Cela peut se traduire par une nouvelle mission "ERC", la création d'un nouveau poste en interne ou externe mais également du fait du croisement nécessaire des compétences, une collaboration inter-services.
Enfin un troisième type d'approche repose sur de nouvelles collaborations avec des acteurs extérieurs. Différents alliés ont été identifiés par les territoires interrogés : les bureaux d'études, le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), le conservatoire des espaces naturels et parfois les associations de protection de la nature. Certains se tournent également vers les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) et les chambres d'agriculture.
"D'autres acteurs sont aussi mobilisables comme les agriculteurs ou d'autres opérateurs de compensation plus spécialisés – par exemple la CDC Biodiversité -, note Charlotte Bigard. Cependant, les EPCI n'ayant pas encore de positionnement politique assez mûr sur l'anticipation de la séquence ERC à l'échelle territoriale et stratégique, la compensation par l'offre reste au stade de réflexion".
L'obstacle du financement
Un des obstacles pour un passage à une échelle plus vaste est l'aspect financier, selon la scientifique. "A l'échelle des projets, le financement des actions liées à la séquence ERC peut être intégré au bilan économique du projet car celui-ci résulte en un retour sur investissement - une fois la ZAC viabilisée, les lots sont vendus à des entreprises -, alors qu'à une échelle territoriale, il n'y a pas de moyen de financement pour la prise en compte de la biodiversité dans l'aménagement du territoire", explique-t-elle. Des partenaires financiers sont donc indispensables". Parmi les soutiens figurent par exemple des appels à projets du ministère, des régions ou du département dans le cadre de la TVB ou de l'agence de l'eau pour les zones humides.
Pour améliorer la protection de la biodiversité dans le cadre de l'aménagement, certains acteurs revendiquent une évolution de la traditionnelle séquence ERC avec l'ajout en amont d'une étape pour acquérir de la connaissance et en aval d'un accompagnement.