Un fiasco. C'est la conclusion, formulée de manière plus diplomatique, à laquelle parvient la Cour des comptes européenne après avoir audité la contribution de la politique agricole commune (PAC) au maintien et à l'amélioration de la biodiversité. L'agriculture intensive reste par conséquent l'une des principales causes de déclin de la biodiversité. En février dernier, la juridiction financière communautaire avait déjà pointé les graves insuffisances de la politique agricole en matière de réduction des pesticides.
La population d'oiseaux des champs en baisse de 34 %
« Les données disponibles relatives à la biodiversité des terres agricoles dans l'UE indiquent un déclin incontestable au cours des dernières décennies », conclut la Cour. Les populations d'oiseaux des champs ont diminué de 34 % depuis 1990, alors que celle des oiseaux de forêt augmentait de 0,1 %, ce qui suggère que l'agriculture est un facteur important de perte de biodiversité. Les papillons de prairies constituent un autre bon indicateur de l'état de la biodiversité. Or, leur population a baissé de 39 % depuis 1990, même si la Commission a constaté une certaine stabilisation depuis 2013.
Autre indice : l'état de la biodiversité est bien supérieur dans des pays comme la Bulgarie ou la Roumanie, qui ont conservé des pratiques agricoles plus traditionnelles, qu'aux Pays-Bas ou en Allemagne, chantres de l'agriculture intensive. La forte diminution des populations d'insectes constatée dans cette dernière serait directement liée à la suppression, en 2009, de l'obligation de mise en jachère.
Incapacité à enrayer la diminution de la diversité génétique
Les auditeurs de la Cour des comptes, qui se sont rendus en Allemagne, en Irlande, à Chypre, en Pologne et en Roumanie, ont relevé de graves lacunes dans la stratégie de l'Union européenne en faveur de la biodiversité, adoptée en 2011, ainsi que dans la coordination de cette stratégie avec la PAC. « Aucun objectif mesurable n'avait été fixé en ce qui concerne l'agriculture dans [cette] stratégie », pointe la Cour. Ce qui empêche d'évaluer la performance des actions financées par l'UE. La mauvaise coordination des politiques s'est notamment traduite par « une incapacité à enrayer la diminution de la diversité génétique ». Selon un rapport de la Commission de 2016, près de 50 % de l'ensemble des races de bétail européennes sont proches de l'extinction, menacées ou en danger critique d'extinction. La cause ? L'intensification agricole axée sur les races à haut rendement, accompagnée par la forte baisse du pâturage.

Autre grief formulé par la juridiction financière ? La majeure partie des fonds de la PAC a un impact positif limité sur la biodiversité. Et encore, quand cet impact peut être mesuré, car le suivi par la Commission des dépenses affectées à la biodiversité n'est pas fiable, cette dernière surestimant la contribution de certaines mesures à sa préservation. La plupart des paiements directs, qui représentent environ 70 % des dépenses agricoles de l'UE, ne contribuent pas à cette préservation. Dix pour cent d'entre eux peuvent même avoir un impact négatif. Les exigences associées au paiement direct qui contribuent à la préservation, notamment le « verdissement » et la « conditionnalité », ont été délaissées au profit d'options à faible impact telles que les cultures dérobées ou celles fixant l'azote. En outre, le régime des sanctions lié à la conditionnalité n'a pas eu d'incidence manifeste sur la biodiversité des terres agricoles, pointent les auditeurs européens.
Quant aux instruments de développement rural, deuxième type de mesures de soutien de la PAC, ils se révèlent mieux adaptés en matière de biodiversité. Ce sont les mesures agro-environnementales et climatiques (Maec), celles en faveur de l'agriculture biologique, et les mesures Natura 2000, qui apparaissent les plus efficientes. Mais les États membres ne recourent que rarement à des démarches à fort impact. Parmi celles-ci figurent les mesures dites « vert foncé », qui prennent en compte la spécificité de chaque site et qui exigent des agriculteurs qu'ils fournissent davantage d'efforts, ou les mesures fondées sur les résultats. Ainsi, en Irlande, dans le cadre du programme Burren portant sur la conservation du paysage agricole dans des zones spécifiques, plus la note obtenue est élevée, plus le paiement l'est aussi. « La performance globale en matière de biodiversité des surfaces/parcelles couvertes par le régime s'est progressivement améliorée chaque année depuis le lancement de celui-ci », rapportent les auditeurs.
Définir des actions concrètes et mesurables
Quant à la nouvelle politique agricole commune, elle est en cours de révision et doit couvrir la période 2021-2027. Les auteurs de l'audit recommandent de renforcer ses soutiens, paiements directs et contributions au développement rural, à la biodiversité des terres agricoles, et d'élaborer des indicateurs fiables.
« Jusqu'ici la PAC n'a pas suffi à contrer le déclin de la biodiversité des terres agricoles, lequel représente une grave menace pour l'agriculture et l'environnement », relève laconiquement Viorel Ștefan, responsable du rapport. « La stratégie en faveur de la biodiversité à l'horizon 2030 et la proposition pour la PAC après 2020 doivent permettre à cette dernière d'être plus réactive face à des défis tels que la perte de biodiversité, le changement climatique ou le renouvellement des générations, tout en continuant à aider les agriculteurs européens dans l'optique d'un secteur agricole durable et compétitif », ajoute le représentant de la Cour des comptes européenne.
La balle est maintenant dans le camps des États membres, car, si le rapport vise la Commission, celle-ci ne peut rien faire sans la volonté politique de chacun des pays composant l'Union.