
Agro-économiste à l'Inra
Actu-Environnement : Vous avez participé à un projet de recherche sur la création d'une filière de canne à fibre dédiée à la production d'électricité en Guadeloupe. Dans quel cadre s'inscrit ce projet ?
Jean-Marc Blazy : Ce projet a été initié par le Cirad, l'Inra et un industriel, et soutenu fortement par la Région dans le cadre de sa politique de transition énergétique. La Guadeloupe s'est fixé l'objectif d'avoir un mix électrique issu à 100% d'énergies renouvelables à l'horizon 2030. Elle y parviendra grâce au solaire et à l'éolien, mais aussi en développant la géothermie et la biomasse. Aujourd'hui, la biomasse est très peu sollicitée dans ce territoire. Sont surtout utilisés les coproduits d'industries alimentaires, telles que les sucreries et les distilleries. L'objectif est de développer une filière de culture énergétique pour la substituer au charbon et au fioul lourd, dont dépend en grande partie la production d'électricité de l'île.
AE : Pourquoi la canne à fibre ?
JMB : Cette canne est une variété quasiment sauvage, peu riche en sucre mais très riche en fibres. C'est surtout la plante la plus productive au monde en terme de biomasse. En Guadeloupe, il s'agira de faire de la combustion directe pour vaporiser de l'eau et faire tourner des turbines pour produire de l'électricité. Sur le plan technologique, c'est un concept assez simple et maîtrisé. Mais il n'a jamais été utilisé avec la canne à fibre, c'est une première.
AE : Créer toute une filière suppose d'utiliser des terres agricoles. N'y a-t-il pas un risque de conflit avec d'autres usages, notamment alimentaires ?
JMB : Notre projet portait sur la faisabilité de la mise en place d'une centrale de 12 MW, qui permettrait de couvrir les besoins en électricité de 4% de la population. Pour cela, il faudrait cultiver 1.200 à 1.500 hectares, soit 4% de la surface agricole actuelle du territoire. Les conflits d'usage ont été un point de vigilance de notre projet. La création d'une centrale de cette taille permet de ne pas déstabiliser les autres filières. Certes, la canne à fibre pourrait entrer en concurrence avec la culture de canne à sucre, qui couvre la moitié des terres agricoles de la Guadeloupe. Mais avec la fin des quotas sucriers, cette production est en perte de compétitivité sur le marché mondial. Créer une filière de canne à fibre permettrait d'accroître l'autonomie énergétique sans menacer l'autonomie alimentaire. De plus, elle générerait des revenus complémentaires aux agriculteurs, qui sont très intéressés par son développement. Finalement, la canne à fibre apporte des solutions à plusieurs problèmes.
AE : L'approche environnementale a été majeure dans ce projet…
JMB : L'objectif était de répondre à un besoin d'autonomie énergétique, tout en abaissant les émissions de CO2. D'après l'analyse de cycle de vie que nous avons réalisée, la production d'électricité à partir de canne à fibre permet de réduire de 80% les émissions par rapport à une production à partir de fioul ou de charbon. Mais la culture de canne à fibre permettrait aussi de valoriser des terres contaminées au chlordécone, sur lesquelles la plupart des cultures alimentaires sont proscrites. Y faire des culture à vocation énergétique permettrait d'utiliser ces terres sans risques. Ces surfaces pourraient également être une opportunité de recycler une importante quantité de déchets organiques (boues de station d'épuration, effluents d'élevage, déchets verts, etc.) sous la forme de compost dans le but d'amender en matière organique les sols. En effet, près de 900.000 tonnes de déchets ne sont pas valorisées aujourd'hui alors que quelques 200.000 tonnes seraient facilement mobilisables, ce qui représenterait une production potentielle de 80.000 tonnes de compost pour amender les cultures.
AE : Où en est le projet aujourd'hui ?
JMB : Nous avons présenté les résultats aux décideurs et l'industriel a décidé de lancer le projet d'une centrale biomasse à partir de canne à fibre pour un horizon 2020. Ce projet a été retenu dans le cadre de la programmation énergétique pluriannuelle de la Guadeloupe. C'est un concept qui peut également être exporté dans d'autres territoires ultramarins, qui présentent les mêmes problématiques que la Guadeloupe. L'île de la Réunion s'est dite intéressée par un projet similaire.