Ce lundi 11 juin, la FNSEA et les Jeunes agriculteurs (JA) sont venus durcir leur opposition à Total de vouloir importer de l'huile de palme pour alimenter sa bioraffinerie de La Mède (Bouches-du-Rhône). Les agriculteurs ont bloqué l'accès à ce site, y compris quatre autres raffineries de Total. Cette bioraffinerie, qui démarrera cet été, recevra, jusqu'à 300.000 tonnes d'huile de palme brute par an pour produire des biocarburants, selon le feu vert donné par le gouvernement le 16 mai dernier. Les agriculteurs dénoncent cet approvisionnement "à bas coût", accusé de causer la déforestation en Asie du Sud-Est et de concurrencer les producteurs français de colza pour produire du biodiesel. La production nationale de tourteaux de colza, coproduits de la production de biodiesel servant à l'alimentation animale, en serait immédiatement impactée, entraînant l'importation de soja. "Cette décision prive les agriculteurs français d'un débouché durable, ayant permis durant plusieurs décennies de bâtir une filière des huiles et protéines végétales performante", indiquaient-ils. Les agriculteurs fustigent les "incohérences" du gouvernement et l'appellent à interdire tout produit importé ne correspondant pas aux standards de production français.
"Renoncement" de Nicolas Hulot
Ces arguments ne convainquent toujours pas la classe politique. "Nous vivons ce feu vert accordé à Total comme un renoncement vis-à-vis de nos impératifs écologiques, et une contradiction avec un modèle agricole duquel est exigé proximité, qualité et durabilité", ont critiqué, le 7 juin, une soixantaine de sénateurs Les Républicains, dans une lettre ouverte à Nicolas Hulot. "L'huile de palme est avec le soja la principale source de déforestation dans le monde, ont-ils ajouté en remettant en cause la certification "durable" délivrée par des organismes tiers. L'huile de palme extraite échappe en réalité bien souvent à la rigueur des normes applicables en Europe". Les sénateurs ont appelé le ministre à "se ressaisir". Ils soutiennent les producteurs de la filière qui sont "en capacité de produire dès maintenant 200.000 tonnes d'huile de colza pour approvisionner la Mède…".
La bioraffinerie est autorisée par arrêté préfectoral à utiliser jusqu'à 450.000 tonnes d'huiles végétales brutes (palme, colza, soja …) par an dans le cadre de son approvisionnement. Or, l'auto-limitation à 300.000 tonnes d'huile de palme brute annoncée par Total est absente de l'autorisation officielle. Ce que dénonce Mathilde Panot, députée de la France Insoumise (Val-de-Marne) : "Aucun accord contraignant juridiquement n'a été conclu avec Total relativement à l'importation d'huile de palme : le texte de l'arrêté préfectoral qui donne l'autorisation d'exploitation de la bioraffinerie est totalement muet sur le sujet", a-t-elle pointé le 5 juin, dans sa question écrite adressée à Nicolas Hulot. L'ONG les Amis de la Terre fustige également l'autorisation qui permettrait à Total "d'en importer le double et sans aucune garantie sérieuse pour en limiter l'impact environnemental". Les Amis de la Terre ont annoncé qu'ils déposeraient un recours contre l'arrêté préfectoral devant le tribunal administratif de Marseille.
Total répond à ses détracteurs
Critiqué, le PDG de Total, Patrick Pouyanné, a rappelé son engagement d'alimenter sa bioraffinerie avec 50.000 tonnes de colza français issues du groupe agricole Avril.
Le 21 mai dernier, douze députés La République en Marche (LREM), avaient aussi interpellé M. Pouyanné l'exhortant à "renoncer à l'huile de palme" et à modifier son projet de production de biodiesel. Ce courrier posait la question de l'importation des 300.000 tonnes d'huile de palme, soit "environ un tiers de l'ensemble de l'huile de palme consommée chaque année en France".
Le 8 juin, le PDG de Total a répondu au député François-Michel Lambert qui a publié les courriers. Patrick Pouyanné rappelle que la France consomme 3 millions de tonnes par an de biodiesel. Et elle en produit 1,5 million de tonnes sur la base des cultures agricoles (colza principalement). "Le déficit est de 1,5 million de tonnes qui est couvert d'une part par l'importation de biodiesel dont une partie produite sur la base d'huile de palme (300.000 tonnes), d'autre part par l'importation d'huiles végétales (dont environ 260.000 tonnes d'huile de palme) qui sont transformées en biodiesel dans diverses unités industrielles", poursuit M. Pouyanné, dans sa lettre. Le projet de la Mède "vise donc à se substituer à une partie des 950.000 tonnes de biodiesel qui sont actuellement importés, permettant ainsi de capter la valeur ajoutée de ces importations en la localisant en France", a-t-il justifié.
Ce 11 juin sur RTL, le ministre de l'Agriculture Stéphane Travert a affirmé que le gouvernement "ne reviendra pas" sur l'autorisation donnée à Total d'importer de l'huile de palme. "Je souhaite que demain, Total et les entreprises agricoles qui produisent des biocarburants, puissent se mettre d'accord sur une base de prix, sur un contrat qui permettra d'offrir des débouchés à la filière colza française", a ajouté le ministre.