Une note publiée le 8 décembre par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) est venue rappeler l'entrée en vigueur, au 1er janvier prochain, de la suspension du bisphénol A (BPA) dans tout contenant ou ustensile alimentaire. Décidée fin 2012, cette interdiction a laissé deux ans à l'industrie agro-alimentaire pour trouver des substituts à cette substance. "Un chantier colossal", selon Bérénice Mazoyer, responsable qualité au pôle Alimentation & santé de l'Association nationale des industries alimentaires (Ania). En effet, cette interdiction concerne essentiellement les résines époxydes et le polycarbonate, qui étaient utilisées de manière universelle. Il a fallu les remplacer par une multitude d'autres matières plastiques, comme le soulignait récemment le rapport réalisé par le gouvernement sur la substitution.
Interdiction française : une première mondiale
Ce vaste chantier, mené par l'industrie française, est une première mondiale. Si de nombreux pays, ainsi que l'Union européenne, ont interdit l'usage du BPA dans les biberons et autres contenants alimentaires destinés aux enfants en bas âge, la France est la première à mettre en œuvre l'élargissement de cette mesure. Sera-t-elle suivie à l'échelle européenne ? Tout dépendra de l'avis de l'Autorité de sécurité alimentaire (Efsa), qui devrait être publié d'ici le mois de janvier.
Vers un contentieux européen ?
Dans un projet d'avis, présenté en janvier 2014, l'Efsa reconnaissait que les aliments étaient la principale source d'exposition au BPA et qu'il existait des effets probables sur le rein et le foie. Cependant, elle jugeait que l'exposition des consommateurs était faible, y compris pour les populations les plus sensibles, et préconisait seulement d'abaisser, à titre provisoire, la dose journalière tolérable (DJT). Selon elle, même abaissée, cette DJT reste bien plus importante que les niveaux d'exposition réels des citoyens. Si, dans son avis définitif, l'Efsa considère qu'une interdiction n'est pas nécessaire, la Commission pourrait alors remettre en cause la décision française.
"Les matériaux au contact alimentaire sont encadrés par un règlement européen général, décliné en règlements spécifiques pour chaque matériau, explique Bérénice Mazoyer. Le texte sur les plastiques autorise le bisphénol A en fixant néanmoins des seuils de migration". La décision française va donc au-delà de la réglementation européenne. "Celle-ci prévoit néanmoins la mise en place de clauses de sauvegarde sur la base de nouveaux résultats scientifiques", souligne l'experte de l'Ania, comme le permet également la réglementation sur les OGM. La France s'est appuyée sur l'avis de l'Anses qui, en avril 2013, alertait sur les risques sanitaires liés à une exposition permanente au BPA.
Mais, pour un dossier similaire, portant cette fois sur l'interdiction du BPA dans les papiers thermiques, autre source d'exposition importante pointée du doigt par l'Anses, la France a fait un autre choix. Cette fois-ci, les autorités ont décidé de porter ce sujet à l'échelon européen, plutôt que de fixer une suspension nationale.
Une suppression complexe et coûteuse
Malgré ces incertitudes juridiques, les industriels français se disent prêts à respecter l'échéance du 1er janvier. "Cela n'a pas été sans difficultés. Les délais étaient très courts. Certains ont pu être amenés à changer de format d'emballage, de type d'emballage…", raconte Bérénice Mazoyer.
L'industrie agro-alimentaire est particulièrement concernée par le remplacement des résines époxydes, utilisées pour vernir les boîtes de conserve, les bouchons de bouteilles… "Le vernis a un rôle essentiel car il assure l'étanchéité mais aussi l'absence de corrosion". Alors que les résines époxydes étaient universelles, il a fallu trouver des substituts différents selon la catégorie d'aliments. Ce qui a pu poser problème, notamment pour les aliments acides. Pour les boîtes de conserve, dont la durée de vie pouvait aller jusqu'à quatre ou cinq ans, "des tests de vieillissement accéléré ont été menés pour analyser la qualité du produit dans le temps. Certains fabricants ont réduit les durées de conservation car ils n'ont pas pu les tester en conditions réelles. Avec du recul, ils pourront s'adapter". Toutes les substances alternatives utilisées ont été évaluées et autorisées par l'UE, un Etat membre ou les Etats-Unis (Food and drug administration). Ces travaux de recherche ont néanmoins engendré un surcoût, pour les conserves et canettes de boisson, de 3 à 5%.
En revanche, la substitution du polycarbonate de BPA, utilisé notamment pour les bonbonnes à eau, les bouilloires, les cafetières, pose problème aux industriels. "Le rapport du gouvernement sur la substitution est léger : il n'évalue pas solidement les alternatives au bisphénol A. Alors que nous connaissons le bisphénol depuis très longtemps et que nous avons appris à réduire les migrations, nous manquons de recul sur les substituts", regrette Michel Loubry, directeur général de la branche ouest de PlasticsEurope.
Enfin, pour les papiers et cartons en contact alimentaire, la question de la substitution "ne se pose pas puisque nous n'utilisons pas de BPA". Cependant, pour les matières recyclées, "une contamination n'est pas à exclure". Les autorités françaises prévoient donc une tolérance de 2 mg/kg de papiers et cartons.