Vendredi 14 juin, se sont achevées deux semaines de négociations tenues à Bonn (Allemagne) sous l'égide de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (Ccnucc). Si le secrétariat de la Ccnucc fait état "de progrès concrets" en vue de l'adoption d'un nouvel accord climatique international fin 2015, les événements intervenus lors de cette session officielle illustrent plutôt les difficultés récurrentes à négocier un accord satisfaisant les quelque 195 Etats signataires de la convention onusienne.
Parmi les décisions concrètes prises à Bonn, figure la désignation, par les membres du groupe des pays d'Amérique latine, du Pérou comme hôte de la conférence annuelle de la Ccnucc en 2014. Le Venezuela organisera une pré-réunion la même année. Cette conférence suivra celle de novembre 2013 à Varsovie et précédera celle qui devrait très probablement se tenir au Bourget (France) fin 2015.
Comme souvent, les délégations font état d'une bonne volonté et de discussions franches tout en concédant que le plus dur reste à faire, notamment s'agissant de la forme juridique du futur accord et des engagements des différents Etats. Mais cette fois, l'événement des négociations est l'impossibilité d'ouvrir les travaux d'un des trois groupes de travail suite à un blocage de fond des discussions.
Vers une hausse de 3,3°C
Comme à l'accoutumé depuis l'échec de la conférence de Copenhague (Danemark) en 2009, les chercheurs du Potsdam Institute for Climate ont mis à jour le Climate Action Tracker censé traduire le cumul des engagements de limitation des émissions de gaz à effet de serre en élévation de la température moyenne globale d'ici la fin du siècle.
En l'occurrence, les engagements actuels entraineraient une hausse de 3,3°C, quand à Copenhague la communauté internationale s'est engagée à la maintenir en deçà de 2°C.
L'ajournement des travaux du groupe de travail chargé d'assurer la mise en œuvre et le suivi des décisions (le Subsidiary Body for Implementation (SBI)) adoptées lors des grandes réunions annuelles de la Ccnucc est sans conteste le fait marquant des négociations. En effet, les travaux du SBI se sont achevés prématurément le 11 juin sans même adopter d'ordre du jour après que les négociateurs aient refusé d'y inclure une demande portée par la Russie, l'Ukraine et la Biélorussie relative aux procédures de prise de décision. Une situation "des plus malheureuses", a estimé Christiane Figueres, la secrétaire générale de la Ccnucc. En effet, faute de discussions à Bonn, les sujets à traiter dans le cadre du SBI prennent six mois de retard, a expliqué Quamrul Chowdury, le principal négociateur des pays les moins avancés (PMA), à l'agence de presse Bloomberg.
En cause, les décisions adoptées par consensus à Doha ne traduisent pas les préoccupations des trois Etats qui s'y sont opposés. Aussi, ces pays suggèrent-ils de remettre à plat la méthode de prise de décision. "Que veut dire « consensus » ?" a demandé Oleg Chamanov, le délégué russe, lors de la séance plénière, jugeant que le "processus [de prise de décision] est très malade", rapporte l'AFP. Pour les officiels russes, il devient donc "absolument nécessaire d'examiner la façon dont nous prenons des décisions".
Les discussions sur cet épineux problème de gouvernance devront progresser d'ici la prochaine conférence des parties (COP) qui se tiendra du 11 au 22 novembre à Varsovie (Pologne), a expliqué Tomasz Chruszczow, le président du SBI, estimant qu'"il est essentiel d'utiliser le temps disponible pour discuter au plus haut niveau ministériel de la façon dont on peut résoudre ce problème". Les ministres en charge des négociations climatiques se seraient probablement bien passés d'avoir à traiter ce nouveau sujet de tension, alors que l'agenda des négociations est déjà surchargé. Les négociateurs devront "faire en une semaine le travail prévu sur trois semaines", a résumé Christiana Figueres. Une gageure.
L'air chaud, encore et toujours
Derrière ces questions de procédure se cache en réalité un enjeu de taille pour la Russie et ses alliés : l'avenir de l'"air chaud", c'est-à-dire les crédits carbone excédentaires accordés aux pays de l'Est dans le cadre de la première période d'engagement sous le protocole de Kyoto. Lors de la conférence de Doha, les négociateurs n'avaient pas tranché sur l'avenir de ces quelque 13 milliards de tonnes de CO2 qui réduisent d'autant l'effort à fournir par les pays engagés dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
L'accord de Doha prévoit le maintien de cet "air chaud" tout en limitant drastiquement son usage d'ici 2020 puisque les pays ayant reconduit leur engagement sous le protocole se sont engagés à ne pas y recourir. Une façon de repousser à plus tard la décision qui a passablement agacé les détenteurs de cet "air chaud", au premier rang desquels figure la Russie et ses 5,8 milliards de crédit Kyoto excédentaires.
Aujourd'hui le débat s'ouvre donc et la délégation russe a souhaité discuter des règles de gouvernance qui ont permis d'aboutir à une telle situation. Si ce n'est pas la première fois que de telles tensions pointent dans les négociations, cette fois c'est l'un des principaux pays qui s'en plaint. D'où le blocage. Surtout que certains négociateurs craignent le pire pour la suite. Un délégué cité par l'Earth Negociations Bulletin sous couvert d'anonymat, craint qu'en accédant à la requête des Russes, la Ccnucc ne crée un précédent pour les Etats ne souhaitant pas se conformer aux décisions adoptées lors des conférences des parties.