« Nous sommes à 99 % en valorisation agricole, avec une répartition entre épandage et compostage. C'est donc un enjeu majeur pour nous quand on nous dit qu'il faut faire évoluer le retour au sol, a souligné Hortense Bret, responsable du pôle patrimoine et prospective du syndicat des eaux de Charente-Maritime, Eau 17, lors d'une webconférence organisée par le salon Cycl'eau de Bordeaux vendredi 9 avril. Alors que nous avions fait le choix de filière à bas coût comme le lagunage, les filtres à roseaux, nous allons devoir nous tourner vers des solutions qui enchérissent les prix et dégradent le bilan carbone ».
Depuis quelques temps, l'inquiétude monte dans le monde de la valorisation organique.
Parmi les signaux déclencheurs de cette mise en alerte : le rapport d'Alain Marois dévoilé fin 2019 avec sa proposition d'un « pacte de confiance ». Celui-ci décrivait un cadre réglementaire à deux niveaux : les produits, alignés sur le règlement fertilisant et de l'autre les déchets, qui répondraient aux critères demandés par les réglementations sur les épandages en incluant les polluants émergents. Dans son optique, ces deux niveaux s'appuieraient sur un socle commun en termes de flux (annuel ou décennal) ou de contaminants cumulables dans les sols.
La révision des normes d'ici le 1er juillet 2021
La loi économie circulaire a ensuite concrétisé certaines des propositions et notamment conditionné l'autorisation de l'épandage de composts de boues à la révision des normes sanitaires. Une échéance a été fixée au Gouvernement pour cette mise à jour : le 1er juillet 2021. Après cette date, ceux qui ne respectent pas les référentiels ne pourront plus pratiquer le retour au sol.
La date butoir approche grandement mais le texte prévu pour concrétiser ces dispositions est toujours en cours d'élaboration : le projet de décret relatif aux critères de qualité agronomique et d'innocuité selon les conditions d'usage pour les matières fertilisantes et les supports de culture (MFSC), dit « décret socle commun des MFSC ». « Le projet de décret aurait dû faire l'objet d'une concertation au mois d'avril mais elle n'a pas encore débuté », a situé Franco Novelli, expert technique du département cycle de l'eau à la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), lors de la webconférence du Cycl'eau.
Pour l'instant, le document de travail distingue trois catégories : A1, la seule éligible au statut de produit, A2 (auxquels correspondraient les composts) et B (les boues). Il fixe pour chacune des critères d'innocuité, de qualité agronomique et précise les conditions de suivi comme d'utilisation. Les critères d'innocuité visent les teneurs maximales en éléments traces métalliques, inertes et impuretés (verre, métaux, plastique ou l'ensemble inférieur à 2 mm), des composés traces organiques et des micro-organismes pathogènes. Il demande la réalisation de tests écotoxicologiques et de mesure des effets perturbateurs endocriniens au minimum lors de la caractérisation initiale de la matière fertilisante.
Clarifier le concept des catégories
Sollicité pour examiner le projet de décret, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a préconisé plusieurs évolutions pour ce texte. Parmi les pistes proposées, elle recommande tout d'abord que le texte soit accompagné d'une instruction pour faciliter sa mise en œuvre. « La rédaction actuelle du projet de décret est susceptible de poser certains problèmes de compréhension et d'interprétation, dans le cadre de la mise en œuvre opérationnelle par les acteurs de terrain concernés (producteurs et utilisateurs notamment) », indique-t-elle. Elle souhaite notamment que soit clarifié le concept des catégories A1, A2 et B.
Autre évolution demandée : une meilleure articulation avec les réglementations nationales et européennes.
L'Anses pointe également le besoin de modification des critères d'innocuité en lien avec l'évolution des connaissances : l'évaluation proposée dans le cadre du projet de décret repose en effet uniquement sur des contaminants pour lesquels des valeurs seuils ont été déterminées. « L'aspect cumulatif des apports en contaminants (ETM, HAP et PCB) par les matières fertilisantes devrait impérativement être pris en compte pour limiter l'accumulation de ces éléments dans les sols, ajoute également l'agence. Leur contrôle est toutefois complexe et nécessite la mise à disposition de l'ensemble des acteurs (producteurs et utilisateurs) d'outils nationaux opérationnels afin d'assurer la traçabilité d'utilisation des matières fertilisantes, de la production jusqu'à la parcelle. »
Dans certain cas, les polluants présents ne sont pas connus de manière exhaustive, rappelle dans son avis l'Anses. « Les matières fertilisantes d'origine résiduaire sont notamment sources de contaminants organiques, résidus d'antibiotiques, bactéries antibio-résistantes, médicaments vétérinaires (effluents d'élevage), médicaments à usage humain (boues de station d'épuration), micropolluants aux effets perturbateurs endocriniens, etc., souligne-t-elle. L'évaluation des effets potentiels sanitaires et environnementaux du retour au sol de ces Mafor [matières fertilisantes d'origine résiduaire] reste encore peu documentée ». Pour l'Anses, des restrictions d'usages et des conditions d'emploi spécifiques pourraient permettre de limiter les expositions.
Par ailleurs l'agence préconise qu'un arrêté du ministre en charge de l'agriculture précise les lignes directrices à suivre pour l'évaluation des perturbateurs endocriniens.
Abaisser la teneur en cadmium
L'agence revient également sur les teneurs en cadmium pour les abaisser de 5 à 1 mg/kgMS soit un flux de 2 grammes de cadmium par hectare et par an. « Ce qui pourrait exclure une grande partie des boues », note Franco Novelli de la FNCCR.
L'Anses recommande aussi que les critères microbiologiques proposés pour les boues soient adaptés en fonction du caractère hygiénisé ou non de la matière considérée. « Certaines d'entre elles ne subissent pas de traitement hygiénisant, note l'agence. Il existe alors un risque important que des matières de la catégorie B (…) ne puissent respecter ces critères et se retrouvent sans exutoire ». Et ceci pourrait concerner 8 000 stations d'épuration selon la FNCCR.
Enfin, concernant la valeur agronomique, l'Anses renvoie à des instituts techniques pour vérifier la pertinence des valeurs proposées pour l'exclusion ou non des matières fertilisantes.
Alors, quel avenir pour les boues ?
« Nous avons besoin d'un débat public structuré autour d'une question : que voulons-nous comme avenir pour nos boues, a estimé Laurent Brunet, représentant de la Fédération professionnelle des entreprises de l'eau (FP2E), lors du webinaire. Certains principes pourraient le guider : pas de fermeture de filière sans l'ouverture de filière de remplacement, des délais réalistes pour les évolutions, éviter de raisonner en silo et enfin l'importance de l'évaluation des choix », propose le directeur technique chez Suez eau France.
Un certain nombre de textes publiés ou en préparation ont toutefois déjà bougé les lignes du devenir de la filière. Ainsi, avec l'épidémie de Covid-19, les professionnels ont déjà dû faire face à l'interdiction de l'épandage des boues non hygiénisées ainsi qu'un suivi renforcé pour les filières qui produisent des boues hygiénisées. Un projet d'arrêté en consultation devrait toutefois assouplir le cadre actuel. Il ouvre la possibilité d'épandage pour les boues qui ont fait l'objet d'un traitement par chaulage, séchage solaire ou digestion anaérobie mésophile. Un nouvel indicateur - les coliphages somatiques – permettra d'estimer l'abattement du virus de Sars-Cov-2. Les boues obtenues après un traitement des eaux usées par lagunage ou rizhofiltration ou ayant fait l'objet d'un traitement par rhizocompostage pourront également être épandues sous certaines conditions de stockage notamment. « L'arrêté devrait être publié mi-avril, situe Franco Novelli, de la FNCCR. Il ne permet pas de lever toutes les restrictions. L'effet sera positif pour un tiers des boues. La contrainte reste forte pour les collectivités ».
Une étude de l'Ademe sur l'utilisation des déchets verts
Autre texte qui a mis en émoi la filière : le projet de décret encadrant les conditions de co-compostage des boues de stations d'épuration et leurs digestats. Ce dernier proposait d'introduire notamment une proportion maximale de déchets verts utilisés comme structurants pour le compostage, décroissante au fil du temps. L'idée étant que les déchets verts, en tant que biodéchets, ont vocation à d'abord permettre le traitement par compostage des autres biodéchets comme les déchets alimentaires.
« En réduisant le taux de matières structurantes, nous limitons la montée en température et nous n'atteignons pas l'hygiénisation, regrette Régis Taisne chef du département du cycle de l'eau de la FNCCR. Dans beaucoup de territoires, cette filière permet de traiter un volume important de déchets verts, dont ils ne sauraient pas quoi faire autrement. Ce sont des productions locales et la gestion locale qui incombe aux collectivités, laissons-les s'organiser en fonction de leur volume de déchets verts ».
L'argument semble avoir été entendu et un compromis a été trouvé. « Après concertation des parties prenantes, nous nous sommes mis d'accord sur un nouveau projet qui fixe à 80 % le taux d'emploi de ces matières dans les composts. La révision de ce taux est renvoyée [à plus tard], après les résultats d'une étude réalisée par l'Ademe sur la potentielle tension sur les déchets verts, pointe Franco Novelli. Le projet de décret devrait être publié courant mai »
De l'évolution de ce texte dépend également la portée d'un décret publié ce début d'année : celui qui lève l'interdiction du mélange de boues de station d'épuration entre elles, sous réserve de leur innocuité individuelle. « Ce texte est important si nous restons dans ce cadre ou nous pouvons mutualiser l'infrastructure de traitement des boues que ce soit en méthanisation ou en compostage, souligne Régis Taisne. Si nous ne pouvons plus faire de compost, il n'y a plus d'intérêt à mélanger les boues ».
Au niveau européen, des évolutions sont également à prévoir : la Commission européen a lancé une procédure d'évaluation de la Directive européenne 86/278 sur les boues d'épuration. Et les orientations prises pourraient rebattre les cartes pour la filière.