Dans un rapport publié lundi 27 avril, la Cour des comptes préconise de relancer le processus de transfert de la propriété et de la gestion de l'entreprise Géothermie Bouillante à un industriel privé. Mais elle ne retient pas pour autant l'option d'un abandon total des soutiens publics à la géothermie guadeloupéenne. D'autant que l'usine de Bouillante est la seule centrale française de production d'électricité à base géothermique opérationnelle, en dehors de l'installation expérimentale de Soultz-sous-Forêts en Alsace.
Un projet de création d'une troisième unité (Bouillante 3), comprenant deux usines dont la première de 20 MW, est lancé depuis 2009. Alors que le démarrage de la première usine était prévu pour 2015, les forages n'ont toujours pas été réalisés à ce jour, indique la Cour des comptes
Prix de rachat inférieur aux coûts
L'Etat et le BRGM font face à une équation "délicate à résoudre", estime la Cour des comptes. D'un côté, la géothermie profonde a été identifiée comme étant une source primordiale de production électrique à l'horizon 2030 sur le territoire guadeloupéen. De l'autre, seule la société Géothermie Bouillante, détenue à 97,8% par le BRGM, porte la géothermie profonde dans ce département. Or, cette société perd de l'argent.
"Entre 1996 et 2013, le prix de rachat de l'électricité a toujours été inférieur aux coûts réels de production de l'usine Bouillante", constate la juridiction financière. Ce coût s'est élevé entre 1996 et 2013 à 141 €/MWh, affirme la Cour, soit un montant supérieur d'un tiers aux coûts habituellement annoncés pour la géothermie profonde. "L'usine n'a donc pas été rentable", conclut-elle de façon laconique. Ce qui a nécessité des refinancements permanents qui ont été supportés par le seul groupe BRGM, donc par des fonds publics, souligne le rapport, "en contradiction avec la volonté des tutelles et du BRGM de réduire son engagement dans Géothermie Bouillante".
EDF, l'autre partenaire historique de cette société, s'est en effet désengagée progressivement depuis 2008 et a même renoncé en 2013 aux projets relatifs à la géothermie aux Antilles, indique le rapport. Bien que l'électricien ait pu aussi tirer partie de la situation puisqu'il "a pu ainsi acheter une électricité en dessous de son coût réel de production", relèvent les sages de la rue Cambon.
Au final, le rapport tire un bilan assez négatif de l'usine Bouillante. En concentrant en Guadeloupe tous les moyens mobilisés pour la géothermie dans les DOM, la gestion chaotique de ces installations a empêché le développement d'autres projets de géothermie profonde outre-mer, relève la Cour. "D'autre part, les industriels français de la filière ne disposent d'aucune référence sur leur propre marché alors que la production d'électricité géothermique se développe rapidement dans le monde", constate-t-elle, et ce, alors que la France dispose de compétences reconnues dans ce domaine. Et, pourrait-on ajouter, que le gouvernement français en a fait une priorité depuis deux ans.
Les deux options de la Cour
Suite à ce constat, les magistrats financiers envisagent deux options. En premier lieu, l'abandon pur et simple du soutien public à la géothermie en Guadeloupe, avec pour impact principal un recours accru à des moyens de production de sources fossiles à court et moyen termes, en contradiction avec les objectifs fixés en matière d'électricité d'origine renouvelable. Ou, deuxième option, le maintien d'un soutien public mais nécessairement accompagné d'investissements privés.
C'est vers cette deuxième option que s'oriente la Cour à travers une recommandation à la formulation quelque peu ambiguë préconisant une relance du processus de transfert au privé de Géothermie Bouillante "sans engagement majoritaire de crédits publics dans sa capitalisation ou dans le projet Bouillante 3". La voie semble étroite. D'un côté, les sages relèvent que les conditions actuelles d'exploitation de l'usine de Bouillante et le niveau des prix d'achat de la production électrique n'ont pas permis de convaincre les investisseurs privés. D'où la nécessité d'un soutien public à l'investissement et/ou une revalorisation des tarifs d'achat. En même temps, elle demande à ce que les crédits publics ne soient pas majoritaires dans les projets.
La solution pourrait venir d'une amélioration du pilotage et de la gestion de l'usine. La Cour relève que l'Etat ne dispose que d'informations lacunaires sur les paramètres financiers relatifs à Bouillante, précisant qu'un meilleur suivi des données réelles de la production "aurait sans doute permis de remédier au déficit structurel (…) et d'éviter, en conséquence, les refinancements constants". De son côté, l'Ademe estime que les coûts de production élevés résultent des difficultés techniques et sociales rencontrées, ainsi que des faibles durées de fonctionnement. "Avec un taux de fonctionnement de 85%, le coût complet pourrait atteindre 100 €/MWh, soit dans la fourchette des références mondiales de l'agence", rapportent les magistrats.
Ouverture du capital engagée
Dans son courrier de réponse à la Cour, la ministre chargée de la Recherche, Najat Vallaud-Belkacem, confirme une situation particulièrement dégradée en 2010-2011 consécutive à l'absence de maintenance des installations et de pilotage de la filiale du BRGM pendant près de dix ans. Mais elle estime que les choses ont aujourd'hui bien changé. D'une part, indique la ministre, des audits techniques et financiers réguliers ont été mis en place. D'autre part, une partie des personnels de CFG service, exploitant de la centrale jusqu'en 2012, a été transférée à la société Géothermie Bouillante.
La recherche d'un partenaire industriel "nécessite davantage de temps", indique toutefois Mme Vallaud-Belkacem. Mais celle-ci assure que les opérations d'ouverture du capital de Géothermie Bouillante ont débuté. L'objectif poursuivi ? Une augmentation de capital diluant la participation du BRGM tout en permettant le financement de la modernisation des deux premières tranches Bouillante 1 et Bouillante 2, et le lancement de la troisième tranche Bouillante 3. "Le retour sur les investissements réalisés par le BRGM, au travers de ses filiales, devra être assuré", rappelle-t-elle toutefois.
Le président du BRGM Vincent Laflèche, dans sa réponse à la Cour, confirme avoir engagé un processus d'ouverture du capital à un partenaire industriel privé. Sans préciser lequel. Ce processus, précise-t-il, a pour objectif de ne pas engager de crédits publics, "ou très minoritairement", dans les développements prévus, notamment le projet Bouillante 3.