Ambassadeur chargé des négociations internationales sur le climat
Brice Lalonde : Ce fut un moment extrêmement important de la géopolitique mondiale qui a été sous-estimé car on n'y a vu que l'échec relatif de la négociation sur le climat. En réalité, pour la première fois l'Europe et l'Amérique n'étaient plus seules en charge du gardiennage de la planète. On a vu arriver la Chine, l'Inde, l'Afrique du Sud, le Brésil et de nombreux autres pays qui passent du rôle de contestataire à celui de cogérants de la planète. On s'est heurté à l'écologie, au problème des ressources mondiales et de leur rareté. Cela soulève des questions que l'on ne sait pas traiter : Comment gérer l'espace carbone ? Faut-il des quotas, un marché, des interdictions ? Enfin, on a buté sur l'absence de gouvernance mondiale organisée. Le système de l'ONU a montré ses forces et ses faiblesses. Côté force, on peut noter que jamais autant de chefs d'États ne s'étaient investis pour le climat. Côté faiblesse, le système de l'unanimité s'est grippé. On se retrouve donc face à de grandes difficultés qui se traduisent par une stagnation des négociations.
AE : Comment jugez-vous l'Accord de Copenhague ?
BL : C'est un accord partiel qui comporte deux éléments majeurs. Il y a tout d'abord ce que l'on nomme MRV, pour la mesurabilité, le reporting et la vérification des engagements des grands émetteurs. Les États-Unis ont insisté sur cette notion de transparence et ils se sont mis d'accord avec les pays émergents autour d'une proposition indienne. Ensuite il y a la promesse d'un transfert de 100 milliards de dollars vers les pays les plus vulnérables à partir de 2020. La France et la Grande Bretagne ont porté cette disposition. S'agissant de la substance, c'est-à-dire les réductions d'émissions de CO2, il n'y a qu'un bouquet d'engagements volontaires. Copenhague a donc été un moment plus important pour la géopolitique que pour la réussite des négociations climatiques.
AE : Certains pays, l'Inde en particulier, jugent que l'Accord n'est pas équitable. Qu'en pensez-vous ?
BL : La notion d'équité est inscrite dans l'Accord si l'on considère l'engagement des pays développés en matière de financement. Plus généralement, la notion d'équité est centrale et elle renvoie à des choix de société. Doit-on tous vivre comme aux États-Unis ? C'est une des questions posées. Chacun a sa conception de l'équité. Lorsque la France présidait l'Union européenne, nous militions pour une vision à long terme basée sur la contraction et la convergence des émissions à 2 tonnes par habitant, ce qui implique une forte réduction des émissions des pays développés. L'équité c'est aussi le plan justice-climat de Borloo tourné vers l'Afrique, les petites iles et les pays les moins avancés. S'agissant de la responsabilité historique telle que présentée par la Chine et l'Inde, nous en acceptons le principe moral qui nous impose d'agir les premiers, mais nous récusons l'idée d'un chiffrage qui serait impossible à réaliser.
AE : Qu'attendez-vous pour la conférence de Cancún ?
BL : Nous voudrions que l'Accord de Copenhague soit confirmé et qu'il y ait quelques décisions pratiques sur les finances, la coopération technique et la forêt.
AE : Avez-vous bon espoir de voir enfin aboutir les négociations sur les forêts ?
BL : C'est difficile d'aboutir à un accord séparé sur une partie des négociations quand la plupart des Etats exigent un traité global. En revanche, un partenariat initié par la France et la Norvège permet d'expérimenter le mécanisme de soutien à la préservation des forêts tropicales. Actuellement, les négociations sont appuyées par deux approches complémentaires. D'une part les chefs d'États s'impliquent, avec par exemple le Groupe consultatif de l'ONU sur le financement des changements climatiques. D'autre part des programmes concrets qui épousent le cadre des négociations démarrent sur le terrain avec des financements précoces volontaires. La démarche franco-norvégienne est l'un de ces partenariats qui vise à démontrer ce qu'il est possible de faire. La France propose avec le Kenya une démarche analogue pour l'accès aux énergies renouvelables dans les pays le plus pauvres.
AE : Que vous inspire la négociation sur les sources de financement ?
BL : Il est vraisemblable qu'il faille inventer de nouveaux mécanismes et que les sources nouvelles proviennent en partie d'une fiscalité internationale. Nicolas Sarkozy a proposé une taxe sur les transactions financières qui aurait aussi l'intérêt de ralentir les mouvements financiers déstabilisateurs. La question de l'affectation reste posée car il y a bien sûr le climat, mais aussi la santé, les Objectifs du millénaire et beaucoup d'autres besoins. Il faut aussi trouver des incitations pour favoriser les investissements privés. Les négociateurs climat ne peuvent discuter que d'une partie de la question, comme la taxation des carburants du transport maritime.
AE : Envisagez-vous une deuxième période d'engagement pour le protocole de Kyoto ?
BL : L'Europe est engagée unilatéralement jusqu'en 2020 par sa législation du Paquet énergie climat et une deuxième période d'engagement dans le protocole de Kyoto ne devrait pas nous effrayer. Ce fut surement une erreur de communication de la part de l'Europe d'avoir laissé entendre que le protocole était obsolète. Nous aimerions surtout que l'intégrité écologique soit garantie, en particulier au sujet des puits de carbone et des quotas excédentaires. Cependant le Japon, l'Australie, le Canada et certains autres pays ne veulent pas s'engager sans un effort analogue des pays émergents.
AE : L'adoption rapide d'une législation sur le climat aux États-Unis semble peu probable. Cela influence-t-il les négociations ?
BL : Cela a un impact très important car si le premier émetteur par habitant ne fait rien cela donne un argument facile aux autres pays, notamment la Chine. C'est aussi fâcheux pour la mise en œuvre d'un marché carbone global. Au fond, c'est aussi le risque pour les États-Unis de voir l'ensemble des pays se tourner vers la Chine ou le Brésil qui rêvent de devenir les leaders de l'économie bas carbone.
AE : Justement la Chine rencontre des difficultés à atteindre son objectif de réduction de l'intensité carbone de son économie.
BL : Cela prouve que ce n'est pas si simple, mais a conduit à l'annonce de la fermeture de plus de 2000 sites gaspilleurs d'énergie. Par ailleurs, la Chine semble réfléchir à la création d'un marché carbone, même si elle a une position assez fermée dans les négociations. Elle a peur que ces actions puissent être utilisées contre elle. Elle fait donc tout de façon volontaire et refuse les contraintes extérieures. Par ailleurs, il est possible que des accords sectoriels sur la production d'acier, de ciment, d'aluminium ou la chimie, reviennent comme une solution pragmatique.