Mardi 28 août 2012, le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) du ministère de l'Agriculture a rendu public un rapport d'évaluation relatif à la surveillance épidémiologique des cultures dans le cadre du plan Ecophyto 2018 (axe 5 du plan). Le document d'une vingtaine de pages estime qu'en deux ans le déploiement de l'épidémiosurveillance est une réussite. En revanche, "un approfondissement des schémas de pensée sur le conseil en agriculture est à engager" pour atteindre l'objectif politique de réduction de 50 % de l'usage des phytosanitaires en France d'ici 2018. En effet, le rapport suggère que le déploiement de l'épidémiosurveillance seule ne suffit pas.
Ce cinquième axe du plan Ecophyto 2018 se base en particulier sur un système d'information, le Bulletin de santé du végétal (BSV) partagé entre les différents acteurs, public et mutualisé, dont l'objectif est d'améliorer la prise de décision des exploitants agricoles en les incitant à ne traiter leurs cultures que lorsque cela est nécessaire.
Globalement, l'évaluation "a mis en évidence la réussite de l'organisation régionale de la surveillance biologique du territoire avec de multiples nuances", indique le rapport, ajoutant que le diagnostic partagé de l'état de santé des cultures, mis en place il y a deux ans et diffusé par le Bulletin de santé du végétal (BSV), "a rapidement acquis une forte notoriété".
Cependant, le rapport met en avant un aspect inquiétant : la seule approche technique, l'épidémiosurveillance, ne semble pas adaptée à l'objectif de réduction de l'usage des pesticides. En effet, le contraste entre le succès du déploiement des outils de surveillance biologique et le peu d'évolution des pratiques phytosanitaires soulève la question de l'intérêt de l'approche retenue par l'Etat. "L'approche théorique centrée sur les seuls aspects sanitaires montre ses limites", admet le rapport appelant à "un renouvellement de la réflexion sur le conseil et l'information en agriculture considérés dans leur globalité technique et économique".
Une remarque qui interroge sur l'efficacité de l'approche retenue par Ecophyto 2018 dans la lignée de la directive cadre de l'Union européenne adoptée en 2009 et prévoyant que les Etats membres "s'assurent (…) que les utilisateurs professionnels aient à leur disposition l'information et les outils de surveillance des ennemis des cultures et de prise de décision, ainsi que des services de conseil sur la lutte intégrée contre les ennemis des cultures".
Une surveillance inadaptée
Parmi les raisons expliquant le faible impact de l'outil, le rapport avance tout d'abord une inadaptation de l'outil à la réalité. "A l'évidence", l'épidémiosurveillance n'est pas axée sur les sujets prioritaires en vue de réduire l'usage des pesticides, déplore le rapport. En premier lieu, "les herbicides et les mauvaises herbes [sont] totalement absents de la surveillance biologique du territoire", alors que les herbicides sont "les principaux phytosanitaires utilisés (plus de 40 % du nombre de doses unités) et sources de l'essentiel de la pollution de l'eau". Ensuite, l'outil ne tient pas suffisamment compte du fait que les méthodes alternatives nécessitent souvent un suivi et une information plus préventive que les traitements phytosanitaires habituels. Un reproche qui vaut aussi pour le peu de prise en compte par zones des phytosanitaires problématiques et des bio-agresseurs à l'origine de leur usage. "Un volontarisme, ou une discrimination positive, vers ces sujets (mauvaises herbes et méthodes alternatives) sont indispensables pour une légitimité du dispositif au financement d'Ecophyto", insiste le rapport.
L'adaptation nécessaire de l'épidémiosurveillance est-elle en bonne voie ? Le rapport semble en douter fortement. "Prendre en compte les objectifs Ecophyto, au-delà du service « classique » de diagnostic sanitaire régional, est un vrai travail technique requérant du temps et des compétences", rappelle le document, déplorant dans la foulée que les compétences "sont, et seront, de moins en moins disponibles aux niveaux régional et national de l'Etat". En effet, le document rapporte que le Comité national d'épidémiosurveillance (CNE), le contrôle des Directions régionales de l'alimentation de l'agriculture et de la forêt (Draaf) et le suivi par les experts de la Direction générale de l'alimentation (DGAL) "ne (…) satisfont pas entièrement [le travail technique nécessaire], pas plus qu'ils n'apportent la consolidation nationale des données et de l'épidémiologie".
Une vision simplificatrice issue des années soixante
Quant à l'approche elle-même, elle se baserait sur "des pratiques réelles, trop souvent idéologisées". Le rapport critique notamment une démarche basée sur une "vision simplificatrice et planificatrice" axée sur deux présupposés : "la « bonne nouvelle » annoncée qui amènerait mécaniquement la pratique vertueuse et les bons effets globaux de réduction des pesticides", ou "la mauvaise nouvelle qui agirait inversement, focalise trop sur le conseil individuel phytosanitaire « isolé » du reste de l'univers agricole".
Pour illustrer cet aspect, le rapport, même s'il "ne peut pas vraiment conclure" sur l'impact du BSV, suggère un manque d'efficacité. Il souligne notamment que 72 % des agriculteurs s'appuient sur le BSV pour prendre leurs décisions mais qu'ils ne sont qu'un tiers à déclarer qu'il permet de réduire et/ou modifier les pratiques phytosanitaires. "L'épidémiosurveillance n'exprimera ses effets qu'avec un suivi des messages relayés par les conseils (Chambres, négoces, instituts, coops, etc…)", prévient le rapport.
Il s'agit donc de changer d'approche. "Le schéma des années soixante de la « cascade» recherche-expérimentation-formation-développement est clairement à reconsidérer en 2012", estime le rapport qui ajoute que "l'étude d'Arcadia [sur laquelle il s'appuie] remet à leur place certaines idées reçues qui privilégient à l'excès la relation avec le seul vendeur et sous-estiment la dimension globale de la relation entre l‘agriculteur et ses différentes sources de conseil, d'information et d'incitation économique". "Une piste de réflexion" consiste à distinguer le conseil instantané, c'est-à-dire "la relation directe avec le commercial [qui] sera toujours prépondérante en situation de demande de sécurisation par l'agriculteur", et "le conseil plus généraliste portant sur le système d'exploitation, la rotation et la préparation de la /des campagnes". Et de rappeler que "dans tous les cas la crédibilité du conseil ne se décrète pas".
Il est donc essentiel de replacer la décision phytosanitaire dans l'ensemble du processus agricole. "Il serait contre-productif pour [l'analyse du risque phytosanitaire] de revenir à une vision uniquement centrée sur le seul conseil phytosanitaire sans considérer l'ensemble de conseils et l'univers d'information et de décision technico-économique de l'agriculteur", prévient le document, ajoutant que "cet impératif est renforcé par un contexte national et international évolutif".