
Présidente de CO2GeoNet et chef d’unité valorisation des aquifères profonds au BRGM
Actu Environnement : Où en sommes nous concernant le captage-stockage de CO2 (CSC ou séquestration-stockage du dioxyde de carbone SSC) ?
Isabelle Czernichowski-Lauriol : Après 20 ans de recherche, nous sommes dans une période charnière : nous devons désormais tester sur le terrain les différents outils et méthodologies développés afin de viser un déploiement de la technologie à partir de 2020 et contribuer ainsi à la lutte contre le réchauffement climatique.
La volonté en Europe, c'est d'avoir une douzaine de démonstrateurs à partir de 2015 qui puissent fonctionner sur la période 2016-2020.
AE : Cet objectif pourra être tenu ?
ICL : Un problème financier se pose : le prix de la tonne de CO2 reste faible. Le plan de relance économique européen - qui a sélectionné six projets de démonstration en 2009 - doit être complété par une aide apportée par le marché des quotas d'émission de CO2. Une réserve de 300 millions de quotas sera ainsi utilisée pour financer des projets de captage et stockage de CO2, mais aussi des techniques innovantes pour les énergies renouvelables.
Pour cela, un appel à projet européen appelé NER300 a été lancé en 2010. La sélection finale des projets retenus se déroulera en fin d'année 2012. Cependant le prix de la tonne de CO2 sur le marché est bien moindre que celui espéré il y a deux ans : les financements seront moins élevés et le nombre de projets sélectionnés certainement inférieur aux prévisions.
AE : Quel est le coût de la technologie ?
ICL : L'ordre de grandeur du prix d'une opération dans son ensemble s'élève aujourd'hui à 60 euros par tonne de CO2, dont 80 % est dû à l'étape de captage. Par comparaison, le marché du CO2 est inférieur à 10 euros la tonne.
Tant que le marché du carbone ne sera pas plus favorable et que d'autres mécanismes financiers ne viendront pas encourager l'essor de cette technologie, elle ne pourra pas être déployée. Toutefois les efforts de recherche et de démonstration permettront de diminuer progressivement les coûts.
AE : Des opérations sont déjà menées au niveau mondial ?
ICL : Il existe certaines opérations pionnières dans le monde : par exemple, en Norvège et au Canada à l'échelle industrielle. Mais c'est dans des conditions particulières. En Norvège, une taxe sur le CO2 émis permet de compenser les coûts de l'injection et au Canada, le stockage du CO2 est combiné avec la récupération de pétrole : les coûts sont compensés par le bénéfice retiré par la vente de celui-ci.
AE : Quelles sont les pistes envisagées pour contourner les obstacles liés à ce manque financier ?
ICL : Si nous ne pouvons pas faire autant de démonstrateurs grandeur nature, qui intègrent le captage et stockage, que nous pouvions l'espérer, il faudrait qu'il y ait en parallèle des pilotes de stockage à échelle réduite.
AE : Quels sont les avancées et points de blocage identifiés lors du colloque?
ICL : Estimation des ordres de grandeur des capacités de stockage disponible dans le sous-sol de différents pays, validation d'outils de modélisation du comportement du CO2, de surveillance des sites, d'analyse des risques : la plupart des outils importants pour mettre en œuvre ce stockage ont été développés. Maintenant, nous devons les tester sur des sites précis, dans des conditions variées. Nous allons également caractériser très finement le sous-sol. Nous connaissons les ordres de grandeur des principales caractéristiques de porosité et perméabilité, mais pour préciser les capacités de stockage, il faut que nous passions à une phase de reconnaissance précise des sites sélectionnés.
AE : Quelles seront les précisions apportées ?
ICL : Lorsque nous choisissons un site donné pour stocker du CO2, deux questions se posent : la capacité de stockage du site et l'injectivité : la porosité et perméabilité locale, les phénomènes physico-chimiques aux abords du puits d'injection vont en effet conditionner la facilité d'injection du CO2.
Une modélisation dynamique, basée sur de vraies données de terrain, permettra de préciser : combien pouvons-nous stocker de dioxyde de carbone sur ce site ? En combien de temps ? Avec combien de puits d'injection? Il faudra également étudier les conditions qui garantissent que sur ce site le CO2 pourra être piégé pour au moins mille ans sans risque pour les populations et les écosystèmes locaux.
La
AE : Un article du Monde rapporte la découverte d'une jeune fracture géologique à proximité du site d'injection de Sleipner : de quelles certitudes disposons-nous sur le comportement à long terme du stockage de CO2?
ICL : Lors d'une campagne océanographique, à 25 km au nord de Sleipner, le
En France, le gisement naturel de CO2 de Montmiral dans la Drôme nous permet d'observer l'interaction du gaz avec la roche réservoir et la roche couverture sur le très long terme et nous conforte dans l'idée que les formations géologiques sont capables de piéger efficacement du CO2 sur des milliers et même des millions d'années. D'autres recherches sont en cours pour préciser nos connaissances sur le long terme : le BRGM coordonne un nouveau projet européen sur le comportement à long terme du stockage :