"Dans les années 1970, George Pompidou déclarait qu'il fallait 'adapter la ville à la voiture'… et c'est ce qu'on a fait!" C'est avec ces mots qu'Olivier Paul-Dubois-Taine, ingénieur général honoraire des Ponts et Chaussées, résume près de quarante ans de rapports entre la ville, et plus largement l'ensemble des territoires, et l'automobile. Aujourd'hui l'ingénieur défend une tout autre approche dans un rapport, titré "Les nouvelles mobilités : adapter l'automobile aux modes de vie de demain", produit par un groupe de travail qu'il a dirigé. Rédigé sous l'égide du Centre d'analyse stratégique (CAS), à la demande du gouvernement, le rapport "a pour objectif d'analyser les évolutions souhaitables des usages de l'automobile dans une perspective de mobilité durable."
Mettre fin à la tendance actuelle
Constatant que le secteur des transports est le seul à voir ses émissions de gaz à effet de serre croître sensiblement depuis 1990, que le parc automobile français a doublé en une trentaine d'années et que notre mode de consommation et d'utilisation de la voiture n'est pas exportable dans les pays émergents, Vincent Chriqui, directeur général du CAS, considère que "notre système automobile est à bien des égards 'non durable'." "Nous devons donc repenser notre système automobile", prévient-il, même si "nous sommes dépendant d'un système automobile très performant." En effet, au cours du siècle passé nous avons développé un modèle de mobilité articulé autour de la voiture et des infrastructures et services dédiés. Pour le président du CAS, ce modèle "a peu à peu dessiné nos territoires et transformé nos modes de vie."
Par ailleurs, le modèle actuel pose une question d'équité sociale. "Il y a un risque réel de creuser l'écart entre les ménages des grandes agglomérations denses qui continueront à bénéficier de facilité d'accès aux emplois et services de la vie quotidienne et ceux qui seront relégués dans des territoires mal desservis en transports collectifs et sans revenus suffisants pour suffisant pour utiliser une automobile personnelle", résume Vincent Chriqui. Effectivement, si à Paris seulement 15% des déplacements s'effectuent en voiture, plus de 90% des trajets sont effectués en voiture pour les territoires périurbains et ruraux.
Pour autant, d'autres modèles sont possibles, comme le prouvent de nombreuses expériences étrangères. Il s'agit par exemple de Copenhague (Danemark), où 36% des déplacements sont effectués à vélo, de la Chine, avec 120 millions de vélos à assistance électrique, ou encore de la ville d'Ulm (Allemagne) avec plus de 10% de la population inscrite au service d'auto partage.
Une lente transition
Cependant, le directeur du CAS prévient : "il ne faut pas s'attendre à de rapides modifications de la demande de mobilité automobile." En effet, le CAS juge que pour réussir la transition vers des transports propres il faut s'intéresser à la voiture et aux services correspondants, même si le potentiel d'amélioration des transports collectifs est conséquent. À ce titre, le directeur général du CAS qualifie d' "importants" les progrès technologiques attendu en matière de motorisation des véhicules, qu'elles soient thermique, hybride ou électrique.
Partant de ces constats, le CAS envisage cinq ruptures qui détermineront l'évolution à venir du "système automobile." Le premier challenge concerne le rapport à la voiture qui évolue progressivement. En effet, en 2009, 79% des Européens et 62% des Français considéraient que la possession d'une voiture était devenue une contrainte. "Incontestablement, les voitures font moins rêver", juge Vincent Chriqui, ajoutant que c'est "une invitation claire à développer des services dans lesquels la voiture n'est plus qu'un outil au service des déplacements", à l'image de l'auto partage et du covoiturage.
La révolution numérique pour les transports est la seconde rupture identifiée par le CAS. Le Centre estime en effet que les téléphones mobiles associés à la géolocalisation permettront notamment à l'usager de se situer et lui indiqueront l'ensemble des services de mobilité à proximité.
Toujours en matière d'évolution technologique, les voitures électriques ou hybrides constituent la troisième rupture identifiée par le CAS. Cela induit une autre rupture en matière de partage de la chaîne de valeur dans le secteur automobile. Il sera possible, par exemple, d'acheter un véhicule électrique et de louer par ailleurs les batteries nécessaires à son fonctionnement. "Cette évolution rejoint l'aspiration actuelle des consommateurs à ne plus acheter un produit, mais le service correspondant", juge le directeur général du CAS.
Les collectivités locales au cœur du processus
Le CAS souligne en particulier le rôle clé des initiatives locales dans l'élaboration des nouveaux modèles de mobilité. Il s'agit en particulier de faire dialoguer des constructeurs, qui s'adressent à un marché mondial, et les autorités locales qui développent des approches variées. Afin de concilier les deux approches, "il s'agit d'organiser un espace de discussion, pourquoi pas un forum national, entre les représentants de la filière automobile, en particulier les constructeurs, les collectivités territoriales, les autorités organisatrices de transports locales et les opérateurs de transport, sur les grandes orientations et priorités de la mobilité automobile dans les différents territoires", estime Vincent Chriqui. Si le constat est partagé, Olivier Paul-Dubois-Taine, prévient néanmoins : "le dialogue va être difficile car il faut organiser une discussion entre les constructeurs, quelques acteurs de taille mondiale, et des milliers de collectivités territoriales."
Pour le président du groupe de travail, il s'agit surtout de donner aux autorités locales les compétences pour favoriser de nouveaux services de mobilité. En effet, peu d'offres s'insèrent entre les transports collectifs, pas toujours adaptés, et l'usage de la voiture particulière. Pour Olivier Paul-Dubois-Taine, il est donc important de donner aux collectivités les moyens de décider de ce qui est adapté, ou non, à leur situation particulière. De même, elles devraient avoir une plus grande autonomie pour développer les services de mobilité répondant à leur besoin.
Partager la voirie
Selon le CAS, il s'agira aussi de favoriser le partage de la voirie entre les différents modes de transport est mise en avant. "Adopter un objectif de 10 % à 20 % de part des déplacements à vélo selon les territoires" est l'une des recommandation avancée par le CAS. Pour cela "l'État devrait favoriser de nouvelles expérimentations et diffuser les expériences réussies de partage de l'espace public", propose le rapport. En effet, Olivier Paul-Dubois-Taine juge qu'il est "un peu choquant" que 70% de la voirie soit aujourd'hui réservé à la voiture, que ce soit pour la circulation ou le stationnement. Si des expériences existent, notamment les zones piétonnes ou les zone 30 km/h, elles ne mettent pas en œuvre un "vrai partage" regrette le président du groupe de travail qui les qualifie de "cache sexe." Pourtant, il explique que les mesures de partage fonctionnent bien, sont applicables sur des centaines de milliers de kilomètres et ne sont pas onéreuses. Il voit là "un champ formidable d'action pour les collectivités locales."