
Directrice générale de la performance économique et environnementale des entreprises au ministère de l'Agriculture
Actu-Environnement : Si l'agriculture s'invite aux discussions de la COP 21, ce n'est pas seulement parce qu'elle contribue au changement climatique et en subit les effets. Elle peut aussi faire partie des solutions. Lesquelles ?
Catherine Geslain-Lanéelle : Les professionnels agricoles, que ce soit en amont ou au niveau des filières de transformation, ont une forte sensibilisation sur ces questions de changement climatique. Le Groupe international d'experts sur le climat (Giec) a démontré que la survenue des phénomènes extrêmes (sécheresses, inondations…), conduirait à la réduction des rendements, mettant en cause directement la productivité agricole et la capacité que le monde aura à nourrir plus de neuf milliards de personnes en 2050.
L'agriculture, comme tous les secteurs d'activité humaine, est également contributrice du changement climatique à hauteur de 18,6% des émissions de gaz à effet de serre (GES) nationales dont le méthane (CH4) issu de l'élevage et le protoxyde d'azote (N2O) avec la fertilisation azotée. Mais elle est aussi et surtout une solution, car l'agriculture a un potentiel de réduction des émissions qui est estimée de 20 à 60% d'ici 2030, selon le Giec pour le "secteur des terres" (agriculture, forêt et sols). Certaines pratiques agricoles permettent en effet de réduire considérablement les émissions. Comme par exemple, toutes les pratiques agro-écologiques liées à l'utilisation de cultures de couverture, l'allongement des rotations, le non labour et le semi direct qui permettent de stocker plus de carbone dans le sol sous forme de matières organiques, ce qui est bon pour la fertilité des sols et les rendements ! C'est ce qui permet également de réduire l'utilisation d'intrants et notamment de fertilisants.
Via le potentiel de séquestration carbone des sols, l'initiative "4 pour 1000", lancée par la France vise à concilier les objectifs de sécurité alimentaire et la lutte contre le changement climatique. Un taux de croissance annuel du stock mondial de carbone des sols de "4 pour mille" permettrait d'absorber et de stocker l'équivalent des émissions anthropiques annuelles de CO2, soit 75% des émissions de gaz à effet de serre.
AE : Cette initiative est présentée comme une vaste coalition d'acteurs du monde agricole. Elle constitue le programme phare du ministère de l'Agriculture dans le cadre de la COP 21.
CGL : Cette initiative contribue à l'Agenda des solutions de la COP 21 et s'inscrit dans le cadre du Plan d'actions Lima-Paris (LPAA). Elle engage les acteurs (agriculteurs, Etat, collectivités, entreprises privées, chercheurs, bailleurs de fonds, ONG) dans une transition vers une agriculture productive, hautement résiliente, fondée sur une gestion adaptée des terres et des sols, créatrice d'emplois et de revenus. Par ailleurs, le ministère de l'Agriculture est également chargé d'organiser la demi-journée dédiée à l'agriculture du LPAA et dont l'initiative "4 pour 1000" est une des actions mises en avant. Nous avons identifié une vingtaine de projets ambitieux à travers notre appel à manifestation d'intérêt. Durant la COP 21, la journée du 1er décembre organisée avec la FAO, sera l'occasion de valoriser ces initiatives internationales concrètes. On ne parle pas de solutions qui sont hors de portée ! Il s'agit de pratiques connues, appliquées depuis plusieurs décennies. Ces pratiques agro-écologiques mettent l'environnement au service de la performance économique des exploitations.
L'initiative "4 pour 1000" a d'ailleurs reçu un accueil très positif, lors de la réunion des ministres de l'Agriculture du continent américain qui s'est tenue en octobre à Cancún au Mexique. Que ce soit aux Etats-Unis, en Uruguay, au Costa Rica, en Argentine ou au Brésil, il existe déjà beaucoup de ces démarches qui visent à améliorer la qualité des sols, lutter contre l'érosion et qui en voient déjà les bénéfices.
AE : Le continent américain continue pourtant de favoriser une agriculture intensive qui fait la part belle aux biotechnologies et OGM, impactant les forêts…
CGL : Je n'étais pas en terrain hostile ou méconnu. Il y a aussi dans ces pays, des agriculteurs en mouvement vers une transition agro-écologique. Leur objectif est, comme en France, de passer du pionnier à la généralisation de ces pratiques.
AE : La Coordination Sud craint que l'initiative "4 pour 1000" permette à certains acteurs économiques de se contenter de maintenir leur niveau d'émissions dans leurs secteurs d'activité, tout en finançant des programmes de restauration des sols dans les pays du Sud. Que lui répondez-vous ?
CGL : Stéphane Le Foll a été clair à ce sujet lors de son intervention devant la société civile internationale rassemblée en octobre dernier à Rome dans le cadre du Comité de la sécurité alimentaire mondiale. L'initiative "4 pour 1000" n'a pas pour objectif de mettre en place des mécanismes de compensation des émissions, notamment entre pays et au détriment du respect des droits des agriculteurs des pays du Sud. Nous l'avons écrit dans l'ensemble des documents encadrant l'initiative : l'augmentation du stockage de carbone dans les sols est complémentaire des efforts indispensables de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans l'ensemble de l'économie.
AE : L'accord de Paris peut-il soutenir, pour la première fois, des objectifs climatiques spécifiques au secteur agricole dans les contributions nationales ?
CGL : La négociation s'est engagée et n'est pas terminée. Les émissions de GES du secteur agricole sont actuellement uniquement comptabilisées par les pays développés. L'objectif de la négociation est qu'à l'horizon post-2020 l'ensemble des pays du monde prenne des engagements de réduction de leurs émissions. Ces objectifs ne sont en général pas sectoriels, et chacun est libre de définir les secteurs qui seront mis à contribution, et les politiques qui seront mises en œuvre. Mais il est particulièrement important que les méthodes de comptabilisation soient comparables et transparentes.
L'Union européenne s'est avancée sur un objectif de réduction des émissions de 30 à 40% selon que le secteur est dans ou hors-ETS (système d'échange de quotas d'émissions), à l'horizon 2030 par rapport à 1990. Je rappelle que nous n'avons pas encore, au niveau européen, défini comment nous allions répartir nos efforts de réduction entre pays. Cette négociation commencera début 2016 dans l'UE.
Les discussions ne sont pas encore conclues concernant les méthodes utilisées de comptabilisation des émissions des activités agricoles et forestières. Selon la méthode choisie, on peut avoir des bilans plus ou moins positifs.
AE : Le flou demeure également concernant la référence à la sécurité alimentaire dans le texte final.
CGL : Stéphane Le Foll a appelé à inscrire la référence à l'agriculture et à la sécurité alimentaire dans le texte de l'accord. Parler de changement climatique sans parler de sécurité alimentaire est dangereux ! En effet, il convient d'abord de s'assurer que les pratiques agricoles permettent de réduire l'impact du changement climatique sur l'agriculture et en particulier l'effet négatif sur les rendements (adaptation). Mais il est également crucial que les pratiques visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre (atténuation) n'affectent pas la production alimentaire. Le projet agro-écologique, porté par la France, vise à produire plus et mieux justement.
AE : Les systèmes d'alerte précoce et les plans d'urgence météorologique seront discutés lors de la COP 21. Quelles autres mesures pourraient être prises pour réduire la vulnérabilité des systèmes agricoles ?
CGL : Nous avons déjà des dispositifs qui existent à la fois sur les alertes météorologiques et sanitaires, comme par exemple le bulletin de santé du végétal (BSV), qui alerte les agriculteurs en temps réel du risque de prolifération de tel champignon ou de tel insecte nuisible. Le changement climatique a aussi un impact sur la santé des animaux et des végétaux, c'est pourquoi nous sommes également très mobilisés sur la surveillance des maladies émergentes, qu'elles soient animales ou végétales. Nous avons besoin de revisiter tous ces dispositifs pour s'assurer qu'ils soient bien adaptés aux enjeux. La question n'est pas juste d'envoyer la bonne information aux agriculteurs mais de les doter de dispositifs qui vont les aider à gérer ces risques. Un des défis de la politique agricole commune (PAC) post-2020 sera de mettre en place des outils de gestion des risques plus performants que ceux d'aujourd'hui.