C'est un contentieux au long cours que le Conseil d'État vient de trancher. Par une décision rendue le 27 mars 2023, la Haute juridiction administrative a validé l'annulation de l'autorisation d'exploiter la centrale biomasse de Gardanne (Bouches-du-Rhône) qui avait été prononcée par le tribunal administratif de Marseille le 8 juin 2017.
Cette centrale, exploitée par la société GazelEnergie (ex Uniper, ex E.ON), avait été retenue dans le cadre d'un appel à projets de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) lancé en 2010 afin de convertir à la biomasse l'une de ses unités, d'une puissance de 150 mégawatts, qui fonctionnait auparavant au charbon. Cette installation est au cœur du pacte pour la transition écologique et industrielle du territoire de Gardanne signé en janvier 2020 par le ministère de la Transition écologique et différentes parties prenantes.
Analyser les effets de la centrale sur les massifs forestiers
Le Conseil d'État estime que l'étude d'impact du projet aurait dû analyser les effets sur l'environnement du plan d'approvisionnement en bois de la centrale. D'après ce plan, établi en 2011, les ressources en bois d'origine locale devaient représenter 27 % de la matière entrant dans la centrale, puis atteindre 50 %. Selon l'avis de l'autorité environnementale en date du 22 mai 2012, le total de la biomasse d'origine locale devait atteindre un volume annuel compris entre 370 000 et 580 000 tonnes.
Les associations requérantes, France Nature Environnement (FNE), Convergence écologique du pays de Gardanne (CEPG) et l'Association de lutte contre toutes les formes de nuisances et de pollutions (ALNP), avaient fait valoir que l'étude d'impact était insuffisante faute d'analyser les effets de la mise en œuvre de ce plan d'approvisionnement pour les massifs forestiers. Le Conseil d'État leur donne raison et rappelle sa jurisprudence en la matière : « Les effets sur l'environnement d'un projet d'installation classée (…) doivent être déterminés au regard de la nature de l'installation projetée, de son emplacement et de ses incidences prévisibles sur l'environnement ». Mais il ajoute aussi, ce en quoi il affine cette jurisprudence, que « l'appréciation de ces effets suppose que soient analysées dans l'étude d'impact non seulement les incidences directes sur l'environnement de l'ouvrage autorisé, mais aussi celles susceptibles d'être provoquées par son utilisation et son exploitation ».
Cette analyse dans l'étude d'impact doit, conformément à l'article R. 512-8 du code de l'environnement applicable au litige, être en relation avec l'importance de l'installation en projet. Or, constate le Conseil d'État, l'exploitation de la centrale repose sur la consommation de très grandes quantités de bois provenant de ressources forestières locales. Il en résulte que les effets sur les massifs forestiers locaux devaient nécessairement être analysés dans l'étude d'impact. La Haute juridiction valide ainsi l'analyse des juges du premier degré qui avaient notamment relevé que, faute d'évaluation, aucune disposition ne permettait de s'assurer de la prise en compte des effets cumulés des opérations de défrichement rendues nécessaires par le fonctionnement de la centrale.
« Cette décision (…) reconnaît que l'exploitation de la centrale biomasse de Gardanne aurait des incidences environnementales sur l'ensemble de la zone d'approvisionnement en bois », se réjouissent les associations requérantes dans un communiqué.
Prise en compte des effets négatifs indirects des projets
Mais cet arrêt du Conseil d'État a une portée plus large que la seule centrale de Provence. « Cette décision contribue à poser les jalons d'une meilleure prise en compte des effets négatifs indirects des projets dans les études d'impact », se félicitent les associations.
« Cette décision augmente le niveau d'exigence qui doit être celui de l'Administration, puis du juge administratif, en matière d'évaluation environnementale et donc, aussi, d'autorisation des projets industriels », confirme l'avocat et professeur de droit Arnaud Gossement dans un commentaire de la décision. « Les opérations d'exploitation de ces derniers ne peuvent pas être isolées des opérations d'extraction ou d'approvisionnement qui contribuent à ladite exploitation », explique ce spécialiste du droit de l'environnement.
Un appel à la vigilance pour les porteurs de projets d'installations dont l'exploitation a des incidences sur l'environnement, du fait notamment des matières premières qu'ils utilisent.