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Centrale Gardanne : une étude d'impact au-delà des frontières du projet

Par un arrêt du 27 mars 2023, le Conseil d'Etat précise que le champ d'analyse de l'étude d'impact peut nécessiter de dépasser le cadre du projet, lorsque ses caractéristiques, ainsi que ses incidences prévisibles sur l'environnement l'exigent.

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Droit de l'Environnement N°322
Cet article a été publié dans Droit de l'Environnement N°322
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Centrale Gardanne : une étude d'impact au-delà des frontières du projet
Sébastien Bécue
Avocat au Barreau de Lyon, Green Law Avocats
   

À Gardanne, cœur historique du bassin houiller de Provence, on minait le charbon nécessaire aux industries marseillaises : huileries, tuileries et savonneries. On y trouvait logiquement une immense centrale thermique à charbon. Cette énergie mise au rebut pour les raisons que l'on sait, il fut décidé de convertir la centrale à la « biomasse ». Le bois constitue en effet, sous ce vocable, une énergie renouvelable reconnue par la loi (1) , pouvant à ce titre bénéficier des systèmes publics de soutien.

Cette reconversion, par création d'une tranche n°4 dédiée à la biomasse, est autorisée au titre des installations classées par un arrêté du 29 novembre 2012. Un plan d'approvisionnement, joint à l'étude d'impact, prévoit que la centrale doit pouvoir, pour fonctionner, outre des importations internationales, prélever environ 25 % du gisement des ressources forestières disponibles dans le rayon de 250 kilomètres.

L'autorisation est contestée par des associations et collectivités qui soutiennent que ce prélèvement risque de déstabiliser la filière bois locale et induire des impacts écologiques majeurs. Par un jugement du 8 juin 2017 (2) , le tribunal administratif de Marseille annule l'autorisation pour insuffisance de l'étude d'impact, après avoir estimé que les conditions d'approvisionnement en bois forestier, « constituent un élément essentiel de l'exploitation au regard de ses incidences prévisibles sur l'environnement » et rappelé la conclusion de l'étude d'approvisionnement indiquant expressément qu' « à court terme, la structure actuelle de la filière bois-énergie ne permettra pas de répondre aux exigences de fonctionnement de la centrale ».

Suite au jugement, le préfet édicte un arrêté qui met en demeure l'exploitant de régulariser sa situation et l'autorise à poursuivre provisoirement l'exploitation de la nouvelle tranche.

En appel, la cour de Marseille annule (3) le jugement au motif que si l'approvisionnement en bois constitue une condition de l'exploitation de la centrale, ces deux activités sont distinctes dès lors que leur finalité répond à des objectifs différents. Les incidences des coupes de bois ne relèvent pas des effets indirects de l'exploitation de la centrale, et n'avaient pas à être étudiées dans l'étude d'impact.

En cassation, le Conseil d'État annule l'arrêt, et renvoie l'affaire devant la cour, après avoir jugé que « les principaux impacts sur l'environnement de la centrale par son approvisionnement en bois, et notamment les effets sur les massifs forestiers locaux, [auraient dû] nécessairement être analysés dans l'étude d'impact ».

I. La centrale et les coupes de bois nécessaires à son approvisionnement : des projets distincts

Pour analyser et maîtriser au mieux les effets d'un projet, encore faut-il définir ce qui constitue ce projet. Le curseur varie constamment dès lors que la définition légale laisse place à l'interprétation : doivent être appréhendés (4) dans leur globalité les incidences du projet « constitué de plusieurs travaux, installations, ouvrages ou autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage », « y compris en cas de fractionnement dans le temps et dans l'espace et en cas de multiplicité de maîtres d'ouvrage ». Si une méthode de faisceaux d'indices est recommandée dans un guide ministériel (5) , et si des éléments d'interprétation ont été donnés par le Conseil d'État (6) , la subjectivité demeure.

L'erreur de compréhension de la décision commentée serait de croire que le Conseil d'État statue sur cette notion de « projet ». Ce n'est pas le cas. Si l'approvisionnement est bien considéré comme une condition essentielle du projet de centrale, les juges s'accordent sur le fait que les deux activités ne relèvent pas d'un projet unique, dont il conviendrait d'étudier les effets de manière globale. Comme le rapporteur public de la cour l'expliquait dans ses conclusions, « les opérations d'exploitation forestière ne sont pas effectuées par l'exploitant. Or ces opérations (…) sont encadrées par le code forestier dans une optique de gestion durable des forêts (…) Ces opérations relèvent d'une législation et de procédures distinctes et elles ne peuvent dès lors être prises en compte en tant que telles dans le cadre d'une autorisation d'exploiter une installation classée ». Autrement dit, c'est dans le cadre juridique propre aux coupes de bois que seront étudiés leurs impacts. La cour n'est pas censurée sur ce point.

II. Les impacts environnementaux de l'approvisionnement de la centrale en biomasse, impacts indirects du projet de centrale

Le Conseil d'État reproche à la cour de s'être cantonnée à ce constat de l'existence de deux projets distincts. La cour a en effet jugé que les impacts indirects d'un projet ne pouvaient être que ceux qui concernaient le projet lui-même : la déforestation serait ainsi un impact indirect des coupes, et pas de la centrale. Le rapporteur public de la cour s'explique ainsi : « la notion d'effet indirect de la partie réglementaire du code ne saurait dès lors avoir pour effet de revenir sur la règle énoncée par le législateur à l'article L. 122-1 selon laquelle l'impact sur l'environnement de projets distincts ne doit être appréciée globalement que dans le seul cas où ils concourent à un même programme ».

Ce que juge le Conseil d'État, c'est que lorsqu'un projet est susceptible d'induire des impacts qui relèvent d'un autre projet, alors l'étude d'impact peut devoir étudier ces impacts, en leur qualité d'impacts indirects, si certaines caractéristiques du projet l'exigent : sa nature et son emplacement, ainsi que ses incidences prévisibles sur l'environnement.

Si la notion d'impacts indirects ne fait pas l'objet d'une jurisprudence fournie, il résulte expressément du code (7) que l'étude d'impact doit porter « sur les effets indirects secondaires, cumulatifs, transfrontaliers, à court, moyen et long termes, permanents et temporaires, positifs et négatifs du projet », sur « l'utilisation des ressources naturelles (…) en tenant compte, dans la mesure du possible, de la disponibilité durable de ces ressources » et sur le « cumul des incidences avec d'autres projets existants ou approuvés, en tenant compte le cas échéant des problèmes environnementaux relatifs à l'utilisation des ressources naturelles ».

Sauf à tordre le texte, il ne fait donc aucun doute que les effets de la centrale sur le bois, ressource naturelle, doivent être étudiés.

Pour cadrer le champ de l'étude d'impact, le Conseil d'État fait référence au principe de proportionnalité, selon lequel (8) le contenu de l'étude « est proportionné à la sensibilité environnementale de la zone susceptible d'être affectée par le projet, à l'importance et la nature des travaux, installations, ouvrages, ou autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage projetés et à leurs incidences prévisibles sur l'environnement ou la santé humaine ».

La proportionnalité est centrale au contentieux, et ce n'est pas une question théorique : souvent, les dossiers traitent sur un même plan les différentes thématiques imposées, alors que la nature du projet, et le bon sens, commanderaient de focaliser l'effort sur les items qui vont effectivement être impactés par le projet. Inversement, on ne peut exiger d'analyses poussées sur un enjeu négligeable du projet. C'est ainsi en application de ce principe que le Conseil d'État valide (9) une autorisation annulée pour insuffisance d'analyse du risque lié à l'émission de particules fines, alors que les juges du fond n'avaient pas expliqué en quoi le projet en question – de méthanisation – serait susceptible d'émettre ces particules.

III. Une portée cantonnée au secteur de la biomasse ?

Le rapporteur public de la cour pointait dans ses conclusions la difficulté pratique pour le pétitionnaire d'étudier les impacts indirects du projet. Comment pourrait-il disposer des données, lui qui n'est pas maître d'ouvrage des coupes, mais seulement acheteur du bois? Le plan d'approvisionnement prévoyait ainsi qu'une partie du bois devait être importé du Brésil.

La clé réside dans l'application du principe de proportionnalité. Il ressort en effet en premier lieu de l'arrêt que ne sont concernés par cette obligation que les projets consommateurs d'importantes ressources naturelles, ce qui limite fortement le champ d'application de l'obligation. Ajoutons que ce sont également ces projets qui sont visés par la directive « RED II », qui impose aux États membres la mise en place d'une obligation de justification de la provenance des intrants utilisés à des fins énergétiques, avec mise en place d'un système de traçabilité. Le code de l'énergie impose (10) ainsi aux opérateurs prenant part à la production d'électricité à partir de la biomasse « de justifier que les critères de durabilité et de réduction des émissions de gaz à effet de serre ont été respectés », et précise les critères (11) permettant l'utilisation de la biomasse forestière à des fins de production énergétique. Le Conseil d'Etat étend cette obligation en forçant les porteurs de projets à anticiper ces questions dès l'étude d'impact.

En second lieu, le contenu lui-même de l'étude des impacts indirects doit être proportionné (12) à l'enjeu, et « dans la mesure du possible ». Le rapporteur public du Conseil d'État précise que doivent être étudiées « les conditions dans lesquelles la forêt est exploitée » - les coupes sont-elles rases, quelles sont les forêts concernées, le bois est-il produit uniquement pour l'énergie ou constitue-t-il un déchet ? On note que des études complémentaires ont été réalisées par l'exploitant suite au jugement d'annulation, ce qui démontre que la démarche est faisable. Ces études n'ont néanmoins pas été analysées par les juges : en appel parce que le raisonnement de la cour conduisait à juger que ces études n'étaient pas nécessaires, et parce que l'office de juge de cassation ne le contraint pas à instruire le contenu des dossiers. Suite à la cassation, ces études seront communiquées aux juges d'appel, et permettront de déterminer, pour reprendre l'interrogation du rapporteur public du Conseil d'État, si le projet constitue une « aberration écologique ». Il sera alors temps de s'attaquer au fond du problème : le juge peut-il, et si oui comment, refuser un projet en tant qu'il nécessite pour son fonctionnement une utilisation déraisonnable des ressources naturelles ?

1. C. énergie, art. L. 211-2

2. TA Marseille, 8 juin 2017, n° 1307619, 1404665, 15022663. CAA Marseille, 24 déc. 2020, n° 17MA03489, 17MA03528

4. C. env., art. L. 122-1 III5. CGDD, Évaluation environnementale, Guide de la réforme du 3 août 2016, août 20176. CE, 1er févr. 2021, n° 429790 : Lebon T. ; CE, 28 nov. 2018, n° 419315 : Lebon T. ; CE, 25 mai 2022, n° 4478987. C. env., art. R. 122-5

8. C. env., art. R. 122-59. CE, 13 mars 2019, n° 418949 : Lebon T.

10. C. énergie, art. L. 314-3311. C. énergie, art. L. 281-9 et L. 281-1012. C. env., art. R. 122-5, op. cit.

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