Le dispositif des Certificats d'économie d'énergie (CEE) conservera-t-il un intérêt ou sera-t-il partiellement vidé de sa substance ? Pourra-t-il financer l'ensemble des programmes que souhaite mettre en œuvre le gouvernement ? L'objectif de la troisième période doit-il être revu à la hausse pour maintenir la demande et assurer le financement de nouveaux programmes ?
Ce sont les questions que se posent sérieusement certains acteurs à mesure qu'approche le 1er janvier 2015. Initialement, la troisième période, qui devait débuter en janvier 2014 et s'étaler sur trois ans, prévoyait un quasi doublement de l'objectif global d'économie d'énergie. Mais le report d'un an de cette troisième période a modifié la situation.
L'objectif de la troisième période sera-t-il trop rapidement atteint ?
Aujourd'hui, le chiffre est validé: la troisième période imposera un volume global d'économie de 660 térawattheures cumulés actualisés (TWh cumac), soit 220 TWh cumac par an contre 115 pour la période précédente. Néanmoins la situation ne semble pas totalement figée et certains acteurs défendent une révision à la hausse du volume global. Deux éléments plaident en ce sens.
Tout d'abord, le report d'un an du début de la troisième période a permis à certains acteurs de prendre de l'avance. Si la situation n'est pas homogène parmi les obligés, certains d'entre eux ont pu "accumuler" des CEE en anticipation du relèvement de leur objectif à partir de 2015. En mai, à l'occasion du premier comité de pilotage du dispositif des certificats d'économies d'énergie, la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) du ministère de l'Ecologie a évalué à 230 TWh cumac le surplus attendu fin 2014. En maintenant l'objectif à 660 TWh cumac, un peu plus du tiers de l'objectif de la période serait réalisé avant janvier 2015 et l'objectif de la période pourrait être atteint dès la mi-période. Cela d'autant plus que l'objectif restant à réaliser est en réalité de l'ordre de 330 TWh cumac lorsque l'on retranche de l'objectif global les CEE "accumulés" ainsi que les 100 TWh réservés aux programmes d'accompagnement. Une telle situation réduit la contribution des CEE aux économies d'énergie et pose question sur les financements à l'horizon 2016-2017. Et cela, alors même que le ministère de l'Ecologie souhaite mettre en avant l'ambition française en matière d'efficacité énergétique.
Le 3 juillet, Denis Baupin, a pointé le "risque d'un dimensionnement insuffisant du volume des obligations d'économies d'énergie à réaliser". "Avant même que cette 3ème période ne s'ouvre le volume initial de 660 TWh pour les trois années à venir se trouve amputé de moitié et l'effort demandé aux fournisseurs d'énergie et de carburant correspond à la moitié de leur rythme actuel" s'est inquiété le député EELV de Paris dans une question écrite adressée à la ministre de l'Ecologie, Ségolène Royal. Selon l'élu, les "volumes insuffisants des périodes précédentes et le volontarisme de certains obligés" seraient à l'origine du surplus constaté.
Comment financer les programmes d'efficacité énergétique ?
La seconde raison est la réflexion autour du financement de nouveaux programmes d'efficacité énergétique via les CEE. Aujourd'hui, 96% des certificats délivrés le sont suite à la réalisation d'opérations standardisées qui "constituent une forme typique d'aides aux produits", critique l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui juge nécessaire de réorienter les CEE, notamment en faveur de programmes plus globaux ou du fonds de garantie pour la rénovation énergétique prévu dans le projet de loi de transition énergétique. Cependant, pour que l'ajout de nouveaux programmes soit couronné de succès, il faut que les demandes en CEE suivent, faute de quoi le financement d'éventuels programmes ne sera pas au rendez-vous.
Pour fixer les ordres de grandeur, avec une valeur de 0,309 centimes d'euros par kilowattheure (kWh) cumac, en baisse de 25% sur l'année 2013, il faudrait quelques 320 TWh cumac pour financer un programme de l'ordre du milliard d'euros. Que la valeur du CEE remonte à 0,4 centimes d'euro le kWh cumac, soit la valeur d'échange des CEE avant l'annonce du report de la troisième période et il faudrait encore 250 TWh pour financer le programme... Sans relèvement de l'objectif, un tel programme resterait donc lettre morte. C'est d'ailleurs un argument mis en avant, ce mercredi 16 juillet, par Bertrand Pancher, député UDI de la Meuse qui rappelle les "récentes déclarations de Ségolène Royal admettant le vif intérêt de ce mécanisme (…) et proposant de multiplier les actions qui en découlent".
"La question du relèvement de l'objectif est clairement à l'ordre du jour", explique Frédéric Utzmann président de CertiNergy, notamment parce que le gouvernement semble particulièrement intéressé par l'ajout de nouveaux programmes. Quel pourrait être le volume de la troisième période ? 900 TWh cumac, avance Denis Baupin, rappelant que "ce volume correspond, in fine, aux préconisations de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe)". Pour Bertrand Pancher, "seule une hausse du volume (…) à environ 1.000 Tw/h sur une période de 3 ans permettra la poursuite des efforts" d'économie d'énergie.
Selon la DGEC, ce travail, confiée à l'Association technique énergie environnement (ATEE) progresse convenablement puisque 50 fiches prioritaires, sur les quelque 270 existantes, avaient déjà été révisées mi-mai. Elles représentent 93% des CEE délivrés, indique la DGEC qui ajoute que les 40 fiches de "priorité 2" représentent 1,5% des CEE délivrés et devraient être "publiées rapidement".
A noter que les fiches non révisées en temps et en heure devraient être suspendues dans l'attente de leur révision.
L'indispensable mise à jour des textes législatifs et règlementaires est un autre élément essentiel pour l'entrée en vigueur du dispositif. Ce travail devait être achevé cet été, avait assuré Philippe Martin, alors ministre de l'Ecologie, en décembre 2013.
Sur le plan législatif, le Gouvernement a inscrit six modifications dans le projet de loi de transition énergétique. Cependant, il est très improbable que la loi soit adoptée avant la fin de l'année. En témoigne la proposition de loi facilitant le déploiement d'un réseau d'infrastructures de recharge de véhicules électriques sur l'espace public, présentée par Frédérique Massat. La députée SRC de l'Ariège, estime en effet qu'il faut agir rapidement et que l'urgence de la situation est "incompatible avec le calendrier du projet de loi sur la transition énergétique", qui devrait faire l'objet d'"une adoption définitive (…) en 2015". Une justification qu'Arnaud Montebourg, ministre de l'Economie, n'a pas contesté lorsqu'il a soutenu la proposition de loi devant les parlementaires.
Pour les CEE, la situation semble similaire, à la différence près que le Gouvernement a pris lui-même les devants. "L'Administration a appris de ce qui s'est passé entre la première et la deuxième période", explique Frédéric Utzmann, rappelant que le délai nécessaire à l'adoption de la loi Grenelle avait abouti à l'entrée en vigueur de la deuxième période avec 18 mois de retard.
Fin juin, Arnaud Montebourg et Thierry Mandon, secrétaire d'Etat chargé de la réforme de l'Etat et de la simplification, ont déposé à l'Assemblée nationale un projet de loi relative à la simplification de la vie des entreprises qui devrait permettre une adoption rapide des dispositions législatives indispensables à l'ouverture de la troisième période. Parmi les six évoquées précédemment, les deux mesures indispensables au démarrage de la troisième période ont été intégrées au projet de loi porté par Bercy : le transfert de l'obligation de la filière fioul domestique, portée aujourd'hui par les 2.000 vendeurs de fioul vers une cinquantaine de grossistes, ainsi que la possibilité de déléguer partiellement des obligations d'économies d'énergie à un tiers afin d'assurer la pérennité d'entreprises de service qui s'étaient adossées sur certains des fioulistes.
Normalement, le projet de loi, examiné en procédure accélérée, devrait être discuté en séance le 22 juillet, avant d'être étudié au Sénat.
Quant au volet règlementaire, les consultations ont déjà débuté sur différents aspects de la troisième période. S'il reste encore à réviser un texte essentiel, le décret relatif aux obligations d'économies d'énergie dans le cadre du dispositif CEE, la tache est en bonne voie semble-t-il puisque le projet de texte pourrait être mis en consultation dans les jours qui viennent.