La Banque mondiale a de nouveau alerté le 30 août des prix records des cours des céréales liés aux sécheresses qui sévissent aux Etats-Unis et en Europe de l'Est dont la Russie, gros exportateurs mondiaux. Les prix alimentaires mondiaux ont augmenté de 10 % en juillet par rapport au mois précédent, ceux du maïs et du soja "atteignant même des plafonds historiques", selon la Banque. Entre juin et juillet, les prix du maïs et du blé ont ainsi crû de 25 % alors que le prix de la graine de soja a bondi de 17 %. La tendance s'est poursuivie fin août, où le maïs et le blé ont justement atteint de nouveaux sommets. Ce 30 août, à la bourse de Chicago, le contrat de référence sur le boisseau de blé a ainsi clôturé à 9,03 dollars, contre environ 6,5 dollars fin 2011. Le contrat de référence sur le soja a lui quasiment doublé le même jour pour s'établir à 17,6 dollars.
"Les prix alimentaires ont à nouveau fortement augmenté, menaçant la santé et le bien-être de millions d'individus", a déclaré le président du Groupe de la Banque mondiale, Jim Yong Kim. "L'Afrique et le Moyen-Orient sont particulièrement vulnérables, mais cela vaut aussi pour les habitants d'autres pays où les prix des céréales ont grimpé en flèche", frappant d'abord les pays les plus pauvres, dépendants des importations. C'est en Afrique subsaharienne que les prix du maïs ont le plus fortement augmenté, jusqu'à 113 % sur certains marchés au Mozambique sur la même période. Les pays du Sahel et d'Afrique de l'Est - en proie également à une sécheresse et une crise alimentaire - ont de leur côté enregistré de fortes hausses dans le prix du sorgho – "parfois utilisé comme céréale alternative au maïs" - de 220 % au Soudan du Sud et de 180 % au Soudan entre juin et juillet, relève la Banque. Mais pour le moment, le cours du riz se maintient et a même reculé de 4 % sur la même période, assure l'institution.
L'inquiétant retour d'El Niño, perturbateur du climat
Toutefois, la situation n'augure rien d'optimiste pour l'avenir et risque encore de s'aggraver. Les prix devraient rester "élevés et volatils" sur le long terme en raison notamment des "incertitudes croissantes sur la production agricole", prévient la Banque mondiale alors que le spectre des émeutes de la faim de 2008 plane toujours. La sécheresse devrait influencer le prix du bœuf, du porc, de la volaille et des produits laitiers plus tard dans l'année, voire en 2013. A cela s'ajoutent d'autres inquiétudes : "D'autres hausses de prix significatives analogues à celles d'il y a quatre ans pourraient se produire sous l'effet de facteurs négatifs tels que des réactions de panique au niveau des politiques adoptées par les pays exportateurs" ou "un phénomène El Niño particulièrement marqué", craint la Banque en soulignant que "les conditions météorologiques sont le facteur essentiel à la base des flambées de prix soudaines du mois de juillet."
El Niño, qui se caractérise par un réchauffement des températures à la surface de l'océan Pacifique, se produit en général tous les deux à sept ans. Le retour d'El Niño observé depuis mi-août au Japon et en Australie, est souvent lié à de fortes précipitations et à des épisodes de sécheresse, aggravant à son tour les risques d'une crise mondiale alimentaire. Il peut provoquer une sécheresse susceptible d'affecter les cultures en Australie, en Afrique, en Asie du Sud-Est ou en Inde. El Niño peut aussi provoquer des hivers plus chauds ou plus humides au Japon et dans certaines zones d'Amérique du Nord. Alors que son arrivée est prévue cet automne aux USA par l'agence américaine océanographique et atmosphérique (NOAA), des précipitations salutaires sur les Etats-Unis pourraient être déclenchées. "Ce qui est certain, c'est qu'il va redistribuer la production agricole entre les pays. Un épisode modéré apporte des pluies bénéfiques, mais en cas d'El Niño puissant, ce sont des inondations et des pluies destructrices pour les cultures...", a nuancé le climatologue Hervé Le Treut au Monde.fr.
L'autre inquiétude concerne son impact sur l'Inde car il affaiblit les précipitations de la mousson qui sont déjà inférieures à la moyenne depuis juin. De quoi menacer la production de lentilles et du riz du pays alors que les prix de la céréale ont été jusqu'ici stables. Le rendement du blé en Australie, en proie aussi à une sécheresse, pourrait également en souffrir. El Niño ainsi que La Niña, courant périodique du Pacifique équatorial froid et toujours présent, "ont sans doute une influence" dans cette vague de chaleur record aux Etats-Unis, a expliqué à l'AFP Kevin Trenberth, un des responsables du Centre national pour les recherches atmosphériques à Boulder (Colorado). Un phénomène que le climatologue associe au réchauffement climatique. Pour Hervé Le Treut, "El Niño complique le réchauffement climatique. Mais on a du mal à prédire si le réchauffement favorisera les épisodes El Niño ou La Niña sous quelle forme", a précisé le scientifique au Monde.fr.
Les impacts du réchauffement ''sous-estimés", selon Oxfam
Dans un nouveau rapport publié ce mercredi 5 septembre, l'ONG humanitaire Oxfam juge de son côté que l'impact du changement climatique sur les prix alimentaires est "actuellement sous-estimé" dans les travaux de recherche existants. Un rapport publié le 10 juillet dernier par la NOAA s'était penché pour la première fois sur les liens entre le changement climatique et les phénomènes météorologiques extrêmes tout en reconnaissant la difficulté à déterminer les causes de ces événements. Or, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) prévoit une augmentation des températures de 2,5 °C à 5 °C d'ici à la fin du siècle, accompagnée d'"événements climatiques extrêmes sans précédent", rappelle l'étude menée par l'Institute of Development Studies de l'université du Sussex (Grande-Bretagne) pour le compte de l'ONG. Des recherches effectuées par l'Université de Stanford indiquent "qu'il est possible que les rendements mondiaux de maïs et de blé aient diminué de 3,8 % et de 5,5 % au cours des trente dernières années" du fait du changement climatique, ajoute le texte. "Alors que l'augmentation des émissions de CO2 se poursuit à un rythme effréné, les conditions météorologiques exceptionnelles rencontrées aux États-Unis et ailleurs dans le monde nous donnent un aperçu des conséquences du réchauffement climatique sur le système alimentaire mondial. La Terre semble bien sur la voie d'un réchauffement moyen de 2,5 à 5°C au cours du XXIe siècle. Il est temps de se soucier des conséquences en termes de faim et de malnutrition pour des millions de personnes dans le monde", souligne Tim Gore en charge du changement climatique à Oxfam.
Une sécheresse généralisée en Inde et d'importantes inondations dans toute l'Asie du Sud-Est pourraient quant à elles entraîner une hausse de 22 % du cours du riz sur le marché mondial, ce qui générerait des envolées des prix nationaux pouvant atteindre 43 %. "Cette flambée des prix s'ajouterait à l'augmentation progressive enregistrée à plus long terme dans des pays importateurs de riz tels que le Nigeria, le pays le plus peuplé d'Afrique", prévient l'étude.
"Pour lutter contre la faim, il faut réduire les émissions"
Or, "l'incidence majeure que pourraient avoir à l'avenir les phénomènes météorologiques extrêmes sur les prix alimentaires est aujourd'hui à peine évoquée dans les débats sur le changement climatique", déplore Tim Gore. Le rapport souligne "la nécessité urgente de tester la résistance au stress du système alimentaire mondial dans un monde qui se réchauffe". Les États doivent aussi "agir sans plus tarder pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, et mettre fin à des années de sous-investissement dans la petite agriculture des pays pauvres. Ils doivent en outre apporter les financements nécessaires pour aider les agriculteurs vivant dans la pauvreté à s'adapter au changement climatique", a alerté Tim Gore.
Face à la flambée des prix, la Banque mondiale s'est dit "prête" fin août à augmenter son programme d'assistance à l'agriculture, auquel elle avait prévu de consacrer plus de 9 milliards de dollars en 2012. Le 21 août, le secrétaire général de l'Organisation météorologique mondiale (OMM) Michel Jarraud a pour sa part appelé les pays à mettre en place "des politiques nationales concertées de lutte contre la sécheresse fondées sur la gestion des risques". Des politiques qui, selon l'OMM, permettraient de contrer les effets du ''changement climatique'' qui ''devrait entraîner une augmentation de la fréquence, de l'intensité et de la durée des sécheresses", a prévenu à son tour M. Jarraud. Une réunion de haut niveau sur ce sujet sera organisée du 11 au 15 mars 2013 par l'organisation onusienne.