Grâce aux nombreuses exemptions, les centrales au charbon européennes appliquent mal la règlementation sur les émissions polluantes. Cette dernière doit franchir un cap important en fin d'année. L'occasion pour les Etats membres de mettre un terme aux échappatoires, plaide un rapport publié notamment par le Bureau européen de l'environnement (BEE), le Réseau Action Climat (RAC) et le WWF. Intitulé "Pour que le nuage noir européen se lève : comment la baisse de consommation du charbon sauve des vie", le document (1) défend l'adoption des meilleurs techniques disponibles sur le plan environnemental. Celles-ci sont déjà appliquées aux Etats-Unis, au Japon, voire en Chine, expliquent les auteurs.
En 2011, 400.000 décès prématurés sont liés à la pollution atmosphérique, rappelle le document. En juillet 2016, les auteurs du rapport alertaient déjà sur le fait que quelque 23.000 décès prématurés sont imputables aux centrales au charbon européennes.
56% des centrales européennes bénéficient de dérogations
Aujourd'hui, 56% des centrales au charbon bénéficient de dérogations à la législation européenne, déplorent les ONG, qui évaluent que "ces centrales sont responsables de 13.700 morts par an". Au cœur du problème, les exemptions prévues par la directive 2010/75/UE sur les émissions industrielles (IED). Ces exceptions, décrites comme des "droits à polluer", concernent les limites d'émission d'oxydes d'azote (NOx), de dioxyde de soufre (SO2) et de particules (PM) qui devaient être respectées au 1er janvier 2016. A cette date, la directive a abaissé de 60% les limites d'émission de NOx et de particules et divisé par deux celles applicables aux SO2.
Dix mois plus tard, 143 des 257 centrales européennes ne respectent pas ces valeurs limites. La dérogation la plus fréquente est l'application d'un "plan national de transition" qui autorise les Etats membres à créer un mécanisme national d'échange de quotas entre les industriels du pays. Treize Etats utilisent le dispositif, parmi lesquels le Royaume-Uni, la Pologne ou encore l'Espagne. Quatre-vingt-dix-neuf centrales dépassent ainsi les limites réglementaires, causant 9.170 décès prématurés, selon le rapport. La deuxième dérogation la plus courante est celle dont bénéficient 30 centrales en fin de vie. Dés lors qu'une centrale doit fermer, elle est autorisée à fonctionner sans respecter les valeurs limites d'émission pendant 17.500 heures étalées entre 2016 et 2024. L'exemption négociée dans le cadre de l'adhésion de la Pologne et de la Roumanie profite pour sa part à 24 centrales "très polluantes". Trois autres dispositifs concernent les centrales alimentant des réseaux de chaleur, celles brûlant du charbon local et celles fournissant de petits réseaux électriques insulaires.
En combinant ces différentes exemptions, six pays permettent à l'ensemble de leur parc d'échapper à la directive IED : l'Espagne (15 centrales), le Royaume-Uni (11), la Finlande (10), le Portugal (2), la Slovénie (2) et l'Irlande (1). Par ailleurs, l'application de la directive IED varie sensiblement parmi les principaux pays recourant au charbon. L'Allemagne fait figure de bon élève : seulement deux centrales bénéficient de dérogations sur un parc de plus de 60 unités. A l'opposé, la Pologne et la République tchèque exonèrent respectivement 36 et 35 centrales sur des parcs de 45 et 38 unités.
Appliquer effectivement les meilleures techniques
Pour remédier à cette situation, les ONG proposent que les nouvelles règles qui doivent être adoptées mettent un terme aux échappatoires. A la fin de l'année, l'Union européenne doit valider un nouveau document de référence (Bref, pour Best references) basé sur les meilleures technologies disponibles (MTD) pour les grandes installations de combustion. Ce document présente les meilleures technologies accessibles à un coût économiquement acceptable. Initialement, le document aurait dû être adopté en 2014 pour une application à partir d'août 2018. Le 20 octobre, la version finale du document de référence doit être débattu entre Etats membres avant d'être soumis au vote du Conseil en fin d'année. Dans le meilleur des cas, il ne s'appliquera pas avant mi-2021, soit 15 ans après le début des négociations sur le sujet, déplorent les ONG.
"Les MTD présentées dans ce document sont toutes des méthodes testées et éprouvées, déjà utilisées dans des centrales au charbon européennes", rappelle le rapport, ajoutant que "les émissions associées à ces techniques sont, dans de nombreux cas, supérieures aux limites fixées aux Etats-Unis, au Japon et même en Chine". En les appliquant, les décès prématurés associés au charbon chuteraient alors à 2.600 par an. Bien sûr, pour abaisser ce chiffre à zéro, il faudrait que l'Union abandonne totalement le charbon au profit des énergies renouvelables, plaident les ONG.
Les ONG réclament surtout que soient colmatées les failles de la dernière version du projet. Par exemple, elles demandent que soit revue la définition des nouvelles centrales. Avec la règle actuelle, certaines installations rénovées seront considérées comme anciennes et bénéficieront de niveaux d'émission plus élevés. De même, elles demandent le retrait des exceptions applicables aux centrales mises en service au plus tard le 7 janvier 2014. Cette exemption permet de relever les limites d'émission applicables à 98% du parc européen, ce qui de fait, ne permettra pas de renforcer la réglementation actuelle. L'allègement des obligations des centrales installées avant 1987, de celles couvrant la demande électrique de pointe ou encore de celles brûlant du lignite riche en sulfure sont aussi dans le collimateur des ONG.