La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) s'est prononcée le 4 octobre dernier sur la question de savoir si l'obligation prévue par le droit français d'inclure ses terrains dans le périmètre d'une association communale de chasse agréée (ACCA) ne violait pas les principes d'interdiction de la discrimination et de protection de la propriété inscrits dans la Convention européenne des droits de l'homme. La Cour répond par la négative, dans la mesure toutefois où le propriétaire n'est pas un "opposant éthique" à la chasse.
Perte de l'exclusivité du droit de chasse sur ses terres
Selon la législation française, le droit de chasse appartient en principe aux propriétaires fonciers sur leurs terres. La loi Verdeille du 10 juillet 1964, qui ne s'applique pas en Alsace et Moselle, prévoit toutefois le regroupement des territoires de chasse au sein d'associations communales de chasse agréées. Leur institution est obligatoire dans 29 départements français et facultative dans les autres. Les propriétaires dont le fonds est inclus dans le périmètre d'une ACCA en sont membres de droit. Ils perdent l'exclusivité de leur droit de chasse sur leurs terres mais ont en revanche le droit de chasser sur toute la surface comprise dans le périmètre de l'association agréée.
Les propriétaires disposant d'une surface supérieure à 20 hectares peuvent toutefois s'opposer à l'inclusion de leurs terres dans le périmètre de l'ACCA ou en demander le retrait. La loi du 26 juillet 2000, prenant acte de la décision de la CEDH du 29 avril 1999, a également donné cette faculté aux propriétaires fonciers qui sont opposés à la pratique de la chasse au nom de leur conviction.
Différences de traitement entre grands et petits propriétaires
En 2002, un propriétaire foncier informa le préfet des Deux-Sèvres de son souhait de s'opposer à la pratique de la chasse de l'ACCA sur ses parcelles "au nom de ses convictions personnelles". Il adressa un nouvelle lettre au préfet en 2003 fondant cette fois-ci sa demande de retrait sur la position de la CEDH, en estimant qu'il n'y avait pas "de justifications objectives et raisonnables à contraindre ceux des propriétaires qui ne le souhaitent pas d'adhérer aux ACCA". De plus, selon lui, il n'y avait pas lieu d'opérer de différences de traitement entre grands et petits propriétaires, car cela contreviendrait aux principes de protection de la propriété et d'interdiction de la discrimination.
La préfecture rejeta la demande en 2004. Il s'ensuivit un contentieux devant les juridictions administratives françaises qui aboutit à la décision du Conseil d'Etat du 16 juin 2008. Par cette décision, la Haute juridiction valida la différence de traitement entre grands et petits propriétaires, estimant qu'elle était "instituée dans l'intérêt des chasseurs propriétaires de petites parcelles, qui peuvent ainsi se regrouper pour pouvoir disposer d'un territoire de chasse plus grand". De plus, selon le Conseil d'Etat, les propriétaires de petites parcelles ayant le choix de renoncer à leur droit de chasse en invoquant des convictions personnelles opposées à la pratique de la chasse ou d'apporter leurs terrains à l'ACCA, le système en cause n'apportait pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété.
Insatisfait de cette décision, car il souhaitait conserver le droit de chasse attaché à ses terrains pour son usage propre sans permettre aux membres de l'ACCA d'en bénéficier, le requérant français saisit la Cour européenne des droits de l'homme.
Pas de violation du principe de protection de la propriété
Par l'arrêt Chassagnou du 29 avril 2009, la CEDH avait censuré la loi Verdeille du fait qu'elle obligeait les petits propriétaires éthiquement opposés à la chasse à supporter cette activité sur leur propriété.
Le requérant estimait que la CEDH, à travers cet arrêt, ne s'était pas limitée à censurer la loi Verdeille pour ce motif mais aussi parce qu'aucune raison objective ne justifiait que seuls les petits propriétaires y soient astreints. Dans cette nouvelle décision, la Cour repousse cet argument. La solution de l'arrêt Chassagnou repose, selon elle, sur le fait que, parmi les propriétaires opposés à la chasse pour des raisons éthiques, seuls les petits propriétaires se trouvaient obligés de supporter qu'il soit fait un usage de leurs biens contraire à leur choix de conscience. "C'est cet élément qui confère à l'obligation imposée aux seuls petits propriétaires de participer au système des ACCA, génératrice de la différence de traitement dénoncée entre grands et petits propriétaires, un caractère disproportionné par rapport au but poursuivi", précise l'arrêt.
Le requérant n'étant pas un opposant éthique à la chasse, la Cour considère par conséquent qu'il n'y a pas violation du principe de protection de la propriété.
Pas de discrimination
Il était également demandé à la Cour d'examiner si le fait que seuls les propriétaires d'un fonds d'une certaine surface peuvent échapper à l'emprise des ACCA afin de conserver leur droit exclusif de chasse sur leurs terrains était discriminatoire.
La juridiction européenne répond par la négative. Elle juge convaincantes les explications du gouvernement français selon lesquelles, "en posant le principe du regroupement des petits espaces de chasse au sein de l'ACCA, le législateur entendait remédier au problème de la raréfaction du gibier, en particulier dans les régions où la propriété est très morcelée". Elle estime donc compréhensible que le législateur ait jugé inutile d'imposer la contrainte du regroupement aux propriétaires qui disposaient déjà d'un grand espace afin d'assurer une meilleure gestion cynégétique.
En bref, l'obligation imposée aux seuls petits propriétaires de mettre en commun leurs territoires de chasse n'est pas un moyen disproportionné par rapport au but qui est de favoriser une meilleure gestion cynégétique.