Il en va des chemins ruraux comme des haies. Ils ont peu à peu disparu des campagnes françaises. Les travaux préparatoires de la loi de reconquête de la biodiversité de 2016 avaient établi qu'environ 250 000 kilomètres de ces chemins avaient disparu, en France. La cause principale ? Leur appropriation par certains riverains, notamment des agriculteurs qui les mettent en culture, entravent ainsi la circulation du public et bénéficient ensuite d'une prescription acquisitive. En d'autres termes, ils en deviennent propriétaires passé un délai de trente ans, voire de dix ans si la prise de possession a été faite de bonne foi. Les chemins ruraux font, en effet, partie du domaine privé des communes et, de ce fait, ne bénéficient pas de l'inaliénabilité et de l'imprescriptibilité des voies appartenant au domaine public.
Pour mettre fin à cette hécatombe, des dispositions plus protectrices avaient été adoptées dans la loi de reconquête de la biodiversité, puis dans la toute récente loi Climat et résilience. Mais, par deux fois, ces dispositions ont été censurées par le Conseil constitutionnel qui y a vu des cavaliers législatifs, c'est-à-dire des dispositions sans lien avec les projets de loi originels. Ce qui peut paraître étonnant au regard de l'objet de ces deux textes.
Mais c'était sans compter sur le Sénat qui a lancé une nouvelle tentative. Il a en effet réintroduit des dispositions portant sur cette question dans le projet de loi relatif à « la différenciation, la décentralisation, la déconcentration », dit 3DS, que la chambre haute a adopté, le 21 juillet dernier. Cette dernière a effectivement voté des amendements du sénateur centriste Philippe Bonnecarrère (Tarn), issus de la proposition de loi Tandonnet de 2015 et portant sur le recensement communal des chemins et l'échange de parcelles. « Ces dispositions présentent un réel intérêt pour les communes rurales. Elles donnent aux communes les moyens de reconstituer plus facilement la continuité des itinéraires des chemins ruraux, qui constituent un réel patrimoine communal », a fait valoir le sénateur.
L'Assemblée nationale a adopté, le 4 janvier, le projet de loi (1) , qui comprend ces dispositions amendées. Elles pourraient donc aboutir si tant est que la commission mixte paritaire (CMP), qui doit les examiner, soit réunie avant la fin de la mandature, qu'elles ne soient pas supprimées à cette occasion et, enfin, que le Conseil constitutionnel ne les censure pas à la suite d'une éventuelle saisine.
Recenser tous les chemins ruraux
Le projet de loi autorise, en second lieu, un échange de parcelles ayant pour objet la modification du tracé d'un chemin rural. « Cette procédure ne nécessite pas de désaffectation préalable du chemin. Cela permet un réaménagement des parcelles agricoles, sans passer par un remembrement, ce qui diminue le risque de contentieux », avait fait valoir le sénateur. Et ce, alors que la question de la prescription acquisitive est « à l'origine de contentieux récurrents et aigus entre les communes et différents propriétaires privés ».
Certains ont pu voir dans cette possibilité une menace pour la biodiversité, dans la mesure où elle pourrait précisément permettre de contourner les opérations de remembrement là où elles n'avaient pas été possibles. C'est notamment pour cette raison que plusieurs députés ont déposé, sans succès, des amendements en vue d'imposer une enquête publique, ou à défaut une concertation préalable, dans la procédure d'échange. Des amendements qui ont donné lieu à des échanges nourris en séance publique à l'Assemblée nationale. « Des agriculteurs disent : "On va reprendre ce chemin, on donnera en échange un bout là-bas". Sauf que le bout qui sera donné, c'est un chemin où il n'y a rien du tout, alors que dans l'autre, il y a des arbres, de la végétation, des brise-vent naturels, des oiseaux et toute une faune », a plaidé le député Jean-Paul Dufrègne (GDR-Allier). « Faire systématiquement des enquêtes publiques est très lourd. (…) Imposer [aux maires] une enquête publique à chaque fois qu'il y a des échanges, alors que des garanties sont déjà inscrites dans la loi, c'est tout de même très contraignant », a opposé la ministre de la Cohésion des territoires, Jacqueline Gourault. Le texte voté prévoit effectivement un certain nombre de garanties : l'échange doit respecter la largeur et la qualité environnementale du chemin remplacé, et la continuité de ce dernier doit également être garantie.
« Les dispositions sur les inventaires et les échanges sont des avancées notables », se félicite effectivement Jacky Boucaret, administrateur de l'association Vie et paysages et membre du collectif « Chemins en danger ». Ce dernier estime que toutes les parties prenantes sont gagnantes dans cette possibilité d'échange. « Que faire en effet quand les agriculteurs labourent les chemins ? Sauf à engager des contentieux coûteux pour les petites communes, ces chemins sont foutus », déplore le représentant associatif. L'absence d'enquête publique au profit d'une simple information du public en mairie trouve également grâce à ses yeux dans la mesure où une procédure plus légère présente l'avantage de ne pas rebuter les agriculteurs.
Contrer la désaffectation administrative des chemins
Le texte adopté par l'Assemblée prévoit ensuite que l'affectation des chemins à l'usage du public, qui est présumée par son utilisation comme voie de passage, ne peut être remise en cause par une décision administrative. Cette disposition affiche pour ambition de contrer la décision de la cour administrative d'appel de Nantes qui, le 22 septembre 2020, a reconnu la possibilité pour un conseil municipal de vendre un chemin rural alors même qu'il n'a pas cessé d'être utilisé par le public. Or, le critère de l'utilisation par le public garantissait jusque-là son inaliénabilité.
Désormais, « un chemin rural ne peut être vendu que s'il n'est plus affecté au public, ce qui d'ailleurs fait l'objet d'une enquête publique préalable », vante Bruno Questel (LReM – Eure), rapporteur du projet de loi à l'Assemblée. « Les usagers seront satisfaits », se félicite Jacky Boucaret. « Mais en partie seulement », ajoute ce dernier, car la disposition plus ambitieuse proposée par la commission des lois de l'Assemblée a été amoindrie par l'amendement du rapporteur adopté en séance. Selon Jean-Pierre Laborde, également membre du collectif « Chemins en danger », elle aurait même été « détournée de son sens d'origine ». Bien que présenté par le rapporteur comme étant de nature purement rédactionnelle, son amendement « ne met sûrement pas à l'abri les chemins d'une désaffection juridique par une décision municipale expresse », dénonce M. Laborde. En d'autres termes, il s'agirait d'un coup d'épée dans l'eau et les communes pourront continuer « à vendre n'importe quel chemin rural à n'importe quel moment », s'indigne ce dernier.
Autre regret de l'association Vie et paysages : le rejet d'amendements qui réputaient nulle la désaffectation d'un chemin lorsqu'elle était la conséquence d'un acte visant à entraver la circulation ou violant les prescriptions du Code rural en matière de conservation et de surveillance des chemins. L'adoption en commission des lois d'un amendement surprise du député UDI Pascal Brindeau a, en effet, permis de faire « capoter ces dispositions », qui figuraient pourtant dans le projet de loi Climat et résilience avant son passage en commission mixte paritaire.
Imposer des contributions spéciales en cas de dégradation
Le projet de loi prévoit, enfin, que les communes, ou les associations syndicales chargées de leur entretien, peuvent imposer des contributions spéciales aux personnes responsables de dégradations. Ce qui va satisfaire les usagers utilisant des modes de déplacement doux (piétons, cavaliers), mais pas forcément ceux utilisant des engins motorisés (tracteurs, quads, motos), potentiellement à l'origine de ces dégradations. Il donne également aux communes la possibilité, en l'absence d'association syndicale, de confier la restauration et l'entretien d'un chemin communal à une association loi 1901.
Ces dispositions devraient permettre d'accompagner l'évolution des usages des chemins ruraux. Utilisés historiquement par les agriculteurs pour accéder à leur champ ou pour se déplacer, à pied ou à cheval, d'un village à un autre, leur fréquentation a effectivement changé. « On réduit souvent l'usage du chemin rural à un simple espace de circulation pour l'exploitation des parcelles agricoles. On dit que c'est sa vocation première : ça l'était, mais désormais le chemin rural présente deux dimensions, sur lesquelles je voudrais revenir. Tout d'abord, son importance pour la biodiversité (…). L'autre dimension, nous la connaissons tous, c'est celle du loisir », a rappelé le député André Chassaigne (GDR – Puy-de-Dôme) lors des débats.
Alors que ces chemins disparaissent, leurs usagers sont dans le même temps de plus en plus nombreux. Le Parlement parviendra-t-il à faire aboutir une réforme qui les protège davantage ? C'est là tout l'enjeu alors que les précédentes tentatives sont restées vaines.