Deux juges d'instruction ont prononcé, le 2 janvier, un non-lieu dans le scandale sanitaire de l'insecticide organochloré qui a empoisonné les Antilles. Vent debout, les victimes annoncent poursuivre leur combat judiciaire.
Un scandale sanitaire, mais un non-lieu. Deux juges d'instruction du pôle santé publique et environnement du tribunal judiciaire de Paris ont signé, lundi 2 janvier, une ordonnance de non-lieu dans l'affaire du chlordécone, cet insecticide organochaloré qui empoisonne les Antilles françaises depuis 1972. Ce pesticide cancérogène n'a été interdit qu'en 1993 alors que sa toxicité et sa persistance sont connues depuis 1969, d'après le rapport de la commission d'enquête sénatoriale de novembre 2019.
Cette issue judiciaire à la plainte pour empoisonnement, mise en danger de la vie d'autrui et administration de substances nuisibles déposée en 2006 par des associations antillaises était malheureusement prévisible. La justice avait en effet adressé à plusieurs reprises des signaux en ce sens. En janvier 2021, les juges d'instruction avaient expliqué aux associations que la plainte pourrait déboucher sur un non-lieu en raison de la prescription des faits, suscitant déjà des manifestations. En mars 2022, les deux magistrates avaient annoncé mettre fin aux investigations sans avoir procédé à des mises en examen, avant que le parquet de Paris ne requière un non-lieu, le 24 novembre dernier.
L'ensemble des avocats a l'intention de continuer les procédures, c'est-à-dire de contester cette décision
Philippe Pierre-Charles, collectif Lyannaj pou Depolyé Matinik
De manière rarissime, rapporte l'AFP, les deux juges concluent leur ordonnance de 300 pages par une explication de cinq pages sur les raisons de ce non-lieu. Reconnaissant un scandale sanitaire, elles justifient le non-lieu par plusieurs obstacles juridiques : la difficulté de rapporter la preuve pénale des faits dénoncés, commis dix, quinze ou trente ans avant le dépôt des plaintes ; ou encore l'état des connaissances techniques au début des années 1990 qui ne permettait pas d'établir le lien de causalité entre le pesticide et les atteintes à la santé.
« Non-lieu de la honte »
Sans surprise non plus, cette décision soulève l'indignation des victimes et des associations qui les défendent. « Le non-lieu de la honte », réagit la Confédération paysanne. « Seize années de procédure pour un scandale sanitaire et environnemental, plus de 90 % de la population des Antilles toujours exposée, et pour des siècles, aux contaminations contenues dans les sols et la mer. La seule réponse de la justice française est de tirer le rideau », se désole le syndicat paysan.
Mais les victimes ne baissent pas pour autant les bras. « Ce que nous savons, c'est que l'ensemble des avocats a l'intention de continuer les procédures, c'est-à-dire de contester cette décision », a assuré à l'AFP Philippe Pierre-Charles, membre du collectif Lyannaj pou Depolyé Matinik. C'est le cas de Harry Durimel, maire écologiste de Pointe-à-Pitre (Guadeloupe) et avocat historique des victimes du chlordécone, qui a annoncé faire appel de l'ordonnance. « Si la cour d'appel ne nous donne pas raison, nous ferons un pourvoi en cassation. Nous sommes déterminés à aller jusqu'à la Cour de cassation et à la Cour européenne de justice pour que justice nous soit rendue », a-t-il indiqué à La1ère, portail des Outre-mer.
L'association Générations futures, partie civile, annonce également faire appel. « Il est insupportable pour les victimes de ne pouvoir défendre leur droits lors d'un procès devenu indispensable, réagit Nadine Lauvergeat, déléguée générale de l'association. Nous serons donc cette fois encore à leurs côtés. C'est le sens de notre appel, afin que la vérité éclate et que justice soit enfin rendue. »
En avril 2021 et en février 2022, les plaintes dirigées contre d'anciens ministres avaient été déclarées irrecevables par la Cour de justice de la République.
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