
Une utilisation prolongée aux Antilles
En 1990, soit 15 ans après les Etats-Unis, la France interdit l'utilisation du chlordécone, suspecté d'être cancérigène chez l'homme. Mais les Antilles obtiennent une dérogation et l'utilisation de ce pesticide sera prolongée sur ces territoires jusqu'en septembre 1993. Pourtant, entre 1977 et 2001, plusieurs études des sols et des eaux ont mis en évidence les pollutions de ce pesticide et les probables dangers sanitaires de ce produit. Les Etats-Unis, ayant constaté des troubles graves chez les riverains et les ouvriers des usines fabricant ce produit, ont dès 1976 choisi d'interdire son utilisation. En France, il faudra attendre presque vingt ans pour qu'une telle décision soit prise. Les sols ont été contaminés et les traces de ce produit subsistent aujourd'hui dans certains sols et points d'eau de la Guadeloupe. En 1998, un rapport de la direction régionale de l'environnement (DIREN) de Guadeloupe est édifiant : dans l'eau, 100 % des prélèvements dépassaient la norme de chlordécone avec un pic de 100 fois la norme.
Cette plainte montre l'inquiétude généralisée de la population, note Aurel Clémencin, chargé de mission pesticide au mouvement pour le droit et le respect des générations futures (MDRGF), qui dénonce vingt ans d'alertes sanitaires sans prise de décision réelle. La méconnaissance et la lenteur ont servi de paravent au politique, regrette Marie Blandin, sénatrice.
Une volonté de savoir
Jusqu'en 2002, nous avons retrouvé des traces de chlordécone sur le territoire. Nous savons qu'il y a encore des stocks en Guadeloupe aujourd'hui. Nous nous battons aujourd'hui pour qu'il y ait une transparence et pour la traçabilité des fruits et légumes vendus sur nos marchés. En effet, huit communes sont largement affectées aujourd'hui et nous ne pouvons en aucun cas savoir si les fruits et légumes que nous consommons proviennent de là. Il y a une grande légèreté des pouvoirs publics dans la gestion de cette crise, explique Harry Durimel, responsable des Verts Guadeloupe, avocat et rédacteur de la plainte.
Il y a une véritable épidémie des cancers de la prostate en Guadeloupe. Et les experts ne nous donnent qu'une explication génétique, dénonce-t-il.
Certes, les populations noires sont plus touchées par ce type de cancer mais les proportions élevées relevées aux Antilles dépassent largement la simple explication génétique, analyse Marie Blandin. Un rapport de l'InVS publié récemment constate une hausse de cancers en Guadeloupe, notamment de myélomes et des cancers de l'enfant. Même si on ne tient pas la démonstration avérée du risque encouru, nous avons voté le principe de précaution. Il est donc urgent de donner raison aux personnes qui portent plainte pour déclencher la machine, explique la sénatrice. Les plaignants demandent qu'une vaste enquête épidémiologique soit menée pour mesurer l'impact de la contamination sur la santé et qu'une information judiciaire soit ouverte afin de rechercher les vrais responsables de cet empoisonnement massif.
Plainte recevable ?
La cour d'appel de Paris a été saisie par le juge d'instruction du pôle santé du tribunal de grande d'instance de Paris pour se prononcer sur l'éventuelle nullité de la procédure. En effet, l'ordonnance désignant le premier juge d'instruction ayant officié dans cette affaire a disparu. L'absence de cette pièce constitue-t-elle un vice de procédure ?
Une deuxième plainte pour empoisonnement, déposée par un particulier, est en cours d'instruction aujourd'hui au pôle de santé de Paris.
Rappelons qu'en 2008, un plan de dépollution du chlordécone a été lancé aux Antilles.