C'était l'une des priorités de la France, dans le cadre de sa présidence de l'Union européenne, pour assurer la réciprocité des normes dans les échanges commerciaux, protéger l'environnement et garantir des conditions de concurrence justes aux agriculteurs : à quelques semaines de la fin de ce mandat, la Commission vient de reconnaître la nécessité politique et la faisabilité juridique des fameuses clauses-miroirs, dans un rapport publié vendredi 3 juin. En effet, si les normes sanitaires, environnementales et de bien-être animal de l'Union s'appliquent aujourd'hui aux produits finis mis sur son marché, elles ne s'étendent pas à leurs « procédés et méthodes de production », dit PMP, en amont.
Un large consensus
Une approche prudente
La méthode préconisée par la Commission pour favoriser l'entrée sur le marché de produits plus vertueux reste toutefois assez prudente. Elle propose, d'abord, de renforcer le rôle de l'Union européenne dans les négociations multilatérales, avec l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ou l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), par exemple. Elle suggère aussi d'intégrer un chapitre sur les systèmes alimentaires durables à tout nouvel accord commercial bilatéral. Enfin, elle estime que l'Union pourrait prendre des mesures de façon autonome « lorsque cela est nécessaire pour répondre aux enjeux environnementaux mondiaux ou aux questions de bien-être animal » et « dans le plein respect des règles de l'OMC et d'autres engagements internationaux ». L'OMC ne remet pas en question le droit des pays de prendre des mesures pour protéger l'environnement, pourvu que certaines conditions soient remplies, précisent les rapporteurs.
Mais, même conformes, ces initiatives pourraient être contestées devant l'OMC et faire l'objet de représailles, prévient la Commission. Pour cette dernière, chaque proposition de réglementation devrait donc être évaluée au cas par cas et soigneusement analysée. Parmi les critères à prendre en compte, outre la compatibilité avec l'OMC, figure la faisabilité technique et économique des mécanismes de contrôle, tenant compte du rapport coûts-avantages. Et aussi le financement, la coopération technique et le renforcement des capacités : dans les pays tiers, notamment dans les plus vulnérables, ces exigences pourront par ailleurs nécessiter des mesures d'accompagnement, souligne la Commission.
Des angles morts à éclairer
Dans une note d'analyse sur le sujet, la Fondation pour la nature et l'homme (FNH) et l'Institut Veblen approuvent ce « message fort », publié « dans un contexte marqué par la guerre en Ukraine et son instrumentalisation par certains acteurs souhaitant remettre en cause les objectifs du Pacte vert et de la Stratégie "de la ferme à la table" ». Mais ces derniers pointent toutefois quelques angles morts du rapport. Ils lui reprochent, par exemple, de ne pas explorer les dispositifs existants en matière de traçabilité et de contrôle qui pourraient inspirer l'Union européenne. Ils soulignent aussi les manques de l'analyse juridique qui s'attarde, selon eux, sur le droit de l'OMC sans étudier le principe de discrimination compatible avec l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (Gatt). Mais leurs réserves se concentrent surtout sur l'absence de feuille de route ou de plan d'action dans le domaine des pesticides, permettant d'avancer concrètement sur cette question. Le rapport ne contient pas d'éléments nouveaux sur la question des importations traitées avec des pesticides interdits dans l'Union et sur les limites maximales de résidus (LMR), constatent-ils.
La nécessité de l'exemplarité
Si la Commission y rappelle bien les engagements de la stratégie « de la ferme à la table » de tenir compte des aspects environnementaux, « aucune précision n'est donnée quant à la méthode et au calendrier de mise en œuvre ». L'engagement d'abaissement au seuil de détection des LMR pour les pesticides interdits par la règlementation européenne devrait notamment être concrétisé via le projet de règlement sur l'utilisation durable des pesticides, estiment la FNH et l'Institut Verblen, ou, à défaut, via le projet de législation cadre sur la durabilité des systèmes alimentaires prévue pour fin 2023. Une approche cohérente en matière de mesures miroirs, notamment au regard du droit de l'OMC, supposerait par ailleurs de supprimer la possibilité de dérogation pour l'utilisation de substances dangereuses autorisées par l'article 53 du règlement Pesticides ainsi que la possibilité d'exporter des pesticides interdits depuis l'UE. Une exemplarité essentielle pour pouvoir imposer la réciprocité des normes. Or, face aux menaces du retour à une logique productiviste, elle doit devenir « un principe clé des politiques agricoles et commerciales européennes », insistent-ils.