"Le Parlement aura désormais à se prononcer sur les textes relatifs à l'action contre les changements climatiques, prolongeant ainsi dans notre loi fondamentale, l'action menée par notre pays depuis la COP 21, lors du sommet de Paris en 2015", a déclaré le Premier ministre le 9 mai en Conseil des ministres. Le chef du Gouvernement présentait avec la Garde des sceaux le projet de loi constitutionnelle "pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace", premier volet des trois projets de lois (constitutionnelle, organique et ordinaire) qui doivent conduire à la réforme des institutions. Le texte a été déposé le même jour sur le bureau de l'Assemblée nationale.
Compétence législative déjà existante
Mais, par cet avis, le Conseil d'Etat rejoint en fait les nombreuses critiques formulées à l'encontre du projet qui n'a pas évolué sur ce point depuis son annonce par l'Elysée le 4 mars dernier, puis sa confirmation par Edouard Philippe un mois plus tard. L'avocat Arnaud Gossement avait ainsi dénoncé son inutilité, voire son effet contre-productif. "Le Parlement pouvait déjà voter des lois relatives au changement climatique : il pourra continuer de le faire", confirme le juriste dans une tribune publiée sur Mediapart. "[L'article 34] donne compétence au législateur sans l'obliger à agir", rappelle également Julien Bétaille, maître de conférence à l'Université Toulouse 1 Capitole, dans les colonnes de la revue Droit de l'environnement.
Quant au caractère contre-productif, M. Gossement dénonce le risque d'une "conception morcelée de l'environnement" et d'une approche "carbo-centrée" contraires à la Charte de l'environnement, qui fait pourtant partie du bloc de constitutionnalité depuis 2005. Cette approche pourrait avoir des conséquences négatives sur le contrôle effectué par le juge constitutionnel ou administratif sur le respect des objectifs de lutte contre les changements climatiques par les personnes publiques, estime même le juriste.
Plusieurs observateurs ou parties prenantes se sont prononcés pour une mesure moins symbolique qui consisterait à modifier l'article premier de la Constitution en y ajoutant l'enjeu de la biodiversité. "Bonne nouvelle : Gérard Larcher dit être prêt à un dialogue avec l'Assemblée nationale pour mettre le climat dans l'article 1er de la Constitution", se réjouit le député LRM Matthieu Orphelin qui avait annoncé des propositions d'amendements allant dans ce sens. "Le remède pourrait cependant s'avérer pire que la mal", réagit là-aussi Arnaud Gossement, qui craint, avec une telle disposition, l'abandon d'une "conception globale et cohérente de l'environnement".
Le potentiel de la Charte de l'environnement peu exploité
Des pistes juridique plus sérieuses peuvent pourtant être envisagées pour inciter le législateur à lutter davantage contre les changements climatiques. Ainsi, Julien Bétaille incite-t-il les défenseurs du climat à se tourner vers l'action en manquement prévue par la législation européenne, après avoir rappelé l'obligation pour la France de réduire de 14% ses émissions de gaz à effet de serre d'ici 2020. "La seconde limite à laquelle les défenseurs du climat sont confrontés est la timidité de l'interprétation de la Charte de l'environnement par le Conseil constitutionnel", estime l'enseignant-chercheur, alors, ajoute-t-il, que "le potentiel interprétatif de la Charte est loin d'être épuisé".
Arnaud Gossement évoque, quant à lui, deux autres propositions qui mériteraient d'être débattues : la création d'un poste de vice-premier ministre en charge du développement durable proposée par Nicolas Hulot dans son pacte écologique de 2006, ainsi que l'inscription, défendue par le professeur de droit Michel Prieur, du principe de non-régression au sein de la Charte de l'environnement.
La balle est maintenant dans le camp des parlementaires qui, s'ils souhaitent renforcer la lutte contre les changements climatiques, ont maintenant les moyens d'évaluer la réelle portée juridique de la proposition du Gouvernement et des amendements qu'ils pourront déposer.