En 2020, la France a respecté la majorité de ses objectifs climatiques, non sans l'aide d'un arrêt exceptionnel des déplacements et activités émettrices. En 2021, la reprise progressive des grands secteurs émetteurs, bien qu'ils respectent encore de justesse leur budget carbone, tend vers un dépassement encore plus fort des seuils et indicateurs fixés par la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) et la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Une situation préoccupante à l'aune de l'adoption d'objectifs européens réhaussés par le plan RePowerEU et le paquet Fit-for-55, mais également de l'élaboration de la prochaine Stratégie française énergie-climat (Sfec).
Tel est le sentiment partagé par les coordinateurs de l'observatoire climat-énergie, développé par le Réseau Action Climat (RAC), lors de la présentation des chiffres de l'année 2021, ce jeudi 22 septembre, à l'Académie du climat, à Paris. Pour rappel, cette plateforme en ligne recense et compare toutes les données compilées, secteur par secteur, par le Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (Citepa) et le Service de la donnée et des études statistiques (Sdes) du ministère de la Transition énergétique.
Vers un dangereux « retour à la normale »
Même chose dans le bâtiment : si les émissions semblent apparemment réduites, la tendance des dernières années n'indique, en réalité, pas une réelle baisse. La faute, rappelle Anne Bringault, coordinatrice des programmes du RAC, au manque de rénovation énergétique performante des logements. « Aux dernières estimations, seuls quelques dizaines de milliers de bâtiments sont rénovés, chaque année, en France, alors que l'objectif du gouvernement, lors du précédent quinquennat d'Emmanuel Macron, était de transformer 370 000 bâtiments par an à partir de 2022. »
Les secteurs de l'industrie, des déchets et de l'agriculture, quant à eux, n'ont pas respecté leur budget carbone en 2021. Là encore, la stagnation de l'action publique ne leur facilite pas la tâche, selon le RAC. La complexe décarbonation de l'industrie, envisagée par plusieurs dispositifs soutenus, pour la plupart, par le plan France 2030, n'a pas encore porté ses fruits. En outre, « le manque d'accompagnement pour réduire l'utilisation d'engrais azotés de synthèse ou pour soutenir l'agriculture biologique n'aide pas le secteur agricole à atteindre son objectif climatique, explique Cyrielle Denhartigh, responsable du programme agriculture et alimentation pour le RAC. Et les mesures de résilience attendues dans la prochaine loi d'orientation agricole, dont on ne connaît (…) pas grand-chose pour l'instant, ne permettront pas sa nécessaire transformation. »
Un bilan climatique et énergétique insatisfaisant
Au bout du compte, la France atteint la cible sans grande fierté. En 2021, la somme brute de toutes les émissions des différents secteurs, 418,2 MtCO2e, demeure certes sous la barre des 422,1 MtCO2e. Mais cette victoire apparente cache une réalité moins glorieuse : le bilan net des émissions territoriales (en France métropolitaine et en outre-mer) dépasse de 20,4 MtCO2e l'objectif fixé à 384 MtCO2e. Cet écart vient d'un taux d'utilisation des terres, changement d'affectation des terres et foresterie (UCTATF) encore trop important. En d'autres termes, l'absorption estimée du carbone par les forêts et les sols reste insuffisante, selon le RAC. « Leur capacité est clairement surévaluée, en conclut Zélie Victor, responsable du programme énergie. Il faut à tout prix miser sur une réduction des émissions nettes plutôt que sur leur absorption et, dans un second temps, éviter l'artificialisation des sols et favoriser des pratiques comme l'agroforesterie. »
Par ailleurs, s'agissant des objectifs énergétiques inscrits dans la dernière PPE, le cas français n'est pas non plus très reluisant. Consommation finale d'énergie 0,8 % supérieure au plafond, dont une consommation d'énergies fossiles excédant de 15 térawattheures (TWh) la cible, ainsi qu'une part d'énergies renouvelables toujours sous la barre des 23,7 % attendus sur le plan national par l'Union européenne. « Pour suivre la feuille de route de la PPE comme il se doit, nous devons tendre vers une réduction annuelle de la consommation d'énergie de 7 %, dès 2023, mais la sobriété émerge tout juste dans les politiques publiques [avec le nouveau plan de sobriété énergétique visant - 10 % d'ici à 2024 ; NDLR], alors qu'elle devrait déjà avoir été anticipée et s'appliquer à tous les secteurs », énonce Zélie Victor.
Le début d'un chantier législatif déterminant
À cela s'ajoutera l'ouverture, dès le début du mois prochain et jusqu'en janvier 2023, du débat public consacré à l'élaboration de la nouvelle PPE. Cette loi de programmation complètera, d'ici à la fin de l'année 2023, les révisions apportées aux autres textes composant la Sfec : le Plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc), la SNBC ainsi que d'autres « travaux de planification » évoqués récemment par la Première ministre, Élisabeth Borne. Et, compte tenu des « mesures climaticides de ce début de second mandat » (en référence au redémarrage des deux dernières centrales à charbon et de la mise en chantier d'un nouveau terminal méthanier), les spécialistes du RAC paraissent, pour le moment, plutôt pessimistes.
Enfin, une loi de programmation des finances publiques est aussi prévue, mais seulement une fois la Sfec publiée, c'est-à-dire à l'horizon 2024. La peur des experts du RAC est qu'elle soit détachée des dépenses associées à l'énergie et au climat. « Sans corrélation entre le budget de l'État et nos objectifs climatiques, nous ne pourrons pas les atteindre, estime Émeline Notari, responsable du programme politiques climat pour le RAC. Il nous faut définir et pérenniser des mesures fléchées et éviter des investissements ponctuels et temporaires. »