Une étude, réalisée par trois historiens et publiée dans la revue académique internationale Global Environmental Change, met en évidence que TotalEnergies (précédemment Total et Elf, jusqu'à leur fusion en 2000) connaissait depuis 1971 la possibilité d'un dérèglement climatique lié à la consommation de combustibles fossiles. Surtout, TotalEnergies a mené une stratégie pour limiter l'impact que pourraient avoir sur ses activités une politique climatique ambitieuse.
« La multinationale a consciemment mis en place, au cours de ces cinquante dernières années, différentes stratégies de fabrique du doute autour de l'urgence climatique afin de discréditer la science, et empêché par un lobbying féroce toute forme de régulation de ses activités, tout en continuant à développer massivement et presque exclusivement les énergies fossiles », explique Notre Affaire à tous et 350.org, qui relaient l'article. Les deux associations « exigent des décideurs publics de tenir la multinationale responsable et des institutions financières de cesser de la financer ».
TotalEnergies ne partage pas cette lecture : « La connaissance qu'avaient Elf ou Total du risque climatique depuis les années 1970 n'était en rien différente des connaissances et publications scientifiques de l'époque », explique le groupe, estimant qu'« il est donc faux de soutenir que le risque climatique aurait été tu par Total ou Elf dans les années 1970 ou depuis ».
Ces révélations font suite à celles du même ordre concernant les stratégies menées par d'autres géants de l'industrie pétrolière pour miner les politiques de réduction des émissions de gaz à effets (GES). Ont notamment été pointés du doigt, l'américain ExxonMobil, le britannique BP et l'anglo-néerlandais Shell.
Plusieurs phases se succèdent
Sur la base des archives de TotalEnergies, les trois auteurs montrent que l'entreprise a eu très tôt conscient de l'impact climatique de l'extraction pétrolière et gazière. Cette connaissance débute dès 1971, avec un article intitulé « La pollution atmosphérique et le climat » publié dans Total Information, la revue interne de l'entreprise. Ce texte, rédigé par un universitaire spécialiste du sujet, alerte déjà sur l'origine anthropique du dérèglement climatique et sur de potentielles conséquences désastreuses. Comment les dirigeants de Total et d'Elf ont-ils appréhendé le sujet après cette première alerte ?
Jusqu'à la fin des années 1980, la première réponse a été de minorer publiquement la réalité des changements climatiques et de nier le rôle des activités humaines. Pourtant, l'entreprise s'intéresse à son impact environnemental dès 1971 et participe aux programmes de recherche sur le climat portés par l'American Petroleum Institute. En interne, les dirigeant d'Elf préparent l'entreprise « à se défendre » contre d'éventuelles taxes basées sur l'impact climatique du pétrole, montre une archive citée par l'étude.
La décennie 1990 ouvre une nouvelle séquence au cours de laquelle l'entreprise participe, avec d'autres acteurs de son secteur, à la « stratégie de fabrique du doute ». Pointant les incertitudes, ils appellent à de nouvelles études avant d'envisager de réduire les émissions de CO2. En 1992, le lobbying d'Elf auprès de l'État et à Bruxelles met notamment en échec le projet d'écotaxe européenne.
Enfin, à partir de la fin des années 1990, Elf et Total ne remettent plus en cause le dérèglement climatique. Pour autant, les deux entreprises tentent toujours de limiter l'intervention des pouvoirs publics en mettant en avant leurs actions en faveur du climat, tout en continuant à développer leur acticité d'extraction de pétrole et de gaz.
Les pouvoirs publics doivent contraindre TotalEnergies
Aujourd'hui, Notre Affaire à tous et 350.org demandent surtout aux « gouvernements et acteurs financiers [de] contraindre TotalEnergies à s'aligner sur les recommandations du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) en cessant de développer de nouveaux projets fossiles ». Concrètement, les deux ONG souhaitent aussi que les acteurs financiers s'engagent à ne pas financer de nouveaux projets d'exploration et d'exploitation d'énergies fossiles et rejoignent le mouvement de désinvestissement des combustibles fossiles. Elles demandent en particulier à la BCE d'exclure Total et l'industrie fossile des programmes d'achat d'actifs.
Les deux organisations jugent aussi « impératif » le lancement d'une commission d'enquête parlementaire « pour faire toute la lumière sur la manière dont les décisions climatiques des pouvoirs publics ont été prises durant toutes ces décennies ». Elle pourrait notamment accéder aux archives des entreprises des secteurs des énergies fossiles et de l'automobile pour faire la lumière sur le lobbying en défaveur du climat.