Le Conseil d'État donne satisfaction à la commune de Grande-Synthe menacée de submersion. Il enjoint au Gouvernement de prendre des mesures supplémentaires avant mars 2022 pour respecter la trajectoire de réduction de 40 % des émissions de GES d'ici 2030.
« Cette décision s'inscrit dans l'histoire ». C'est par ces mots que Corinne Lepage, avocate de la commune de Grande-Synthe, a accueilli la décision du Conseil d'État rendue ce jeudi 1er juillet. Cet arrêt s'inscrit en effet à la suite des grandes décisions de justice climatique prises aux Pays-Bas et en Allemagne.
La Haute juridiction administrative française a donné satisfaction à la commune du Nord menacée de submersion et à son ancien maire, Damien Carême, rejoints dans leur action par les villes de Paris et de Grenoble, ainsi que par les associations à l'origine de l'Affaire du siècle. Ceux-ci souhaitaient contraindre l'exécutif à prendre les mesures qui s'imposent afin de respecter ses engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) faisant suite à l'Accord de Paris.
Dans une première décision en date du 19 novembre 2020, le Conseil d'État avait demandé au Gouvernement de justifier sous trois mois que la trajectoire de réduction permettant d'atteindre l'objectif de -40 % en 2030 (par rapport à 1990) pouvait être respectée sans avoir à prendre de mesures supplémentaires. Après de nouveaux mémoires adressés par ce dernier et une instruction contradictoire, le rapporteur public avait conclu, le 11 juin dernier, à la nécessité d'enjoindre au Gouvernement de prendre sous neuf mois toutes mesures utiles permettant de respecter ses engagements.
L'étau se resserre autour de l'État.
Célia Gautier, Fondation Nicolas Hulot
Le Conseil d'État a suivi ces conclusions. Il relève que la baisse des émissions de 2019 et 2020 sont faibles, ou non significatives, et que la stratégie nationale prévoit une diminution de 12 % des émissions pour la période 2024-2028, contre 6 % sur la période précédente (2019-2023). Or, d'après les avis de plusieurs instances (
CGEDD,
Cese, Haut Conseil pour le climat), cet objectif ne pourra être atteint à défaut d'adopter des mesures supplémentaires à court terme. Et ce, alors même que l'objectif de -40 % est déjà obsolète puisque l'Union européenne a adopté un
objectif de réduction de -55 %.
Au centre des débats de la présidentielle
Selon le Conseil d'État, le ministère de la Transition écologique admet lui-même l'insuffisance de la politique du Gouvernement dans la mesure où il met en avant les mesures prévues dans le projet de loi Climat et résilience et ses décrets d'application qui ne font pourtant pas encore partie du droit positif. De plus, même si toutes ces dispositions étaient mises en œuvre, elles ne permettraient de réduire que de 38 % les émissions en 2030, comme l'a démontré l'étude du Boston Consulting Group commandée par ce même ministère.
Du fait de cette insuffisance, le juge administratif enjoint au Premier ministre de prendre toutes mesures utiles avant le 31 mars 2022 pour infléchir la courbe des émissions produites sur le territoire national. Une échéance qui n'est pas neutre puisqu'elle intervient un mois avant les élections présidentielles. « Cela veut dire que la question climatique devra être au centre des débats de la présidentielle », annonce Mme Lepage.
Le gouvernement français est donc plus que jamais sous pression dans la mesure où la loi climat et résilience, dont il vante les mérites, se révèle insuffisante avant même d'être votée. Dans son rapport annuel publié le 29 juin, le Haut Conseil pour le climat relève que la France doit doubler son rythme de réduction des émissions sur la période 2024-2028. « L'étau se resserre autour de l'État », estime Célia Gautier de la Fondation Nicolas Hulot (FNH). « On va aller plus loin sur la réparation du préjudice écologique pour continuer à resserrer l'étau », annonce la porte-parole de l'Affaire du siècle, autre grand procès climatique de l'Hexagone, dont l'issue dépend de la décision rendue ce jour.
Rendre obligatoire une priorité climatique
Quant à la nature des mesures que l'État doit prendre, « ce n'est pas à nous de le dire », explique-t-on au Conseil d'État. « Le Gouvernement aurait déjà dû appliquer les 149 propositions de la Convention citoyenne pour le climat », juge de son côté Célia Gautier. La responsable climat-énergie de la Fondation Nicolas Hulot rappelle que les leviers d'actions les plus importants se situent dans le bâtiment, les transports et l'agriculture. « Dans toutes les décisions, on ne devrait pas avoir le droit de créer de nouvelles émissions sans avoir une solution de compensation systématique », propose, quant à elle, Corinne Lepage. Mais la demande des requérantes visant à rendre obligatoire une priorité climatique et à interdire toutes mesures susceptibles d'augmenter les émissions de gaz à effet de serre a été écartée par le Conseil d'État.
En tout état de cause, ce dernier va « relever les compteurs » fin mars 2022 et si les mesures prises se révèlent toujours insuffisantes, il prononcera une astreinte comme il l'a fait dans le contentieux sur la pollution de l'air porté par Les Amis de la Terre. Dans ce litige, l'astreinte s'élève à 10 millions d'euros par semestre. « Elle devrait être beaucoup plus élevée dans ce cas », estime Corinne Lepage. Dans un troisième temps, le juge pourra liquider l'astreinte, c'est-à-dire ordonner son paiement, si l'exécutif se révèle toujours défaillant.
« La question est de savoir si le Gouvernement suit la position Merkel ou s'il fait l'autruche », analyse Célia Gautier. Suite à la décision de la Cour constitutionnelle allemande, Berlin n'a en effet pas traîné en rehaussant de 55 à 65 % l'objectif de réduction pour 2030. « J'attends du gouvernement français qu'il fasse la même chose pour que le pays où a été signé l'Accord de Paris respecte ses objectifs », exhorte Mme Lepage.
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