Le gestionnaire de transport d'électricité RTE poursuit le décryptage détaillé de son étude prospective Futurs énergétiques 2050, présentée en octobre dernier. Après une analyse du volet consommation électrique, puis celui sur les coûts des scénarios, il s'attache, cette fois, à évaluer les conséquences des évolutions climatiques sur le système électrique et, inversement, les impacts de ces choix énergétiques sur les émissions de carbone. Plusieurs enseignements en ressortent, bien utiles pour mettre fin à certaines idées reçues et éclairer les choix politiques à venir.
Vers une perte de production nucléaire
Pour élaborer ses futurs énergétiques possibles, RTE s'est basé sur les prospectives du Giec afin d'intégrer les conséquences du réchauffement climatique sur le système électrique, avec l'aide de Météo-France et de l'Institut Pierre-Simon-Laplace. « C'est un exercice inédit, qui nous a permis de traduire la variabilité attendue du climat en chroniques horaires de production et de consommation d'électricité », explique Thomas Veyrenc. Et le directeur du pôle stratégie chez RTE d'expliquer : « Nous avons réussi à simuler l'équilibre offre-demande et le fonctionnement du réseau pour chaque heure de l'année. Ce sont des calculs très complexes, qui permettent d'aller beaucoup plus dans le détail que d'autres études. »
La baisse du niveau d'eau dans certains fleuves va accroître le risque d'indisponibilité de certaines centrales nucléaires, qui les utilisent pour se refroidir. Quatre sites concentrent 90 % des risques, avec des pertes de productibles pouvant atteindre 6 GW : Chooz, sur la Meuse, Bugey et Saint-Alban, sur le Rhône, Golfech, sur la Garonne. « Ces indications sont très utiles, notamment si la France s'engage à construire de nouveaux réacteurs nucléaires sur les sites existants. C'est une donnée à prendre en compte », suggère Thomas Veyrenc.
Les choix français influenceront le bilan carbone de l'Europe
Le système électrique français devra donc faire face à de nouveaux enjeux climatiques d'ici à 2050, mais il est aussi la réponse pour baisser les émissions de carbone du pays. Pour RTE, il est clair qu'électrifier des secteurs où les émissions sont diffuses et difficiles à maîtriser (comme les transports, le bâtiment ou encore l'industrie) permettra de sortir des énergies fossiles dont la France dépend encore à hauteur de 60 %. « D'ici à 2050, l'électrification des usages permettra de réduire de 121 millions de tonnes les émissions des transports, de 51 millions de tonnes celles liées au chauffage des bâtiments et de 50 millions de tonnes celles de l'industrie manufacturière », chiffre Thomas Veyrenc. Dans l'ensemble, le secteur électrique contribuera ainsi pour un tiers de la réduction des émissions totales de la France d'ici à 2050 selon les calculs de RTE, et pour plus de la moitié de la réduction des émissions liées à l'énergie.
Mais qui dit électrification des usages, dit hausse de la consommation et, par conséquent, baisse des exportations. Ce qui ne sera pas sans effets pour la décarbonation du système électrique européen. Et ce sera d'autant plus visible en fonction du rythme de fermeture des centrales nucléaires pour abaisser à 50 % la part de l'atome dans le bouquet énergétique national. « Les scénarios dans lesquels on ferme de manière accélérée les centrales conduisent à une réduction des exports d'électricité, avec un impact sur le bilan carbone de l'Europe et sur la probabilité d'atteindre son nouvel objectif de – 55 % d'ici à 2030 », constate Thomas Veyrenc. Seule option pour RTE : assurer un rythme de développement des énergies renouvelables à la hauteur. « La décarbonation de l'ensemble dépend du rythme de production des ENR. Si on est en retard, l'électricité non produite sera compensée par du fossile. Dans tous les scénarios, il y a urgence à se mobiliser ! Il faut que le rythme de développement des systèmes de production bas carbone dépasse celui de la fermeture des réacteurs », prévient le spécialiste.
La réindusrialisation favorise la réduction de l'empreinte carbone de la France
Mais ces énergies renouvelables et ce nucléaire ne provoquent-ils pas des émissions de carbone à l'autre bout de la planète ? RTE a étudié la question par une approche « cycle de vie » afin de lever tous les doutes et mettre fin à quelques idées reçues. « Même en intégrant le cycle de vie, les ENR et le nucléaire sont moins émetteurs que les énergies fossiles, il n'y a aucun doute. Leur développement ne va pas délocaliser les émissions de carbone ailleurs. » En prenant en compte les émissions directes et indirectes, RTE calcule que la filière bois-énergie émet 66 gCO2/kWh, le biogaz agricole 70, le photovoltaïque 43, l'éolien terrestre 16 ou encore 7 pour le nucléaire. Alors que pour le fioul, il faut compter 930 gCO2/kwh et 400 pour le gaz fossile brûlés dans des centrales à cycle combiné.
Ces filières ENR peuvent encore améliorer leur bilan carbone si la production des équipements nécessaires à leur développement se relocalise en France. D'ailleurs, là aussi, RTE met fin à une idée reçue : la réindustrialisation de la France ne va pas plomber son bilan carbone. Au contraire, le scénario « réindustrialisation profonde » conduit à réduire les émissions de 20 millions de tonnes en 2030 par rapport au scénario de référence. Ce qui pourrait permettre à la France et l'Europe d'atteindre le nouvel objectif du Green Deal (- 55 % d'ici à 2030). « C'est un point important de notre étude. Ce scénario permet de limiter de 900 millions de tonnes les émissions d'ici à 2050, même dans un monde qui s'achemine vers la neutralité carbone », conclut Thomas Veyrenc.