
Cycles végétatifs plus courts, vendanges précoces, typicité modifiée… Depuis près de vingt ans, les professionnels de la vigne constatent l'influence de la hausse des températures sur la culture de la vigne et sur la qualité du vin. Si nous raisonnons à l'échelle immédiate, le réchauffement climatique est positif pour la viticulture. Il y a plus de sucres dans le vin, donc plus d'alcool, le degré d'acidité baisse… Globalement la qualité du produit augmente. Le constat est flagrant dans les régions où le climat n'est pas idéal pour la viticulture. Là où les vignes n'arrivaient pas à maturité, depuis près de vingt ans, on obtient de bons millésimes. La hausse de températures entraîne également une réduction des maladies traditionnelles de la vigne, sauf en 2008, année exceptionnelle, froide et tardive. Les amateurs de bons vins doivent-ils se réjouir pour autant ? Pas vraiment… Des éléments commencent à être négatifs dans les régions chaudes et sèches. Les rendements sont plus faibles, les plants souffrent de stress hydrique (manque d'eau). 2003 est un cas d'école. Les experts estiment que cette année pourrait préfigurer de ce qui nous attend à l'avenir. En 2003, nous avons basculé de l'autre côté d'une ligne de crête qui est celle de la qualité maximale…
Conséquences ? En Californie, il faut désalcooliser le vin. Certaines zones commencent à se révéler impropres à la culture. Un déplacement des cultures vers le Nord a déjà commencé. Dans la seconde moitié du vingtième siècle, ce déplacement est estimé de 100 à 200 km vers le Nord. A quand le Champagne en Angleterre ?! Certains producteurs se seraient déjà penchés sur la question…
Le climat devrait redessiner la carte des vins
La hausse des températures pourrait bel et bien bouleverser la carte du vin. On estime qu'une hausse de 1 degré des températures correspond à un déplacement de près de 160 km vers le Nord. Selon les différents scénarios envisagés par le GIEC (groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), les conséquences ne seront pas les mêmes, analyse Joël Rochard, de l'Institut Français de la Vigne et du Vin. Une hausse de 1 degré nécessiterait des adaptations culturales qui devraient permettre de maintenir l'intégrité des terroirs et des cépages. Si la hausse se maintient entre 1 et 3,5 degrés, la carte ne sera pas forcément modifiée, il faudra simplement adapter les cépages. Au-delà de 5 degrés, cela pose des problèmes. Mais alors les problèmes dépasseront largement la problématique de la viticulture dans ce cas là et la question de la carte des vins sera loin d'être prioritaire…
Les régions septentrionales et d'altitudes devraient développer de nouvelles cultures, au détriment des régions sèches et chaudes. Dans le Sud, on peut penser qu'il y aura une disparition des vignobles, note Jean-Pierre Chabin. En Europe, l'Angleterre, la Belgique, les Pays-Bas ou la Pologne devraient devenir de grands producteurs de vin. Le Canada deviendrait également un grand pays viticole. Dans l'hémisphère Sud, les vignobles devraient gagner des latitudes plus basses. La Tasmanie, l'Argentine, le sud de la Nouvelle Zélande deviendraient des territoires viticoles. Le mouvement devrait être mondial : on assistera à une expansion de la vigne dans certaines régions et à un repli dans d'autres.
L'exemple le plus marquant est celui de l'année 2007 en Australie où la production viticole a chuté. Il a fait très chaud, très sec, il n'y avait pas d'irrigation. La récolte a été mauvaise et des milliers de vignerons ont disparu. C'est un exemple contemporain de ce qui pourrait nous attendre.
Outre les bouleversements géographiques, on devrait assister à des changements de typicité : les appellations d'origine contrôlées seront bouleversées. Les cépages traditionnels ne donneront pas la même typicité. Par exemple à Beaune (Bourgogne), selon les spécialistes, le pinot noir aurait la typicité d'un Côte du Rhône de la région de Vienne. C'est un phénomène concret de transfert latitudinal : on retrouve les caractéristiques thermiques traditionnelles de la région de Vienne à Beaune.
Une problématique globale
Comme globalement l'évolution de climat va dans le sens d'une hausse de la qualité du vin, cela ne favorise pas la prise de conscience des professionnels pour prendre à bras le corps le problème, regrette Jean-Pierre Chabin. Pourtant, les spécialistes se penchent déjà sur les solutions techniques à mettre en œuvre pour limiter l'impact d'une hausse des températures sur les cultures. Parmi les solutions envisagées : les adaptations culturales (vignes plus hautes et plus larges pour limite l'ensoleillement), l'irrigation mais aussi le changement de cépages. Ces solutions entraîneraient un grand bouleversement cultural et culturel. Dans un milieu où la tradition est très forte, comment va-t-on en l'espace d'une ou deux générations s'adapter à des pratiques si différentes ?
Pour Jean-Pierre Chabin, la question dépasse celle du réchauffement climatique : Il faut un investissement de toute la société viticole pour traiter l'ensemble des problèmes, notamment ceux de l'érosion et de la pollution. La viticulture est en effet face à un problème environnemental global qui ne se résoudra pas à l'aide de simples mesures techniques mais par une modification globale des comportements.