Pour Jean-Louis Schilansky, président de l'Union française des industries pétrolières (Ufip), "on ne change pas le code de la route pour arrêter la circulation". Cette boutade résume bien le point de vue des industriels et organismes publics invités à donner leur point de vue dans le cadre d'une audition sur la réforme du code minier organisée mercredi 23 janvier par la commission développement durable de l'Assemblée nationale.
Certes les industries extractives sont "favorables à une rénovation du code minier", mais il est essentiel de préserver sa "vocation à encourager" l'exploitation minière en France, a expliqué le président de l'Ufip.
A noter que si le code minier traite de sujets variés (l'ensemble des mines, mais aussi la géothermie, le stockage souterrain de gaz naturel et le stockage géologique du CO2), le débat a surtout été illustré par deux sujets d'actualité : le gaz de schiste et l'orpaillage en Guyane.
En ouverture de l'audition, le député PS de l'Indre Jean-Paul Chanteguet, président de la commission développement durable, a régi à ce communiqué qu'il a lu "avec un peu de déplaisir". Pourquoi n'avoir ouvert cette audition aux seuls industriels et institutions publiques ? Simplement parce qu'il "[n'a pas] souhaité que ce soit une confrontation".
Le droit de suite, c'est à dire le fait qu'un détenteur d'un permis d'exploration puisse obtenir quasi-automatiquement, s'il en fait la demande, un permis d'exploitation minière a constitué l'un des principaux sujets d'échange. Le maintien de cette procédure figure en bonne place parmi les demandes des industriels qui souhaitent assurer des conditions favorables à l'exercice des activités minières.
"Peut-on refuser le droit d'exploiter après avoir autorisé l'exploration ?", ont demandé de nombreux députés. Si tel est le cas, "vous n'aurez personnes", a prévenu Jean-Louis Schilansky, qui a rappelé que les investissements d'exploration ne sont engagés que si les entreprises ont l'espoir de les amortir lors de la phase d'exploitation.
Catherine Tissot-Colle, présidente de la Fédération des minerais, minéraux industriels et métaux non ferreux (Fedem), soutient elle aussi le maintien de cette logique. Néanmoins, elle a suggéré que l'obtention du permis d'exploiter n'est pas aussi automatique qu'on le pense généralement. Elle a notamment expliqué qu'il faut respecter un cahier des charges avant de passer à l'exploitation d'une mine et que l'instruction du dossier permet à l'Etat de refuser l'attribution de permis.
Connaître la ressource ou préparer l'exploitation ?
Reste que cette défense du droit de suite n'a pas convaincu la députée socialiste ardéchoise Sabine Buis qui note un écart entre ce plaidoyer et le discours des industriels qui demandent à explorer le sol français pour connaître les ressources en hydrocarbures non conventionnels tout en assurant ne pas envisager à l'heure actuelle l'exploitation de la ressource. Une contradiction qui a aussi été relevée par Bertrand Pancher, député UDI de la Meuse.
Quant à François-Michel Lambert, député EELV des Bouches du Rhône, il s'est interrogé sur le caractère quasi-automatique du droit d'exploiter, alors que l'on ne connaît pas les impacts éventuels de la future mine au moment de l'attribution du permis d'exploration.
Autant de remarques qui renvoient à la nécessaire amélioration du processus d'information et de participation du public. Pour Jean-Louis Schilansky, s'il faut renforcer l'information du public c'est surtout pour favoriser l'"appropriation du projet". Une conception du débat public qui traduit un "dysfonctionnement", a estimé en réaction Sabine Buis qui décèle une volonté de convaincre les populations locales plutôt que de prendre en compte son avis. En réponse, le représentant de l'Ufip a précisé qu'il soutient un dialogue avec le public qui inclut l'information et la participation à la prise de décision, tout en défendant "la proportionnalité de la participation".
Répartir le pouvoir
La place accordée au public dans la prise de décision se traduit aussi en termes de répartition des pouvoirs entre le niveau national et les échelons locaux. Du choix du législateur pourrait dépendre la faisabilité des projets puisque dans l'esprit des participants, le débat public concerne avant tout les questions locales. Seul, François Demarcq, directeur général délégué du bureau de recherches géologiques et minières (BRMG), a évoqué l'éventualité d'un débat national lié à un choix de société qui questionnerait "l'intérêt même de l'exploitation des ressources".
En substance, les intervenants soutiennent plus ou moins explicitement que le fait de confier à l'Etat la prise de décision revient de facto à limiter la place du débat public qui, au regard de l'opposition à l'exploration des gaz de schiste, est initié par les prises de position des populations concernées. A l'inverse, accorder un rôle central aux collectivités et populations locales reviendrait à faire la part belle au nimby et à renoncer à l'application de politiques que l'Etat juge conformes à l'intérêt général.
L'évocation par le représentant de l'Ufip de quelque 120 demandes de permis "bloquées", une situation présentée comme "un effet collatéral de la polémique sur le gaz de schiste", illustre parfaitement l'enjeu. "Permis bloqués ?", a interrogé François-Michel Lambert qui voit dans le terme "bloqués" une pression de l'industrie minière opposée à la promotion d'un modèle économique soutenable. "Il n'y a pas d'autre mot", a répondu Jean-Louis Schilansky, précisant que 21 des "permis bloqués" étaient d'ores et déjà instruits et en attente de signature sur le bureau des ministres concernés.
Une concertation publique pour les travaux
Mais la situation pourrait se débloquer au niveau local si la manne financière était mieux répartie. C'est en tout cas ce que suggère le représentant de l'Ufip qui estime judicieux de réformer la fiscalité du secteur afin de "favoriser l'accompagnement des projets" au niveau local. Un exemple précis est venu illustrer cet aspect, lorsqu'il a expliqué, en réponse à la députée PS de Guyane, Chantal Berthelot, que 12% des revenus de l'extraction du pétrole guyanais iraient à l'Etat et aux collectivités locales. Il s'agit là d'"un pas" a estimé Jean-Louis Schilansky, ouvrant implicitement la voie à une négociation entre industriels et élus sur la répartition de la rente pétrolière.
En conséquence, les industriels concernés suggèrent d'introduire la concertation au stade des travaux plutôt qu'au stade de l'octroi du permis. Il faut "confirmer la séparation entre l'octroi du permis décidé à l'échelon national et l'autorisation de travaux validée localement", plaide Jean-Louis Schilansky. Martial Saddier, député UMP de Haute-Savoie, défend lui aussi cette vision : "l'Etat décide et les collectivités locales accompagnent", a-t-il synthétisé.
La présidente de la Fedem défend la même ligne et propose par ailleurs un "phasage" et une "proportionnalité" des mesures appliquées aux projets en fonction de leur état d'avancement. Pour la Fedem, le code minier doit être pertinent avec l'état d'avancement du projet, c'est-à-dire qu'il doit faire peser moins de contraintes sur l'exploration par rapport à l'exploitation.