Saisi en septembre 2010 par le ministère de l'Agriculture, le comité scientifique (CS) du Haut conseil en biotechnologies (HCB) a présenté le 17 janvier un avis très attendu sur la coexistence entre cultures OGM et sans OGM, plus précisément sur "les conditions techniques relatives à la mise en culture, la récolte, le stockage et le transport de végétaux génétiquement modifiés (autorisés au titre des réglementations nationale et/ou communautaire) qui permettraient de minimiser leur présence fortuite dans d'autres productions". Cet avis devrait orienter le gouvernement dans la rédaction d'un ou plusieurs arrêtés devant rendre applicable la loi de 2008 qui vise à organiser les conditions de ''la liberté de consommer et de produire avec ou sans OGM''. De son côté, le comité économique, éthique et social (CEES) du HCB s'est autosaisi de la question et a présenté ses recommandations.
Renforcer les exigences pour respecter le seuil de 0,1 % (sans OGM)
L'avis concerne les cultures de maïs, soja, betterave sucrière et pomme de terre génétiquement modifiés et étudie deux scénarios : un niveau de présence accidentelle d'OGM dans d'autres productions inférieur au seuil d'étiquetage de 0,9 % établi par la réglementation communautaire et un niveau de présence accidentelle d'OGM inférieur au seuil de 0,1 % pour les filières "sans OGM".
En ce qui concerne le seuil communautaire de 0,9 %, le CS considère "qu'il est possible de le respecter par la mise en œuvre de mesures techniques à l'échelle individuelle de l'agriculteur. Ces mesures techniques ne diffèrent pas ou peu des conditions actuelles de production selon les espèces à condition que les conditions actuelles de production de semences/plants soient scrupuleusement respectées". Mais compte tenu de la diversité des situations pédo-climatiques, des paysages agricoles et des pratiques, le CS "recommande de diffuser des règles de décision pour faciliter la détermination des mesures techniques applicables plutôt que de proposer des mesures uniformes qui ne seront pas proportionnelles au risque réel spécifique de chaque situation". Il détaille culture par culture les précautions techniques à mettre en œuvre.
Définir une stratégie collective
Le CS estime également qu'un zonage en production, dans l'espace et le temps, est nécessaire pour respecter le seuil de 0,1 % et préconise la définition d'une gestion collective. L'effet paysage rendrait en effet difficilement envisageable en pratique une gestion individuelle.
Pour aboutir à un maillage optimal des territoires, le CS recommande la mise en place d'une concertation locale entre les parties prenantes (agriculteurs, producteurs de semences, apiculteurs…), sous l'égide des pouvoirs publics. "Il apparaît souhaitable d'encourager la mise en place d'une stratégie collective qui permette de négocier les mesures de coexistence nécessaires. La combinaison de systèmes d'information géographique décrivant les intentions de cultures et de modèles simples d'estimation de la présence fortuite à l'échelle spatiale permettrait d'identifier les situations critiques et d'adapter les mesures de coexistence à chaque situation locale", explique le comité dans son avis. Les agriculteurs souhaitant cultiver des OGM ont en effet obligation de déclaration aux autorités et aux exploitants des parcelles voisines. L'UE, dans sa recommandation du 13 juillet 2010 établissant des lignes directrices relatives à la coexistence, précise d'ailleurs que "dans certaines conditions économiques et physiques, il est possible d'envisager l'interdiction de la culture d'OGM dans de vastes zones, dites « zones dédiées », à condition que l'Etat membre démontre qu'aucune autre mesure ne permettrait d'atteindre les niveaux de pureté visés, et que cette mesure d'exclusion reste proportionnée à l'objectif".
Etant donné les nombreuses incertitudes, le CS préconise enfin un suivi des premières cultures GM pour chacune des espèces considérées "afin de déterminer si les pratiques mises en place sur le terrain sont efficaces pour permettre, au niveau de la parcelle, la production au taux légal de moins de 0,9 % ou de 0,1 %". Ce suivi devrait alors être organisé "sur quelques zones agricoles sélectionnées représentatives de la coexistence de productions GM et non GM", définies grâce à des accords entre opérateurs. "Le suivi, réalisé selon un protocole scientifique, serait piloté par un comité scientifique indépendant des parties prenantes. Il sera réalisé sur un nombre d'années suffisant (5 ans) pour en tirer un enseignement pratique et permettre d'adapter, si nécessaire, les mesures de coexistence préconisées entre cultures GM et non GM".
Prise en charge de la coexistence
Si le CS s'est penché sur les conditions techniques de la coexistence, le CEES a voulu plancher sur les aspects socio-économiques et particulièrement sur l'allocation des coûts de la coexistence. "Ces coûts, probablement importants et d'autant plus élevés que la pression des cultures d'OGM sur le territoire sera grande, particulièrement s'il s'agit d'OGM dits à « gènes empilés », sont aujourd'hui impossibles à chiffrer précisément", indique le comité.
En l'état du droit et des pratiques, l'agriculteur qui met en culture des OGM doit assumer le coût des mesures techniques et administratives destinées à éviter la présence d'OGM dans les productions des exploitants de parcelles entourant sa culture (distances...) et l'indemnisation des exploitants dont les cultures ont été contaminées. Les filières qui développent et commercialisent des OGM (distributeurs, détenteurs de l'autorisation de mise sur le marché, semenciers...) assument le coût des mesures de traçabilité de leurs produits. Enfin, les exploitants des filières non OGM assument en pratique (…) les mesures de traçabilité et de ségrégation, ainsi que les coûts des analyses et de l'éventuelle certification de leurs produits. En cas de présence fortuite d'OGM dans leur production, ils doivent également assumer le coût des dommages non réparés de plein droit.
Le CEES demande donc aux autorités publiques de déterminer clairement l'allocation des coûts et demande l'institution "d'un fonds d'indemnisation abondé par les acteurs privés et destiné à indemniser les présences fortuites, au moins en cas d'insolvabilité de l'agriculteur".
De son côté, le CS n'exclut pas des "conditions météorologiques exceptionnelles, coup de vent ou tempêtes, qui perturberont les prévisions [qui] pourraient ainsi faire l'objet de clauses particulières. Il sera donc du ressort de l'État de mettre en œuvre des mesures d'encadrement adaptées".