"Compte tenu de l'évolution des objectifs et des techniques, et du retard pris par rapport à la trajectoire souhaitable de nos émissions [de gaz à effet de serre (GES)]", la commission présidée par Alain Quinet estime qu'il faut "réviser nettement à la hausse la valeur tutélaire cible [du carbone]". Elle recommande de la porter à 250 euros par tonne de CO2 en 2030, contre 100 euros dans son précédent rapport de 2008. Telle est la principale conclusion du rapport publié, lundi 18 février, par la commission Quinet chargée, en mars dernier, de mettre à jour son premier rapport rendu en 2009.
Internaliser les bénéfices climatiques
En 2008, la commission Quinet proposait une valeur tutélaire du carbone à 32 euros par tonne de CO2 et une progression de 5 % par an, pour atteindre 56 euros en 2020, 100 euros en 2030 et 200 euros en 2050. Concrètement, explique la commission, fixer une valeur de 56 euros par tonne de CO2 en 2020 signifie que toute action permettant de réduire les émissions à un coût inférieur à 56 par tonne fait sens pour la collectivité et doit être mise en œuvre. Il faut aussi comptabiliser un bénéfice de 56 euros pour chaque tonne de CO2 que permet d'éviter un projet. Il s'agit de "signaler que les activités humaines doivent intégrer, « internaliser » les bénéfices collectifs que procure la réduction des émissions de GES", résume le rapport qui propose ainsi de "se donner une référence pour sélectionner et hiérarchiser les actions utiles à la collectivité".
Cette valeur tutélaire a trouvé une de ses incarnations les plus visibles avec la mise en place de la fiscalité carbone. La trajectoire proposée par le premier rapport Quinet a notamment servi de base aux travaux engagés dès 2009. En 2015, la trajectoire est reprise lors de l'adoption de la loi de transition énergétique. Deux ans plus tard, le gouvernement a décidé d'aller au-delà en augmentant plus rapidement la composante carbone de la fiscalité des carburants. Celle-ci devait notamment atteindre 65,4 euros par tonne en 2020 (plutôt que 56 euros). Jusqu'à ce que la crise des gilets jaunes, qui cristallise autour de la hausse du prix des carburants, vienne remettre en cause cette progression.
Rattraper le retard
"Nos travaux confirment, s'il en était besoin, que la France n'en a pas fait assez dans la lutte contre le changement climatique : les émissions de gaz à effet de serre ont bien baissé depuis 1990, mais notre pays est toujours en retard par rapport à son tableau de marche", constate le rapport. Plus que jamais, il faut investir dans des technologies propres et décarboner l'ensemble des secteurs.
Pour engager cette transformation, le rapport recommande de fixer une valeur tutélaire de 250 euros par tonne de CO2 en 2030. Ce "relèvement substantiel", par rapport aux 100 euros préconisés en 2009 reflète trois facteurs : le caractère limité du budget carbone disponible, la nécessité d'investir durablement dans les technologies bas carbone, et le coût de ces technologies. En tenant compte des règles de valorisation des ressources épuisables, la commission estime que la valeur du CO2 devrait être fixée pour 2050 dans "une fourchette prudente de 600 à 900 euros [valeur de 2018] par tonne". Les valeurs de 500 euros en 2040 et 775 euros en 2050, sont retenues. Elles sont "en ligne avec les coûts prévisibles des technologies structurantes nécessaires à la décarbonation [de l'économie]", précise le document. La valeur pour 2050 pourrait éventuellement être ramenée à 450 euros. Mais cela implique "une coopération internationale plus forte, permettant d'accélérer la production et la diffusion d'innovations, et rendant possibles des technologies de rupture".
Pas forcément une taxe carbone à 250 euros
Quant à l'implication de la valeur tutélaire du carbone, le rapport est très clair : "Si la valeur de l'action pour le climat est de 250 euros à l'horizon 2030, cela veut dire que toutes les actions qui coûtent moins de 250 euros la tonne de CO2 évitée doivent être entreprises (..). Sinon, l'objectif risque de ne pas être atteint".
Mais pour autant, compte tenu des enjeux sociaux, "cette valeur ne signifie pas qu'il faille instaurer une taxe carbone de 250 euros par tonne [en 2030]", prévient le rapport. D'ailleurs, le rapport est diplomatiquement titré "la valeur de l'action pour le climat". Il ne reprend qu'en sous-titre le terme "valeur tutélaire du carbone", qui est connoté "taxe carbone". Et ce sous-titre s'empresse de préciser que cette valeur tutélaire a bien pour but d'"évaluer les investissements et les politiques publiques", laissant de côté l'épineuse question fiscale. Pourtant, le projet de Stratégie nationale bas carbone (SNBC) est clair : le gouvernement veut s'appuyer sur la valeur tutélaire du carbone pour fixer un prix de carbone qui permette d'atteindre les objectifs climatiques français.