« Ce que la Commission Von der Leyen a annoncé ouvre un nouveau chapitre dans la lutte contre la menace croissante des produits chimiques nocifs. Cette "grande détox" promet d'améliorer la sécurité de presque tous les produits manufacturés et de réduire rapidement l'intensité chimique de nos écoles, de nos maisons et de nos lieux de travail. » C'est en ces termes plein d'espoir qu'a réagi Tatiana Santos, responsable de la politique sur les produits chimiques au Bureau européen de l'environnement (BEE). Cette association environnementale européenne lutte depuis de nombreuses années pour mettre au ban les produits chimiques les plus toxiques retrouvés dans l'environnement et les produits du quotidien. Et « la feuille de route de restriction » que la Commission européenne vient de publier sur ce sujet est, selon elle, une étape capitale dans cette lutte.
Nouvelle méthode
Dans le cadre de sa stratégie pour la durabilité dans le domaine des produits chimiques, annoncée en octobre 2020, la Commission a publié, lundi 25 avril, une feuille de route pour restreindre, petit à petit, l'usage des produits chimiques les plus dangereux. Une véritable gageure, sachant que le nombre de produits chimiques utilisés en Europe est estimé à 200 000 et que le secteur de la chimie est économiquement stratégique pour l'UE, puisqu'il en constitue la quatrième industrie et emploie quelque 1,2 million de personnes.
Avec sa feuille de route, l'Europe veut désormais une approche par famille de produits au sein de laquelle le membre le plus nocif définit les restrictions légales pour toute la famille. « C'est un tournant historique, commente l'association Réseau Environnement Santé (RES). On passe de l'approche substance par substance à une approche par groupe de molécules », ce qui devrait éviter les substitutions risquées, comme ce fut le cas pour le bisphénol A. « Après son interdiction, le BPA avait été remplacé par d'autres bisphénols, tout aussi, si ce n'est plus, toxiques. C'est également le cas des perfluorés, les deux premiers interdits étant remplacés par d'autres dans une famille constituée de plusieurs milliers de molécules », rappelle l'association française.
De nombreux produits visés
Dans cette feuille de route inédite, la Commission européenne vise plusieurs familles de produits connus pour provoquer cancers ou troubles hormonaux, comme les retardateurs de flamme bromés, les bisphénols, les phtalates, toutes les formes de PVC ou encore les PFAS. Elle cible plus précisément les substances cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR), perturbateurs endocriniens, persistantes, bioaccumulables et toxiques (PBT) et les substances très persistantes et très bioaccumulables (vPvB). « Certains produits chimiques figurant sur la liste de la feuille de route faisaient déjà l'objet de restrictions européennes, mais la plupart sont nouveaux », explique le BEE.
Cette feuille de route d'interdiction apporte transparence et visibilité et complète la révision en cours du règlement Reach. Elle sera « la pierre angulaire de la planification pluriannuelle », explique la Commission. La liste des familles de substances visées sera évolutive et révisée une fois par an. « Dans la pratique, la feuille de route pourra ne pas aboutir à des restrictions », prévient toutefois la Commission européenne. Au fur et à mesure de l'étude des substances, « certaines seront ajoutées à cette liste, d'autres pourraient en sortir », précise l'exécutif européen.
L'ombre des dérogations
En effet, si l'approche change en travaillant par famille de produits, les options de gestion des risques restent celles proposées dans le cadre du règlement Reach. L'interdiction de la substance n'étant que l'option la plus extrême parmi d'autres, par exemple la restriction de certains usages. D'ailleurs, cette nouvelle approche, qui irriguera également la prochaine version du règlement Reach, introduit des dérogations selon le concept « d'utilisation essentielle ». Malgré leur dangerosité, certains produits resteraient autorisés dans certains cas.
Ce qui n'est pas sans inquiéter l'industrie chimique : « Il existe un risque élevé que le concept "d'utilisation essentielle", simple à première vue, bouleverse le système actuel et aboutisse à ce que la réglementation des produits chimiques soit guidée par le jugement plutôt que par des preuves scientifiques. Il est quasiment impossible de juger quels usages sont essentiels pour la société », analyse le Cefic dans une note récente sur la réforme de Reach. Pour les associations, la vigilance est également de mise : « Les dérogations pour usages essentiels concernant ces substances devront être les plus rares et limitées dans le temps autant que possible », prévient Générations futures.
Aller plus loin que Reach
Cette nouveauté promet de nouveaux débats et compromis mais, point important que la Commission européenne ne manque pas de rappeler, la feuille de route, y compris la liste évolutive, n'affectera pas les prérogatives des États membres au titre de Reach. Ainsi, « elle n'affecte pas le droit des États membres à proposer de nouvelles restrictions, y compris celles pour les substances non (encore) incluses dans la feuille de route ».
Et malgré tout, les associations environnementales semblent très optimistes. Ce changement de braquet permettra à l'Europe de se maintenir dans un haut niveau de sécurité, comme c'est le cas depuis 2007 et l'entrée en vigueur du règlement Reach, le plus protecteur à l'échelle mondiale. Alors que l'UE a interdit environ 2 000 produits chimiques dangereux au cours des treize dernières années, le BEE estime que la feuille de route conduira à l'interdiction d'environ 4 000 à 7 000 produits chimiques d'ici à 2030.