Natureparif, l'agence pour la nature et la biodiversité en Ile-de-France, et la fédération d'associations de protection de l'environnement France nature environnement (FNE) ont organisé les 3 et 4 avril à Paris un colloque sur la restauration de la nature. L'occasion de revenir sur la question de la compensation écologique, ses incertitudes et ses limites face aux nécessités de restauration et de maintien des écosystèmes.
Une notion déjà inscrite dans la loi de 1976
La notion de compensation n'est pas nouvelle. Elle était déjà inscrite dans la loi du 10 juillet 1976 sur la protection de la nature qui prévoyait que l'étude d'impact devait comprendre "les mesures envisagées pour supprimer, réduire et, si possible, compenser les conséquences dommageables pour l'environnement" des projets.
L'article 230 de le loi Grenelle 2, qui réforme l'étude d'impact, prévoit, quant à lui, que cette dernière doit comprendre "les mesures proportionnées envisagées pour éviter, réduire et, lorsque c'est possible, compenser les effets négatifs notables du projet sur l'environnement ou la santé humaine".
"La séquence « éviter – réduire – compenser » [ERC] ne correspond pas à une alternative", rappelle Jacques Weber, économiste et anthropologue. Une démonstration est nécessaire à chaque étape. "Il s'agit d'éviter les impacts du projet sur la biodiversité, réduire ensuite les impacts qui n'ont pu être évités, et enfin compenser les impacts résiduels", renchérit Fabien Quétier, chargé d'études dans le bureau d'études Biotope.
Or, ce séquençage se révèle mal appréhendé par le droit. "Face à l'obligation de compensation, le juge vérifiera si l'opérateur a bien renseigné la case « compensation»", souligne Arnaud Gossement, avocat spécialisé en droit de l'environnement. Or, celle-ci n'intervient théoriquement qu'une fois l'évitement et la réduction des impacts épuisés. D'où une certaine "schizophrénie" des maîtres d'ouvrage.
Un contenu imprécis
"On constate une prolifération de la notion de compensation en droit, mais son contenu reste imprécis, voire contradictoire selon les textes", souligne Arnaud Gossement.
Le contenu de l'obligation de compensation repose essentiellement sur la directive 2004/35 sur la responsabilité environnementale, transposée en droit français par la loi éponyme du 1er août 2008. Selon ce texte, la compensation consiste "à apporter des améliorations supplémentaires aux habitats naturels et aux espèces protégées ou aux eaux soit sur le site endommagé, soit sur un autre site. Elle ne peut consister en une compensation financière accordée au public".
"Les approches allant dans le sens d'une équivalence ressource-ressource ou services-service sont à utiliser en priorité", prévoit la directive. Quand il est impossible d'utiliser ces approches "de premier choix", d'autres techniques d'évaluation doivent être prescrites par les "autorités compétentes". Ce qui laisse une marge d'interprétation considérable.
Des lignes directrices devraient toutefois être précisées par la doctrine nationale en cours d'élaboration, qui doit notamment définir le concept "d'équivalence écologique". Cela suppose "une évaluation et une expertise par une autorité indépendante", selon Fabien Quétier. "Pour qu'un marché de la compensation puisse exister, il faut une autorité indépendante de régulation de l'environnement", confirme Jacques Weber.
Comment définir le coût de la compensation ?
Pour Jean-Christophe Benoit, "on découvre aujourd'hui le véritable coût de la compensation". Selon ce responsable de projets opérationnels chez CDC-Biodiversité, qui a notamment en charge la compensation écologique de l'autoroute A65, "ce coût ne représente encore que 1 à 2% du montant des projets qui sortent aujourd'hui", mais celui-ci va croître considérablement.
Pour Fabien Quétier, "il faut abandonner la logique d'une « sanction surfacique »" et intégrer la durée d'engagement des maîtres d'ouvrage afin de garantir la vocation écologique des sites de compensations dans le temps.
"Tout n'est pas réglé par un prix", souligne Jacques Weber. "Comment compenser les impacts de la fracturation hydraulique ?", interroge l'économiste, pour qui "tout n'est pas compensable". Et qui propose même comme définition de la "bonne compensation" celle "qui rendrait le projet impossible car non rentable".
La restauration écologique n'a pas toujours de sens
"La restauration écologique n'a pas de sens sur certains espaces, ce qui devrait aboutir à l'abandon de certains projets", confirme Grégoire Lejonc, coordinateur de la politique biodiversité pour FNE, qui dénonce les limites de l'exercice ERC et le caractère uniquement défensif de la démarche. Soulignant que l'équivalent d'un département est artificialisé tous les sept ans, il réclame, au-delà de la seule conservation des espaces, la possibilité d'effacer des routes, de la même manière que l'on commence à effacer des barrages inutiles sur certains cours d'eau.
"Ne va-t-on parler de restauration écologique que dans le cas de mesures compensatoires ?", s'inquiète par ailleurs Sébastien Gallet, écologue et maître de conférence à l'université de Brest. "La restauration écologique, ça n'est pas que la compensation", conclut-t-il.