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« Composés perfluorés : il faut fermer le robinet ! »

La prise de conscience du problème causé par la contamination de l'environnement par les composés perfluorés augmente. Julie Schneider, de l'ONG Chem Trust, explique les dangers de ces produits et les menaces qu'ils font peser.

Interview  |  Risques  |    |  L. Radisson
   
« Composés perfluorés : il faut fermer le robinet ! »
Julie Schneider
Chargée de campagne, Chem Trust
   

Actu-Environnement : Qu'est-ce que les composés perfluorés ?

Julie Schneider : Les PFAS (substances per- et polyfluoroalkylées) sont des composés chimiques de synthèse, qui ont, en particulier, une liaison entre du carbone et du fluor. C'est très important car cette liaison est l'une des plus stables qui existe en chimie organique. Elle implique que les composés ne se dégradent que très lentement une fois dans l'environnement. D'où leur surnom de « forever chemicals » ou « produits chimiques éternels ». Ils sont aussi très résistants à la chaleur, à des traitements acides ou agressifs. Ça leur donne des propriétés très intéressantes au niveau industriel et pour les produits de consommation courante. C'est une très grande famille. L'OCDE en a recensé plus de 4 500. D'autres calculs font même une estimation à 9 000 composés. Mais l'on ne dispose de données relatives à leur toxicité que sur une poignée d'entre eux.

AE : Quelles sont les propriétés de ces substances et leurs applications ?

Le fait qu'ils résistent à de très hautes températures, en plus de leurs propriétés antiadhésives, les rend par exemple bien adaptés pour des poêles à frire (Téflon). Ils sont aussi utilisés dans les mousses anti-incendies pour éteindre des feux de pétrole ou impliquant des produits chimiques particuliers. Ils ont également la capacité de repousser l'eau, les graisses et la poussière. On les retrouve donc dans les emballages alimentaires en papier et en carton. C'est aussi la raison pour laquelle ils sont utilisés dans le traitement des vêtements outdoor comme imperméabilisants. Ils sont aussi présents dans les produits de beauté, dans des fonds de teint ou des mascaras résistants à l'eau. Mais également dans des produits électroniques comme les téléphones portables ou sur les panneaux solaires. Sur le plan industriel, ces substances sont utilisées dans l'automobile et l'aéronautique, mais également dans l'extraction de gaz et de pétrole. Il y a tellement d'applications particulières qu'il est difficile d'en avoir une vue vraiment complète.

AE : Connaît-on précisément les dangers de ces composés ?

On a beaucoup plus d'informations sur le profil toxicologique du PFOA et du PFOS que sur beaucoup d'autres composés de cette famille. On sait que ce sont de probables cancérogènes, qu'ils ont des impacts sur les systèmes hormonal , immunitaire et reproductif. Pour des milliers d'autres, très peu d'informations existent. Mais étant tous très persistants, les risques de dépasser un seuil qui déclenche des effets néfastes sur les humains ou la vie sauvage augmentent forcément avec des émissions continues. C'est ça qui les rend extrêmement préoccupants.

AE : Quels sont les inconvénients de ces composés ?

JS : Le point commun entre toutes ces substances, c'est qu'elles sont très persistantes, ou se dégradent en d'autres PFAS eux-mêmes très persistants. Une fois dans l'environnement, elles vont se dégrader extrêmement lentement. Elles sont là pour des décennies, voire des siècles. Lorsqu'on continue à les émettre, leur concentration dans un compartiment environnemental ne peut qu'augmenter ainsi que le risque de dépasser un seuil critique. Certains de ces composés sont par ailleurs mobiles dans l'environnement, en particulier dans l'eau. Cela va donc être très difficile de les filtrer. Beaucoup d'entre eux, en particulier les plus courts, échappent aux traitements de purification des eaux classiques. Et cela représente un risque pour la qualité de l'eau potable. Géographiquement, on les trouve partout, dans l'Antarctique, au sommet de l'Himalaya et des Alpes. Ils sont présents dans tous les milieux : les sols, les eaux de surface et les eaux marines. Il y a donc un appel très fort de la communauté scientifique pour adopter une approche préventive, pour arrêter cette accumulation dans l'environnement et éviter de se retrouver dans une situation aux conséquences irréversibles.

AE : Que peut-on faire pour les sites pollués ?

JS : Il va falloir s'occuper des sites hautement contaminés. Il y a des hot spots en Europe. Ce sont les lieux de production, comme dans la région de Venetto, en Italie, mais aussi les sites proches des aéroports et des terrains militaires où les mousses anti-incendies ont été utilisées. C'est une grosse source de contamination. Comme les composés sont assez mobiles dans l'eau, ils sont facilement lessivés et peuvent contaminer les nappes phréatiques. Des actions de décontamination sont déjà en cours, en particulier pour les sols. Mais ce n'est pas toujours évident d'agir, en particulier quand l'eau est contaminée. Un autre cas de contamination se trouve en Bavière, en Allemagne. Des pulpes de papier contenant des PFAS ont été épandues comme fertilisants sur les champs où ils ont contaminé les sols et les cultures. Car certains ont aussi la propriété de s'accumuler dans les plantes.

AE : Pour d'autres, c'est dans les organismes ?

JS : Oui, certains d'entre eux sont bioaccumulables. Une fois à l'intérieur de l'organisme, ils sont difficilement éliminés. On a trouvé des PFAS chez pratiquement tous les gens testés par analyse sanguine aux quatre coins du globe. Une analyse américaine a montré que 99 % de la population avaient du PFOA dans le sang. En France, un rapport de l'Agence de sécurité sanitaire (Anses) de 2019 a révélé que le PFOA et le PFOS avaient été détectés dans 100 % des 744 adultes et 249 enfants testés.

AE : Comment peut-on mesurer le danger qu'ils représentent ?

JS : Un indicatif est donné par les seuils d'exposition journalière recommandés par l'Autorité européenne de sûreté des aliments (Efsa) déterminés par l'état des connaissances scientifiques à un moment donné. Pour le PFOA, la valeur était de 1 500 ng/kg/j en 2008. En 2020, pour la somme de quatre PFAS, incluant le PFOA, le nouveau seuil est de 0,63 ng/kg/j. Ce qui est plus de 2 000 fois moins. Il y a eu de nouvelles informations, notamment sur le fait que ces composés avaient des implications sur la réponse aux vaccinations de routine chez les enfants. Ils sont donc beaucoup plus nocifs que ce que l'on pensait quinze ans plus tôt.

AE : Au-delà des recommandations, existe-t-il des réglementations pour ces composés ?

JS : L'étape qui suit est de fixer des limites de ce qui est acceptable comme taux de PFAS dans les aliments ou l'eau. L'enjeu est de se doter de réglementations qui couvrent beaucoup plus de composés que les seuls PFOA et PFOS. Dans le cadre de la révision de la directive sur l'eau potable, ont été adoptés en 2020 des seuils acceptables de PFAS dans l'eau : 0,1 µg/l pour une somme de 20 composés de la famille des PFAS et un seuil de 0,5 µg/l pour la somme de tous les PFAS. Mais ce dernier ne peut être appliqué tout de suite car on ne sait pas pour l'instant analyser tous les PFAS d'un coup dans un échantillon.

AE : Quelle est la mesure prioritaire à prendre ?

JS : Au-delà de fixer des limites d'exposition, l'enjeu est d'arrêter d'émettre ces composés. On peut faire une analogie avec le plastique. Il faut fermer le robinet. Et la meilleure façon de le faire est de les interdire. La Convention internationale de Stockolm a reconnu les PFOS et les PFOA comme des polluants organiques persistants (POP's). Ils sont persistants, bioaccumulables, toxiques et transportés sur de longues distances. Ils ont été interdits de production et d'utilisation respectivement en 2009 et en 2019. Des dérogations sont toutefois possibles avec des dates limites, notamment pour des utilisations dans les mousses anti-incendies. Les États membres doivent dresser un inventaire des stocks, puis les détruire. Mais certains pays, tels que les États-Unis, ne sont pas signataires de la convention. Celle-ci a aussi interdit les PCB et le DDT et, bien que moins persistants que les PFAS, ils sont toujours présents à haute concentration, des décennies après leur interdiction à l'échelle mondiale. C'est un gros argument pour que l'on s'occupe immédiatement des PFAS.

AE : Quelles sont les initiatives à l'échelle européenne ?

JS : Une restriction d'utilisation, de production et de mise sur le marché a été actée durant l'été sur les chaînes longues de PFAS sur un groupe de 200 composés chimiques à travers le règlement Reach. Des discussions sont en cours sur d'autres groupes de PFAS. L'Agence européenne des produits chimiques (Echa) travaille également sur une proposition de restriction des PFAS dans les mousses anti-incendies. Mais la véritable ambition est de restreindre tous les PFAS en un seul groupe. En 2019, cinq États membres européens (Allemagne, Danemark, Suède, Norvège et Pays-Bas) ont fait une annonce en vue d'interdire toute la famille des PFAS dans toutes les utilisations non essentielles à travers Reach. C'est important car, sur le plan mondial, Reach est souvent vu comme précurseur. Ces pays doivent présenter leur proposition en juillet 2022. Il y a un an, a aussi été publiée la Stratégie européenne sur les produits chimiques, dont l'un des engagements est la restriction de tous les PFAS d'ici à 2025. Elle prévoit aussi de travailler sur des standards pour les sols, l'eau potable, la nourriture et le traitement des déchets. L'enjeu est que la restriction soit la plus ambitieuse possible pour véritablement protéger la population et l'environnement de l'exposition aux PFAS.

AE : Quelle est la position des industriels par rapport à ces projets de réglementation ?

JS : Il y a une claire conscience que quelque chose va venir. Les industriels de la chimie ont créé le groupe Fluorinated Products and PFAS for Europe, en juillet dernier, pour faire le lien avec les autorités, les ONG et les scientifiques. Par ailleurs, 50 sociétés ont déjà rejoint le mouvement « Non aux PFAS » lancé par l'ONG suédoise ChemSec, reconnaissant que les PFAS représentent un problème majeur pour la santé et l'environnement.

AE : Existe-t-il des exemples de restrictions à l'étranger ?

JS : Aux États-Unis, en juillet dernier, l'État du Maine a adopté une loi pour interdire toute la famille des PFAS dans les produits de consommation courante. C'est une première sur le plan mondial. C'est au producteur de justifier une dérogation éventuelle. Par défaut, c'est interdit partout. À plus petite échelle, en juillet 2020, le Danemark a interdit tous les PFAS dans tous les emballages alimentaires. Avec huit autres ONG, nous avons testé des emballages de frites d'une même marque prélevés en Angleterre, au Danemark et en République tchèque. L'absence de PFAS dans les prélèvements danois a montré que l'interdiction fonctionnait.

AE : Si on les interdit, quels sont les substituts aux PFAS ?

JS : Une des raisons qui justifie aussi une restriction de tous les PFAS d'un coup, c'est d'éviter ce qu'on appelle les « substitutions regrettables ». C'est-à-dire les cas où un PFAS est remplacé par un autre qui s'avère être lui-même nocif. C'est ce qui s'est passé dans les dernières décennies lorsque le PFOA et le PFOS ont été interdits. Il y a ce cycle infernal de substitution d'un PFAS par un autre qui ne s'arrête jamais. Je ne peux pas répondre sur les solutions alternatives pour tous les produits et les applications mais, pour les emballages alimentaires, on a montré qu'un sachet de frites sans PFAS pouvait remplir la même fonction. Des études ont été faites sur des alternatives avec des composés non nocifs qui paraissent prometteurs, et d'autres solutions sont déjà sur le marché pour les traitements imperméabilisants ou les mousses anti-incendies par exemple. Mais il y a aussi un débat important autour du concept d'« utilisations essentielles ». La question est de savoir si on a vraiment besoin d'un tel composé chimique dans un produit

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