Certes, la consultation sur les zones à faibles émissions (ZFE) proposée au public par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, entre le 17 avril et le 14 mai derniers, peut difficilement se comparer à un sondage construit sur la base d'un panel représentatif. Mais les résultats de cette enquête d'une vingtaine de questions, présentés jeudi 25 mai, offrent malgré tout une vision très instructive de la manière dont ce dispositif, potentiellement explosif, est appréhendé par ceux qui s'y intéressent. Si l'on en juge par le volume des participants, plus de 51 000, particuliers et professionnels, ces derniers sont nombreux.
« C'est un record », constate Philippe Tabarot, rapporteur d'une mission d'information en cours, sur ce sujet. Le précédent record, établi par un autre sujet épineux, la limitation de la vitesse sur les routes à 80 km/h, avait cumulé 23 000 réponses… Les répondants, majoritairement des particuliers, s'avèrent aussi très impliqués, puisque 60 % d'entre eux habitent au sein ou à proximité d'une des onze métropoles concernées.
La crainte d'une fracture sociale
Cette photographie révèle sans ambiguïté une opposition massive au déploiement des ZFE : 86 % des particuliers et 79 % des professionnels y sont défavorables, majoritairement par crainte d'un creusement des inégalités sociales. « Ce sont les personnes qui sont le plus en difficulté qui auront le plus d'efforts à faire au niveau de cette transition, explique le sénateur. Et quelquefois, ce sont aussi celles qui sont le plus confrontées à ces pollutions. » Si les cadres (25 %) et les étudiants (28 %) approuvent le dispositif plus que la moyenne (14 %), les ouvriers, les retraités et les employés ne sont ainsi respectivement plus que 4 %, 7 % et 11 % à la trouver souhaitable.
Des difficultés cumulées
Des griefs d'autant plus forts que le coût d'acquisition des véhicules propres est jugé trop élevé par plus des trois quarts des particuliers et plus de la moitié des professionnels, malgré la mise en place d'aides, par ailleurs largement considérées comme insuffisantes. À tel point que 83 % des répondants n'envisagent tout simplement pas d'en changer, même après la mise en place des ZFE. « Ce qui semble montrer qu'à ce stade, le dispositif échoue à produire les changements de comportements attendus », estime Philippe Tabarot.
Autres critiques faites au dispositif : le manque de pertinence des vignettes Crit'air, des informations insuffisamment précises ou accessibles sur les ZFE et les aides proposées, mais aussi les possibles effets pervers de la mesure, comme la mise au rebut de nombreux véhicules encore fonctionnels. « Je ne comprends pas le principe de mettre à la casse des véhicules en état de rouler et qui passent les contrôles de pollution du contrôle technique, souligne l'un des participants. Les véhicules remplacés ne sont pas tous détruits et vont polluer ailleurs. » Les objections portent également sur la trop grande rapidité de la mise en œuvre des restrictions de circulation. « On ne peut pas ne pas prendre en compte l'impératif de santé publique, insiste Philippe Tabarot. Après, ce qui semble évident, c'est qu'il y a une désynchronisation entre les schémas de restrictions, le calendrier et l'avancée des [solutions] alternatives. »
Des rapports à venir
• 41 % des professionnels conduisent un véhicule classé Vignette Crit'air 3, 4, 5 ou non classé.
• 45 % des professionnels sont amenés à circuler dans une métropole concernée par une ZFE plusieurs fois par semaine.
• 32 à 33 agglomérations supplémentaires devraient mettre en œuvre une ZFE d'ici à 2025.
Tout en essayant de « trouver une ligne de crête », c'est à tous ces dysfonctionnements que devra s'attaquer son rapport d'information, attendu pour le mois de juin prochain. Outre cette consultation, ce document sera élaboré sur la base d'études comparées, dans d'autres pays, de nombreuses contributions et de témoignages, notamment d'associations, d'élus, de transporteurs ou encore d'acteurs de la filière automobile. Il s'y ajoutera une autre étude, sur ce même sujet, confiée à Barbara Pompili par la Première ministre et prévue pour l'automne prochain, ainsi que les travaux du comité de concertation nationale sur les zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) mis en place par le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, en janvier dernier. Le sujet, décidément, suscite de nombreuses questions.