Mi-juin, le conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) du ministère de l'Ecologie a publié un rapport sur la découverte de radon dans une maison à Bessines-sur-Gartempe. Ce rapport constitue "le premier développement [d']une enquête administrative", en cours relative à la présence, "tout à fait anormale et contraire à la règlementation", de déchets radioactifs en dehors des sites miniers et des lieux de stockage autorisés. Il s'agit d'une "mission urgente", précise la lettre de mission, signée par Francis Rol-Tanguy, directeur de cabinet de Ségolène Royal, qui demande au CGEDD de "déterminer à quelle date, dans quelles circonstances ces déchets ont pu être transportés et échapper à la surveillance dont ils doivent faire l'objet, quelle est leur provenance, quels volumes ont pu être concernés et à quels types de travaux ils ont pu être destinés".
En l'occurrence, le CGEDD peine à répondre à la mission confiée et n'apporte que des "conclusions (…) partielles et assorties d'incertitudes". En cause ? La compréhension des événements et l'appréciation de leur légalité "sont rendues très difficiles par l'éloignement dans le temps : cinquante années se sont en effet écoulées depuis la construction de la station-service". De plus, "dans un temps limité, la mission, n'a pu traiter de manière complète le sujet qui lui a été confié". En conséquence, le rapport reste particulièrement prudent. Seule certitude, la découverte d'une utilisation de résidus du traitement du minerai d'uranium en remblai constitue une première en France.
Début juin, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) avait publié un premier rapport relatif au risque sanitaire lié à la contamination au radon découverte en mars dans une ancienne station-service de Bessines-sur-Gartempe, transformée en 1996 en logement et ayant accueilli une vingtaine d'enfants dans le cadre de l'activité de garde à domicile des résidents.
Une première en France
Premier constat, les émanations de radon dans la maison sont "importantes [et] les concentrations(…) relevées sont de l'ordre de 40 à 90 fois celles observées en moyenne dans l'habitat en Haute-Vienne". Quant à l'origine des émanations, elle est "très probablement" liée à la présence de déchets radioactifs et plus précisément de "résidus detraitement de minerai d'uranium (sables cyclonés)", pour un volume allant de 100 à 3.000 m3. Le CGEDD rapporte par ailleurs qu'"il n'y avait pas jusqu'à présent de connaissance d'un tel usage de résidus du traitement du minerai".
A ce stade, le CGEDD estime que ces sables "ont sans doute été utilisés au moins pour remblayer autour des cuves et des canalisations de la station-service lors de sa construction en 1963-1964 et peut-être aussi pour constituer l'essentiel du remblai sur lequel la station est construite".
Quant à l'origine de ces déchets, "il est extrêmement probable" qu'ils proviennent de l'usine de traitement du minerai d'uranium de Bessines qui a fonctionné de 1958 à 1993. "Elle appartenait à la société Simo, initialement filiale à 50% de la société Ugine-Kuhlmann et à 50% d'organismes publics (Caisse des dépôts (CDC) : 40% et Commissariat à l'énergie atomique (CEA) : 10%) et qui a progressivement été rachetée par la Cogema (filiale du CEA qui a été créée en 1976 pour reprendre les activités du CEA dans le cycle du combustible nucléaire) devenue ensuite Areva", explique le rapport.
Législation, réglementation et dossiers introuvables
Une fois le constat dressé, la mission a tenté d'établir les responsabilités des différents acteurs. De manière générale, le rapport attribue, sans grande certitude, cette situation à la méconnaissance des risques associés à ces déchets il y a 50 ans. La prise de conscience des phénomènes de concentration de radon dans des milieux confinés "devait être encore limitée durant ces années", en conséquence, "il est très possible que personne n'ait pensé aux effets qu'aurait (…) la mise en place de résidus de traitement ou de stériles miniers à proximité immédiate d'une construction".
Par ailleurs, sur le plan juridique le flou persiste pour trois raisons. Tout d'abord, "il n'est pas évident de retrouver l'ensemble des textes législatifs, réglementaires ou individuels" qui encadraient à l'époque la gestion des déchets de traitement du minerai d'uranium. Ensuite, "l'interprétation qui était faite alors de certaines notions n'est pas nécessairement celle d'aujourd'hui". Enfin, la mission n'a pas eu accès aux dossiers à partir desquels ont été prises les décisions individuelles, telles que les autorisations d'exploiter. Sur ce dernier point, le rapport estime que la connaissance des dossiers de demande d'autorisation déposés par la société Simo en 1957 "serait intéressante".
A noter que cette analyse ne concerne que les réglementations de protection du public et de l'environnement. L'analyse relative à la responsabilité civile des acteurs n'a pas été menée.
L'analyse des sables aurait alerté les responsables
Le rapport avance deux hypothèses pour expliquer l'absence d'interdiction formelle : elle "pourrait simplement traduire le fait qu'il était évident pour les acteurs de l'époque qu'une telle utilisation n'était pas acceptable" ou bien "qu'il n'y avait pas de conscience du danger potentiel de ces sables".
Les rapporteurs jugent pour leur part qu'"il semble plutôt" que la seconde hypothèse soit la bonne, "même si les règles en vigueur au début des années 1960 pour les dépôts de substances radioactives soumis au régime des établissements classés auraient pu constituer des alertes". D'ailleurs, les rapporteurs notent, dans la partie consacrée à l'étude juridique relative aux installations classées (ICPE), que "si l'activité totale des sables avait été calculée, elle aurait pu au minimum alerter les responsables en leur montrant que le remblai qu'ils établissaient était aussi radioactif que des dépôts relevant de la législation des établissements classés".