Quel pourrait être le quotidien énergétique des Français en 2030 et 2050 ? En partant de cette question, l'Ademe s'est attelée à un exercice de prospective afin d'imaginer le panorama énergétique des prochaines décennies. Point clef de la méthode choisie : le choix d'hypothèses de maîtrise de la consommation énergétique, une approche similaire au scénario Négawatt. Selon l'agence, ces travaux ont été bien accueillis par le cabinet de la ministre de l'Ecologie et devraient faire partie des scénarios mis au débat dans les semaines à venir, parmi d'autres. "Certains scénarios présentés au cours des derniers mois n'ont pas la même approche", explique François Loos, Président de l'Ademe. "Certains s'appuient sur le prix de l'électricité et supposent la réalisation des mesures d'efficacité énergétique les plus rentables alors qu'à notre avis, la question du prix n'est pas le moteur de l'action", ajoute-t-il. Résultat, les hypothèses d'efficacité énergétique choisies par l'Ademe, qualifiées de "vraisemblables" par leurs auteurs, sous-entendent une prise en main des citoyens et un encouragement politique majeur.
Un parc de logement moins énergivore
Sur la période 2010-2030, les efforts seront concentrés sur le secteur de la construction qui devrait contribuer à 65% des économies réalisées. L'Ademe considère que tout le parc de logement social construit avant 1990 sera rénové ainsi que 70% des maisons individuelles. Pour un niveau de confort identique, l'agence estime que les besoins énergétiques seront réduits grâce aux travaux d'isolation et des appareils plus performants (20% du parc de logements équipés de pompes à chaleur, augmentation des chaudières à condensation, apparition des systèmes hybrides et de microcogénération, remplacement des cumulus par des chauffe-eau thermodynamiques, taux de pénétration de 10% pour les chauffe-eau solaires individuels, etc). La consommation du parc passerait ainsi de 240 à 130 kWhep/m2/an en 2030.
En 2050, l'agence estime que les 36 millions de logements constituant le parc se répartiront en deux catégories : 27 millions d'habitations rénovées (construites avant 2020) qui consommeront 130 kWhep/m2/an pour tous usages et 9 millions de constructions neuves dont les besoins seront de 100 kWhep/m2/an pour tous usages. Les besoins pour les particuliers se répartiraient entre 80 kWhep/m2/an pour les usages thermiques (chauffage, ventilation, climatisation, éclairage et l'eau chaude sanitaire) et 50 kWhep/m2/an pour les usages couverts par l'électricité (usages spécifiques).
Indépendance au pétrole en 2050
Les évolutions majeures en matière de mobilité sont surtout attendues pour la période 2030-2050. A cette date, l'Ademe estime que la population active travaillera plus régulièrement en télétravail ou dans des télécentres à proximité de leurs lieux de vie. Ce phénomène conjugué au vieillissement de la population réduira la mobilité par personne de 20%. Le véhicule individuel perdra de son attrait (20% en urbain, 39% en périurbain). Le transport collectif sera doublé par rapport à aujourd'hui, le transport en deux roues multiplié par 4 et les services de mobilité représenteront 30% du flux de voyageurs. Avec la mutualisation des véhicules, l'Ademe estime que le parc va se réduire pour atteindre 22 millions de voitures (contre 35 millions aujourd'hui). Il se composera pour 1/3 de véhicules hybrides rechargeables, 1/3 de véhicules thermiques et 1/3 de véhicules électriques.
Ce scénario 2050 permet à l'Ademe d'imaginer une indépendance au pétrole à cet horizon. Elle estime en effet que les voitures thermiques seront alimentées principalement au gaz qu'il soit "bio" ou non, mais également que l'offre de la 2ème voire 3ème génération d'agrocarburants se sera développée. "Le vecteur gaz présente l'intérêt de pouvoir être décarboné progressivement", précise François Loos.
Plus de SAU en production intégrée
Pour l'agriculture, les efforts porteront sur les pratiques culturales pour arriver à une production intégrée qui limite l'usage des intrants, valorise les apports organiques et intègre les rotations de culture pour 10% de la surface agricole utile (SAU). L'Ademe considère également que l'objectif du Grenelle de 20% de la SAU en agriculture biologique sera atteint. Autre estimation : le rythme d'artificialisation des sols, aujourd'hui de 62.000 ha/an, sera divisé par deux en 2030.
A l'horizon 2050, la production intégrée représentera 60% de la surface agricole utile, l'agriculture biologique 30% et la conventionnelle 10%. En tenant compte des effets du changement climatique, l'Ademe estime que les besoins en irrigation augmenteront de 30% pour atteindre un volume d'eau annuel de 4 milliards de m3.
Des innovations dans l'industrie
Grâce à des technologies innovantes et des mesures organisationnelles, l'industrie parviendra également à améliorer son efficacité énergétique : par exemple un gain de 7,5% par tonne produite par rapport à 2010 pour la sidérurgie, de 29,4% pour l'industrie agro-alimentaire ou de 18% pour la chimie. En 2050, elle pourrait ainsi voir ses besoins énergétiques descendre à 27,9 Mtep contre 33,4 en 2030 et 36,8 en 2010.
Un mix énergétique à 30% d'EnR d'ici 2050 ?
L'agence a, dans un second temps, estimé le potentiel des énergies renouvelables pour répondre aux besoins énergétiques identifiés. Résultat, en 2030, les énergies renouvelables et de récupération, outre une utilisation directe, devraient alimenter 16,8% des réseaux de gaz via la méthanisation et 86% environ des réseaux de chaleur (biomasse, géothermie, méthanisation). Sur le plan de l'électricité, l'Ademe s'est basée sur un mix énergétique contenant 50% de nucléaire "à l'image de ce qui a été décidé par le gouvernement". La moitié restante proviendrait des EnR dont 30% d'EnR intermittentes (21% éolien, 8,6% photovoltaïque). "A priori une intégration de 30% d'EnR dans les réseaux électriques ne poserait pas de problèmes selon les gestionnaires", explique Virginie Schwarz Directrice exécutive Programmes de l'Ademe. "Pour 2050, la question est plus problématique et sous entendra des investissements importants", ajoute-t-elle. Raison évoquée par l'agence pour ne pas se prononcer sur la place du nucléaire dans son mix énergétique 2050. "2050 est une terra incognita pour nous, explique François Loos. Tout dépendra des capacités des réseaux à accepter les énergies renouvelables. Si l'on ne peut pas augmenter le taux d'EnR il faudra faire appel à d'autres technologies et notamment le nucléaire".
Dorothée Laperche et Florence Roussel