Margrete Auken, eurodéputée danoise en faveur d'une interdiction des sacs plastiques oxobiodégradables, accuse l'entreprise Symphony Environmental Technologies de faire jouer ses contacts avec les conservateurs au gouvernement britannique pour mobiliser une minorité de blocage contre son projet au Conseil de l'UE.
Martin Callanan, ancien président du groupe des Conservateurs et Réformistes européens ayant perdu son siège au Parlement européen lors des dernières élections, en mai, a intégré la société Symphony en tant que consultant le 5 novembre. Il y a rejoint Nirj Deva, eurodéputé conservateur depuis 1999... mais également président du conseil d'administration de l'entreprise Symphony. Nirj Deva n'est officiellement pas impliqué dans le lobbyisme, conformément aux règles européennes en la matière.
Un amendement controversé
La législation rédigée par la Commission européenne en 2013 visant la réduction de l'utilisation de sacs en plastique léger ne prévoyait pas d'interdire complètement ces produits ni d'imposer qu'ils deviennent payants. Mais lors de l'examen au Parlement, la rapporteur Margrete Auken a proposé un amendement proposant d'interdir les sacs oxobiodégradables, constitués d'un type de plastique particulier, afin de réduire de 80 % de l'utilisation de sacs en plastique léger d'ici 2019 et de les rendre payant.
L'ancien eurodéputé Michael Stephen, vice-président de Symphony a confié sa réaction à ces propositions à EurActiv . "Elle a montré sa vraie nature. Nous ne pensons pas que le Parlement européen devrait choisir comme rapporteurs des gens comme elle." "Quand nous avons pris conscience [de cette proposition d'amendement], nous avons dû nous défendre, nous explique Martin Stephen, lui-même ancien membre du comité chargé de l'environnement à Westminster. Nous avons demandé à notre gouvernement, le gouvernement britannique, de se pencher sur la question."
Les défenseurs du plastique oxobiodégradable insistent sur la qualité biodégradable de cette matière, alors que ses détracteurs avancent que ce plastique ne se désintègre pas réellement, mais se morcelle en particules de microplastique nocives.
La Commission a entamé des recherches sur le sujet. Le Royaume-Uni souhaite attendre les résultats de ces recherches avant que ne soit votée l'interdiction. Les sacs plastiques ne peuvent être donnés gratuitement au pays de Galles, en Écosse et en Irlande du Nord. Une initiative similaire est à l'étude en Angleterre.
Le gouvernement britannique n'essayait pas de protéger Symphony, assure Martin Stephen. Les parlementaires estiment simplement qu'il n'est pas juste d'infliger de sérieux dommages à l'industrie avant que les résultats des recherches soient connus.
Des sources au parlement britannique ont en effet confirmé que le Royaume-Uni était opposé à l'interdiction et à la vente obligatoire des sacs plastiques, et que d'autres États membres partageaient cet avis. Selon les informations d'EurActiv, ces "autres États membres" incluent la Pologne, la Croatie, le Danemark, la Bulgarie et la Slovaquie.
La dispute a émergé quelques jours seulement avant le trilogue, les discussions préliminaires entre le Conseil et le Parlement visant à l'obtention d'un accord qui permettrait d'intégrer la proposition à la législation européenne.
De précieuses relations
L'eurodéputée Margrete Auken a déclaré à la presse le 13 novembre que "nous sommes face à un gouvernement conservateur qui se bat pour défendre les intérêts d'une petite entreprise britannique qui entretient des relations étroites avec le parti."
"Une entreprise produisant une technologie [l'oxobiodégradable] absurde, qui crée non seulement des problèmes directs environnementaux, mais a aussi des conséquences indirectes aux niveaux du recyclage et du compostage."
L'eurodéputée danoise, du groupe des Verts, a aussi décrit Symphony comme une entreprise de 30 personnes, une déclaration "scandaleuse" qui a fait bondir Martin Stephen.
Le vice-président de l'entreprise a affirmé que Symphony n'avait pas été invitée à s'adresser à la commission chargée de l'environnement du Parlement européen lors de son débat sur l'interdiction des oxobiodégradables.
"Tout ce qu'elle dit est à 100% faux. Il est insensé de fonder des règles européennes sur ce genre d'absurdités", s'insurge le Britannique.
"Des recherches scientifiques indépendantes ont démontré que le plastique oxobiodégradable était dégradable, non toxique et recyclable", affirme-t-il.
"Comment se fait-il que cette entreprise réussisse à créer une minorité de blocage parmi les États membres prête à défendre cette technologie, à l'encontre des intérêts de toute l'industrie plastique, y compris les recycleurs ?", s'interroge Margrete Auken.
La réponse de Martin Stephen ne s'est fait attendre : "Ne devrait-on pas plutôt parler des liens entre cette proposition d'interdire l'oxobiodégradable et les entreprises italiennes qui promeuvent les plastiques hydro-biodégradables ou compostables ?"
Quand on lui a demandé s'il faisait un lien la présidence italienne de l'UE et ces entreprises italiennes, il répond "oui, je fais un lien entre eux". "Quatre des six délégués du Parlement pour le trilogue sont Italiens. Ce n'est pas une surprise", poursuit le vice-président de Symphony.
Les bureaux de Margrete Auken nous aiguillent un communiqué de PlasticsEurope de septembre 2013. L'organisation s'y réjouit de la proposition d'interdiction des oxobiodégradables d'ici 2020.
"Aucun type de sac plastique n'est une solution à la pollution, mais le plastique dit ' oxobiodégradable ' se décompose en microplastiques dans la nature, explique l'eurodéputée. Tout le monde s'inquiète, y compris les composteurs, recycleurs et convertisseurs de plastique. Tout le monde sauf l'industrie de l'oxobiodégradable et ses lobbyistes. C'est cette inquiétude qui a poussé le Parlement européen à voter, à deux reprises, et avec une large majorité, en faveur de l'interdiction."
Mercredi 12 novembre, le vice-président de la Commission, Frans Timmermans, a fait allusion à un abandon possible de la proposition, dans le cadre de sa promesse de réduction des règles non nécessaires.
Selon certaines estimations, les Européens utiliseraient en moyenne 500 sacs en plastique par an, dont 92% sont non réutilisables. Légers et de petite taille, les sacs en plastique échappent souvent à la gestion des déchets et se retrouvent dans les mers, où leur décomposition peut durer des centaines d'années, selon le Bureau européen de l'environnement.