
Ambassadrice déléguée à l’environnement
Actu-Environnement : Quels sont les grands objectifs qui doivent impérativement figurer dans l'accord en négociation ?
Sylvie Lemmet : L'accord recherché est un paquet qui comprendra plusieurs décisions. D'une part, une décision qui permettra d'adopter le cadre mondial pour la biodiversité (Global Biodiversity Framework) pour la décennie 2020-2030 et, d'autre part, une soixantaine d'autres décisions constituant des annexes à la Convention sur la diversité biologique. Parmi ces décisions figurent des dispositions sur la mise en œuvre du cadre, sur les indicateurs ou encore sur la mobilisation des ressources. La Convention est également accompagnée de deux protocoles : le Protocole de Nagoya, sur l'accès aux ressources génétiques, et le Protocole de Carthagène, sur la prévention des risques biotechnologiques.
AE : Que devra comprendre le Global Biodiversity Framework ?
SL : Dans sa partie introductive, il doit afficher une mission suffisamment claire pour être comprise par le grand public et par les politiques. C'est celle d'arrêter et d'inverser le déclin de la biodiversité d'ici à 2030, avec l'objectif d'un impact net positif pour la nature. Dans sa deuxième partie, il comprendra quatre grands objectifs à l'intérieur desquels on trouvera 22 ou 23 cibles déclinées autour des trois grands piliers de la Convention, à savoir la conservation de la biodiversité, l'utilisation durable des ressources naturelles et le partage des avantages issus des ressources génétiques. Les cibles sont liées aux cinq facteurs de destruction de la biodiversité identifiés par l'Ipbes : le changement d'usage des terres et des mers, la surexploitation des espèces, le changement climatique, les pollutions et les espèces exotiques envahissantes.
AE : Sur quels objectifs êtes-vous la plus attentive ?
SL : Avec l'ensemble du gouvernement et les ministres présents sur place, nous portons une grande attention sur l'objectif d'augmenter la surface, la connectivité et l'intégrité des écosystèmes naturels ainsi que sur les risques d'extinction des espèces ou encore sur la diversité génétique. Parmi les cibles figure celle de protéger 30 % des terres et des mers d'ici à 2030, dite « 30X30 ». Sur la moyenne mondiale, on est bien en-dessous de ces chiffres actuellement, avec 17 % des terres protégées et seulement 8 % des mers. On a également une cible qui vise la restauration des écosystèmes. Une autre cible porte sur la réduction quantitative des risques et des usages de polluants, en particulier des engrais et des pesticides. On a ensuite un objectif sur l'utilisation durable des ressources, avec la réduction de l'empreinte écologique globale, dans le respect des limites planétaires, à l'horizon de 2050. Deux autres points importants portent sur l'encouragement des entreprises et des institutions financières à faire un reporting en matière de biodiversité, ce qui existe déjà en France, ainsi que sur la diminution et la suppression des investissements néfastes à la biodiversité.
AE : Vous insistez également sur les mécanismes de mise en œuvre. Pourquoi ?
SL : L'échec des objectifs d'Aichi, fixés en 2010, s'explique principalement par l'absence de cadre de suivi. D'où l'importance d'un mécanisme de mise en œuvre qui doit prévoir un rapportage à échéance régulière avec des indicateurs clés sur différents sujets, ainsi qu'un bilan mondial pour évaluer la progression et pour rehausser l'ambition. Il est également important d'inclure dans le processus les acteurs non étatiques, c'est-à-dire les entreprises, les collectivités locales, les peuples autochtones ou encore les associations.
AE : Quels sont les points de blocage qui restent à lever pour conclure un accord ?
SL : Les cibles les plus matures ont été adoptées. En revanche, des blocages subsistent sur certains points. Par exemple, sur la question des financements, en particulier le montant que les pays développés peuvent verser aux pays en développement. Les montants demandés sont bien supérieurs aux flux actuels, de l'ordre de 5 à 10 milliards d'euros par an, et seront inatteignables en huit ans, d'autant que les montants ont déjà doublé depuis Aichi, avec la mise en œuvre de l'engagement d'Hyderabad. Surtout, le chiffre à atteindre dépendra évidemment de ce qui figurera dans l'accord final. Quant à l'objectif 30X30, certains pays ne se sentent pas capables ou ne souhaitent pas protéger 30 % de leur espace maritime. Certains États, par exemple, sont volontaires pour la protection, mais ont besoin d'être rassurés. À cet égard, il faut rappeler qu'il s'agit d'un objectif global, certains pays pouvant être à 10 % et d'autres à 45 %.
AE : Des tensions semblent également exister sur le partage des avantages issus des ressources génétiques numérisées ?
SL : Effectivement, la numérisation des ressources génétiques (DSI pour Digital Sequence Information) est un gros sujet qui fait partie du paquet. C'est très complexe car les informations sont stockées dans des bases de données réparties dans le monde entier. Il est très difficile de savoir d'où vient une information séquencée qui sera utilisée par une entreprise donnée pour faire de la recherche sur un médicament ou un produit alimentaire par exemple. Ce sont les entreprises qui en bénéficient qui devraient payer, mais le protocole de Nagoya est déjà compliqué à mettre en œuvre et tous les pays ne l'ont pas encore transposé dans leur législation nationale. Beaucoup d'autres questions se posent, sur le libre accès aux données pour les chercheurs, par exemple, ou sur l'équité, puisque les entreprises de pays non parties à la Convention ne seraient pas concernées. De nets progrès ont été accomplis depuis un an en la matière, mais je suis, pour l'heure, bien incapable de prédire ce qui sera ou non décidé.
AE : La mobilisation politique est-elle à la hauteur des enjeux de cette COP, sous présidence chinoise, où ne seront pas présents les chefs d'État et de gouvernement ?
SL : Le leadership chinois est bien présent, avec une méthode qui privilégie les échanges bilatéraux et les consultations. La Chine a déclaré qu'il fallait maintenant avancer. Le fait que les chefs d'État ne soient pas présents fait que, a contrario, les ministres le sont beaucoup. Le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Christophe Béchu, emmènera la délégation française lors du segment de haut niveau du 15 au 17 décembre et restera jusqu'aux dernières heures de négociations.
AE : La France est-elle exemplaire dans cette mobilisation ?
SL : La France est bien plus mobilisée sur la biodiversité que la moyenne des États. Elle a présidé, au premier semestre, le Conseil de l'UE et a contribué à faire adopter la position européenne. Elle était également présente politiquement pendant la COP 27, à Charm-El-Cheikh, pour préparer Montréal. Elle a fait tout ce qu'elle pouvait pour faire monter le sujet à l'international à travers des événements comme le One Planet Summit, le congrès de l'UICN ou le One Ocean Summit.