C'était loin d'être gagné. Mais les États parties à la Convention sur la diversité biologique sont parvenus, ce lundi 19 décembre, à Montréal, en clôture de la COP 15 sous présidence chinoise, à adopter un cadre mondial pour la biodiversité (GBF) pour la période courant jusqu'à 2030. Le secrétariat de la Convention, tout comme de nombreux États signataires, à commencer par la France, n'hésitent pas à parler d'un « accord historique ». Et ce, comme le rappelle le ministère français de la Transition écologique, alors qu'un million d'espèces sont menacées d'extinction, que 75 % de la surface terrestre sont altérés de manière significative et que 85 % des zones humides ont disparu.
Certaines ONG saluent également cette adoption. « C'est une performance que d'être parvenus à se mettre d'accord sur un objectif collectif à l'échelle mondiale pour enrayer et inverser la perte de biodiversité (…), se réjouit ainsi Macro Lambertini, directeur général du WWF International. Cet accord envoie un signal clair et doit être une rampe de lancement pour les gouvernements, les entreprises et la société civile pour déployer un monde positif en nature, où il y aura en 2030 plus de nature qu'en 2020. » Mais des observateurs pointent, dans le même temps, un certain nombre de faiblesses et de menaces.
Techniquement, le cadre mondial est constitué de quatre objectifs et de 23 cibles à atteindre d'ici à 2030. En plus de ce cadre mondial, les représentants de 188 gouvernements présents à Montréal (sur 196 États parties à la Convention) ont adopté une série d'accords connexes portant sur la mise en œuvre du cadre et le rapportage à l'aide d'indicateurs, sur la mobilisation des ressources, et sur l'information relative au séquençage numérique des ressources génétiques.
Protéger 30 % des terres et des mers
Parmi les 23 cibles figure celle, emblématique, visant à protéger 30 % des terres et des mers. Un objectif porté par une coalition dite « de la haute ambition pour la nature et les peuples » présidée par la France, le Costa-Rica et le Royaume-Uni. Actuellement, seulement 17 et 10 % de ces espaces sont actuellement protégés. La coalition s'est engagée à créer un secrétariat et à se doter d'un budget pour accompagner ses membres, a indiqué le ministre français chargé de l'Écologie, Christophe Béchu. Le degré de protection de ces zones pose toutefois question. L'association Bloom, spécialisée dans la protection des océans, envoie une charge contre l'exécutif français, qu'elle accuse d'avoir « tué l'objectif » de mettre 10 % des espaces sous protection stricte et de s'être opposé à l'adoption de critères précis de qualité de protection pour le reste.
Les États parties ont en effet adopté la cible consistant à réduire de moitié l'excès de nutriments et le risque global posé par les pesticides et les produits chimiques les plus dangereux. Ils ont aussi adopté la cible visant à réduire « à près de zéro » la perte de zones à haute importance pour la biodiversité. Avec cette formulation, « les États acceptent, en creux, de perdre encore davantage de milieux naturels essentiels pour la biodiversité », pointe toutefois le WWF. Ce qui, ajoute l'ONG, est incompatible avec l'ambition d'inverser la perte de biodiversité d'ici à 2030, mais aussi avec les engagements pris en matière de lutte contre la déforestation lors de la COP climat de Glasgow.
Mobiliser 200 milliards de dollars par an
Autre cible particulièrement importante : celle de réduire d'au moins 500 milliards de dollars par an (Md$/an) les subventions qui nuisent à la biodiversité d'ici à 2030. En ce qui concerne la question des financements, qui a nourri de nombreuses oppositions, les représentants des États sont parvenus à l'objectif de mobiliser, d'ici à 2030, au moins 200 Md$ par an en financements nationaux et international, de sources à la fois publiques et privées, pour la biodiversité. Les flux financiers des pays développés vers ceux en développement devront, quant à eux, être portés à au moins 20 Md$/an d'ici à 2025, et à au moins 30 Md$/an d'ici à 2030. Des financements qui restent insuffisants aux yeux de certaines ONG. « Les gouvernements devraient (…) proposer un plan clair pour le total de 1 000 milliards de dollars par an nécessaire pour concrétiser cet accord », estime ainsi Osca Soria, directeur de campagne de l'ONG Avaaz. « Conformément à ses engagements, la France a prévu le doublement de ses financements à hauteur de 1 Md€ par an d'ici à 2025 », annonce, quant à lui, le ministère français de la Transition écologique.
Une cible concerne plus particulièrement les entreprises. Les États parties devront exiger que les grandes entreprises et les institutions financières transnationales « surveillent, évaluent et divulguent de manière transparente leurs risques, leurs dépendances et leurs impacts sur la biodiversité à travers leurs opérations, leurs chaînes d'approvisionnement et de valeur et leurs portefeuilles ». Certains représentants de la sphère privée ont émis des réactions positives à l'occasion de l'adoption de l'accord. « Il en résultera une plus grande responsabilisation et des décisions mieux informées de la part des investisseurs, des gouvernements, des consommateurs et des entreprises elles-mêmes », a ainsi réagi Alan Jope, P-DG d'Unilever. « Le risque lié à la nature fait partie intégrante du risque et du rendement des investissements, et il existe une opportunité évidente d'aligner les flux financiers sur des objectifs positifs pour la nature », relève, de son côté, Andy Howard, responsable mondial de l'investissement durable dans la société de gestion d'actifs Schroders.
« Pas un accord de papier »
Les dispositions adoptées en matière de mise en œuvre sont saluées, car l'échec de l'atteinte des objectifs d'Aichi, fixés en 2010 lors de la COP 10, s'explique pour beaucoup par l'absence de cadre de suivi, ainsi que l'avait rappelé Sylvie Lemmet, ambassadrice déléguée à l'environnement, lors de l'ouverture de la COP 15. Pour le WWF, l'adoption d'un tel mécanisme marque la différence par rapport aux accords précédents, mais l'ONG le considère toutefois comme trop faible.
« Il y a un cadre mondial, ensuite il y a un cadre de mise en œuvre national ; chacun va devoir se mettre à la hauteur de cet accord pour que l'on soit en capacité de prouver que ce n'est pas un accord de papier », confirme Christophe Béchu. La détermination des États membres de l'UE va être rapidement testée, puisqu'un Conseil européen se réunit, le 20 décembre, pour discuter du projet de règlement sur la restauration de la nature. Sur le plan national, le ministère de la Transition écologique annonce la déclinaison « dans les prochains mois » de l'Accord de Montréal dans la Stratégie nationale pour la biodiversité.
Mais certains laissent poindre leur scepticisme. « Tout se jouera dans la mise en œuvre, sur laquelle l'accord ne donne quasiment aucun engagement chiffré, déplore ainsi Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). L'absence coupable des grands dirigeants de la planète à cette COP 15 témoigne du travail qu'il reste à faire pour que se dessine une véritable ambition en faveur de la biodiversité. »