Suivre la circulation de virus sur le territoire grâce à une analyse des eaux usées : c'est l'idée à laquelle souhaitent arriver les scientifiques
Le réseau d'assainissement est en effet le reflet des pathologies de la population raccordée : des virus, notamment comme celui provoquant la grippe, la gastro-entérite ou encore le Covid-19, sont éliminés par l'organisme et se retrouvent dans les eaux usées.
« Au départ, l'objectif de ce réseau était de comprendre les contaminations de la ressource en eau potable par des virus de la gastro-entérite. Nous avons mis en évidence, en 2015, que leur présence dans la Seine provenait des rejets de station d'épuration et qu'en les suivant, nous avions une vision de la circulation du virus de la gastro-entérite au sein de la population parisienne, explique Sébastien Wurtzer, microbiologiste virologue à Eau de Paris. Nous avons appliqué la même approche pour le virus du Covid-19, SARS-CoV-2 ».
Cette surveillance des eaux usées pourrait constituer un signal précoce pour aider à la gestion de la pandémie. « Nous estimons aujourd'hui que le délai d'incubation, la période entre l'infection par le virus et les symptômes, varie entre deux et quatorze jours. En moyenne nous sommes aux alentours de cinq à six jours, indique le microbiologiste virologue. Dès que la personne est infectée, elle produit du virus. L'avantage de l'analyse des eaux usées c'est de détecter la circulation du virus avant l'apparition des symptômes ». Pour mémoire, le maximum de contagion serait de 24 h avant l'apparition des symptômes.
Cette approche pourrait venir en complément des diagnostics sanitaires individuels. « Nous sommes en train de mener une étude avec la ville de Paris pour regarder ce qui circule en sortie des hôpitaux mais aussi en sortie d'Ehpad, complète Sébastien Wurtzer. L'analyse des eaux usées pourra confirmer s'il est pertinent de faire des tests individuels, le diagnostic sanitaire ponctuel montrant seulement à un instant T si le virus est présent ».
Aujourd'hui, le réseau suit une trentaine de stations d'épurations, dont cinq en région parisienne. Il utilise des préleveurs automatiques pour recueillir des échantillons représentatifs de ce qui circule pendant 24 h.
Un objectif de suivi d'une centaine de station d'épuration
S'il ne peut couvrir les près de 22 000 stations d'épurations françaises, pour être représentatif, ce maillage doit toutefois s'étendre. « Le Gouvernement a débloqué 500 000 euros pour que nous mettions en place les bases d'un réseau national sentinelle, précise Sébastien Wurtzer. Des mathématiciens travaillent sur une cartographie de la France pour couvrir un maximum de la population en un minimum d'analyse. Aujourd'hui nous estimons qu'avec une centaine de stations bien positionnées, stratégiques, nous pourrions englober plus de la moitié de la population française ».
Un maire pourra ainsi solliciter les chercheurs pour savoir si les débordements éventuels du réseau liés à un orage pourraient remettre en question le maintien de la baignade.
« Notre réseau pourra coordonner le suivi épidémiologique et faire remonter les informations. Mais nous n'avons pas vocation à prendre des décisions politiques pour fermer les plages par exemple », rappelle Sébastien Wurtzer.
Sensible à l'approche de la saison estivale, la question de la présence du virus SARS-CoV-2 dans l'eau de baignade a également intéressé l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer). Mi-avril, l'Ifremer a réalisé une campagne de prélèvements, notamment d'échantillons d'eau de mer et de coquillages, afin de vérifier si des traces de ce virus, pouvaient y être détectées.
« Les sites de prélèvement ont été sélectionnés selon leur exposition aux sources de contamination fécale d'origine humaine : trois sites sur la côte normande, huit sur les côtes bretonnes, huit sur la façade atlantique, et trois sur la façade méditerranéenne », précise l'Ifremer.
L'Institut a prélevé quatre échantillons d'un litre d'eau marine ainsi que deux échantillons de moules et 19 échantillons d'huîtres creuses.
Pour l'instant pas de traces de virus dans l'eau de mer ou les coquillages
Au final, ces premières analyses ne montrent pas de présence du virus SARS-CoV-2 ni dans les coquillages ni dans les échantillons d'eau de mer. « Prouver l'absence réelle du virus est un art difficile : nous n'avons pas prélevé d'échantillons dans toutes les zones littorales sensibles aux contaminations par des rejets humains ; d'autre part, sur les 7 à 9 grammes de tissus de coquillages prélevés, nous n'en analysons qu'une petite partie, modère Soizick Le Guyader, virologiste et responsable du laboratoire nantais qui a réalisé les analyses. Nous avons donc décidé de poursuivre nos prélèvements et nos analyses sur les mêmes sites tous les quinze jours pendant encore plusieurs mois, afin de suivre les éventuels effets d'une circulation potentiellement accrue du virus dans la population dans le contexte de la levée progressive des mesures de confinement ».
Une autre des questions que les scientifiques n'ont pas encore démontrées reste le caractère infectieux ou non de ce virus potentiellement retrouvé dans l'environnement, que ce soit des eaux usées ou de baignade. « Nous savons que le virus peut se répliquer sur des cellules intestinales mais chez les patients dont nous avons isolé des selles, pour l'instant, le virus n'a jamais pu être remis en culture, pointe Sébastien Wurtzer. Arriver à le remettre en culture voudrait dire qu'il est potentiellement infectieux. Ensuite se poserait la question du risque de contamination : la dose infectieuse, le mode d'exposition, etc. ».
Pour la question du suivi épidémiologique, les scientifiques du projet Obépine espèrent consolider leur réseau et le maintenir dans le temps. « Ce réseau de surveillance va bien au-delà du coronavirus : toute la difficulté et l'enjeu c'est d'arriver à le pérenniser. Nous pourrions avoir un suivi réel de manière élargie des maladies émergentes car nous pouvons retrouver des indicateurs dans les eaux usées », estime Sébastien Wurtzer.