Ils préconisent pour cela de calquer le circuit de l'industrie - du berceau à la tombe - sur celui de la nature - du berceau au berceau. En 2002, Mc Donough et Braungart, respectivement architecte et chimiste, créent la certification internationale "Cradle to Cradle - C2C", dont le sens est d'encourager la conception de produits non plus pensés pour avoir un impact minimal mais bénéfique pour l'environnement. « Jusqu'à présent, notre travail a mis en place une méthode de design holistique, humaniste et environnementale, tout en concevant des bâtiments séduisants et innovants. Nous avons construit des bâtiments énergétiquement efficaces, neutres en termes de CO2 et autonomes. C2C va au-delà de tout cela. A présent, notre objectif est de créer des bâtiments qui récupèrent des nutriments et permettent une gestion du flux des matériaux », proclame le Manifeste Cradle to Cradle. L'éco-architecte Bill Mac Dounough rêve de construire des immeubles-arbres.
La notion de cycle est au cœur de l'approche Cradle to Cradle. Les temps de la nature s'organisent sous la forme de cycles de durées diverses qui régulent son existence. Ces cycles entraînent un flux continu de transformation de la matière, qui garantit l'évolution. La matière n'est jamais détruite mais convertie, la fin d'une matière permettant à une autre de croître. La vie assure ainsi sa continuité, métamorphosant ses propres déchets en nouvelles réserves. Depuis 2005, aux Etats-Unis, en Allemagne et en Hollande, près d'une cinquantaine d'industriels et 300 produits ont obtenu la certification C2C : un jean, des meubles de bureau, en passant par du savon pour les mains...
Des matières circulaires
En intégrant la circularité et la variété des rythmes naturels, l'entreprise serait capable de percevoir une autre relation avec le temps et d'en tirer une stratégie qui lui permet de réduire ses coûts de matière, de payer moins de taxes, de se préparer à de nouvelles contraintes réglementaires. L'entreprise qui s'approprie l'idée de cycle imagine une véritable économie des ressources naturelles. Elle repense leur transformation, valorise les déchets de production, innove par de nouvelles stratégies de gestion et parvient à créer de véritables écosystèmes industriels interdépendants. L'approche en cycle de vie du produit est fondamentale pour ce que le designer Thierry Kazazian appelait l'économie légère.
Christine Guinebretière, directrice d'EPEA Paris (Environmental Protection Encouragement Agency), Institut environnemental fondé par Michael Braungart, pose les fondamentaux : "La philosophie Cradle to Cradle s'appuie sur quatre postulats : les déchets peuvent être des ressources, le soleil est l'énergie renouvelable ultime, la diversité doit caractériser les produits, et l'intention de ne pas nuire doit être assumée. Nous devons poser une intention afin de restaurer la planète. Ce qui veut dire qu'il faut développer des produits qui ne soient pas toxiques". Les critères de la certification C2C couvrent la santé (abolition des toxiques), la part de réutilisation (50% des objets au minimum), l'utilisation d'énergies renouvelables (objectif : 50% dans les process), la conservation de l'eau et la responsabilité sociale. La certification est classée en quatre degrés : basique, argent, or, platine
C'est ainsi qu'une entreprise franco-suédoise, Tarkett, fabriquant de sols industriels, s'est mise à réfléchir à ses produits : « Pour le linoléum, nous avons analysé toutes ses composantes, quelles énergies étaient utilisées pour sa fabrication, où il était exporté et où il était produit », expose Anne-Christine Ayed, vice-présidente chargée de la recherche et de l'innovation du groupe Tarkett. En juin 2011, Tarkett obtient la première certification Cradle to Cradle. Dans ses 30 usines, la sciure de bois est utilisée comme énergie pour d'autres produits. La R&D du groupe a doublé : tous les ingénieurs sont formés à concevoir des produits Cradle to Cradle.
Une certification coûteuse
Karine Lathulière, directrice marketing chez Desso, explique comment cette entreprise de revêtements de sols a passé en revue l'ensemble des 54 produits utilisés dans les socles de moquette et dressé une première black list, selon une évolution progressive. Grâce à la philosophie Cradle to Cradle un programme de reprise des produits en fin de vie a été introduit grâce à un système de consigne mis en place auprès de ses clients industriels. "Vu le cours du pétrole, nous allons y trouver notre intérêt".
Pour Marion Huet, du cabinet de conseil en éco-conception EVEA, l'analyse du cycle de vie reste une bonne méthode pour optimiser l'empreinte environnementale tout au long du cycle de vie, l'objectif étant de "mettre les matières dans une boucle fermée, quitte à ce que l'industriel fasse payer un surcoût à ses clients, pour récupérer, par exemple, des bâches usagées comme c'est le cas du programme Texyloop mené par le groupe Ferrari, fabriquant de membranes et textiles composites".
Toutefois, l'ancien directeur développement durable du fabriquant français de mobilier de bureaux, Steelcase, revient sur des questions de fond : ne faudrait-il pas intégrer la notion d'obsolescence programmée dans l'économie circulaire ? Pourquoi le coût des certifications Cradle to Cradle demeure-t-il élevé ? Dans l'assistance, nombreuse en cet Alter-mardi organisé par le groupe SOS, une voix interpelle la tribune : "Cradle to Cradle, c'est pour les écowives de Hollywood !". La démarche est de fait très coûteuse : entre 5.500 et 75.000 dollars aux Etats-Unis. Quel est le rôle des consommateurs-citoyens dans son élaboration ? L'approche par matériaux n'est-elle pas réductionniste ? Cradle to Cradle en est à ses débuts et cherche sa place dans le paysage des normes, déjà nombreuses.