Ce lundi 20 février, les 1 700 salariés de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) étaient appelés à faire grève. En cause, leur opposition au projet de démantèlement de l'Institut annoncé le 8 février par le ministère de la Transition écologique. La lettre de mission envoyée aux acteurs concernés explique que les compétences techniques de l'Institut « seront réunies » avec celles de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et du Commissariat à l'énergie atomique (CEA). Le tout placé sous l'égide de l'ASN. Quant aux compétences en matière de recherche, elles rejoindraient le CEA. Objectif : créer un « pôle unique et indépendant de sûreté » afin, notamment, de « fluidifier les processus d'examen technique et de prise de décision de l'ASN pour répondre au volume croissant d'activité lié à la relance de la filière nucléaire ».
Cette réorganisation pourrait être proposée par le Gouvernement par le biais d'un amendement au projet de loi d'accélération du nucléaire attendu devant l'Assemblée nationale en mars.
Assurer une coordination
Au-delà des personnels de l'IRSN, l'annonce a suscité de nombreuses interrogations et critiques. Le sujet a fait l'objet, le 16 février, d'une audition devant l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst). À cette occasion, l'ASN a été l'acteur qui a le plus défendu le projet. Il s'agit, explique son président Bernard Doroszczuk, d'un nouveau renforcement de l'infrastructure d'expertise et de contrôle du nucléaire, comme ce fut le cas à chaque grande étape de l'histoire du nucléaire français (plan Mesmer en 1973 et création de l'ASN en tant qu'autorité indépendante en 2002 au lancement du programme EPR).
Pourquoi remettre en cause le système actuel ?
Pour le reste, les critiques ont fusé de toutes parts contre ce que l'historien spécialiste du nucléaire Michaël Mangeon a présenté comme « une rupture majeure » au regard de l'histoire de la sûreté nucléaire française.
Bien sûr, Jean-Christophe Niel, le directeur général de l'IRSN, a défendu le « travail rigoureux complet et intègre » de l'Institut. Ce professionnalisme, qu'aucun intervenant n'a discuté, met en lumière une première critique contre le projet du Gouvernement : pourquoi remettre en cause un système qui fonctionne ? Quels rapports signalent des défaillances ? En l'occurrence, très peu d'éléments concrets ont été apportés, en dehors d'une possible amélioration de la gestion d'une crise nucléaire majeure, estime l'ASN.
À l'inverse, les défenseurs du système dual ont souligné l'importance de l'indépendance de l'expertise par rapport à la prise des décisions. Et justement, un rapport d'avril 2014, signé de l'ASN et de l'IRSN, rejetait fermement toute idée de fusion : le système de contrôle « repose sur un système dual (…) dont l'efficacité est démontrée, [car] le poids de la décision ne repose pas sur l'Institut qui est en charge de l'expertise », concluait le document cité par Jean-Claude Delalonde, président de l'Association nationale des comités et commissions locales d'information (Anccli). En juin 2016, de nouveau, ASN et IRSN plébiscitaient ce système « en insistant sur les conséquences négatives d'une possible mise en concurrence de l'expertise (…) en cas de fusion de l'IRSN et de l'ASN ».
Un recul de quarante ans
Pour le directeur général de l'IRSN, une chose s'impose : si l'expertise de l'IRSN devait être absorbée par l'ASN, alors « il paraît incontournable (…) de maintenir une distinction très claire entre expertise et décision ». D'ailleurs, Michaël Mangeon a rappelé qu'au tournant des années 2000, l'État avait privilégié le système dual considérant que « construire un lien organique entre l'autorité de sûreté et le pôle expertise reviendrait à limiter la capacité d'expression de ce pôle d'expertise ». Depuis, cette distinction entre expertise et prise de décision est « devenue un standard de bonne gouvernance des risques » et le système français est cité « comme un modèle de sûreté après Fukushima ».
Claude Birraux, ancien président de l'Opesct et membre du Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN), met pour sa part en avant la difficile conquête de la confiance du public. Cette confiance « a été difficile à obtenir parce qu'il y a quarante ans on disait : "c'est tous les mêmes (…), on ne peut pas avoir confiance" », explique-t-il, rappelant l'amalgame entre l'État, EDF, le CEA, l'expertise et la gestion de la sûreté. « Tout le travail a été de séparer les fonctions d'expertise, de recherche et de régulation administrative », aujourd'hui, fusionner IRSN et ASN constitue « un recul de quarante ans ».
L'ouverture de l'IRSN plébiscitée
Enfin, de nombreux acteurs ont salué le rôle de l'IRSN vis-à-vis de la société civile et son ouverture à l'expertise non institutionnelle. Plusieurs intervenants ont insisté sur le lien créé par l'IRSN avec la société et les associations en matière de dialogue et de communication. L'ouverture de l'ASN a certes aussi été évoquée, mais de façon plus formelle et convenue.
Sur ce sujet, Jean-Claude Delalonde estime que « l'ouverture de l'IRSN à la société civile est un axe fort pour renforcer la cohésion des acteurs, pour coconstruire les décisions dans le domaine sensible et tabou de la filière nucléaire ». Et le président de l'Anccli d'évoquer ouvertement sa crainte de voir cette ouverture disparaître en cas de fusion, ce qui ne permettrait plus aux Cli d'exercer leurs missions.