Passé le débat public sur le stockage profond des déchets nucléaires, terminé voilà deux mois, viendra le moment d'en autoriser la création, en 2015, précise la loi de 2006. Pour ce faire, le président de la Commission nationale du débat public (CNDP) Christian Leyrit propose de jalonner la création du centre industriel de stockage géologique de déchets nucléaires (Cigéo) en commençant par une "étape significative" de "stockage pilote". C'est le principal enseignement qu'il tire du débat public dans son bilan présenté à la presse mercredi 12 février.
"Passage prudent d'une maquette froide (le laboratoire actuel de l'Andra [dit de Bure] ne contenant aucune substance radioactive) à un démonstrateur permettant une validation des modèles avant d'arriver à une déclinaison industrielle « de masse » pour enfouir l'ensemble des déchets", précise le compte-rendu du débat signé par Claude Bernet, président de la Commission particulière de ce débat public (CPDP). "Phase d'expérience grandeur nature", précise l'avis des citoyens panélisés.
Cette proposition conforte l'avis de l'ASN publié le lendemain du démarrage du débat. Elle a de quoi rassurer nos voisins le Grand-Dûché du Luxembourg et les länder allemands de Rhénanie Palatinat et de Sarre qui estiment que "la délivrance d'une autorisation de construction n'aboutit pas de façon automatique à une autorisation d'exploitation", laquelle "ne pourra être accordée qu'après l'évaluation de toutes les données recueillies lors de la construction".
Principal producteur des déchets concernés par le projet Cigéo, EDF salue ce résultat. "Pour nous, il est tout à fait envisageable que la construction puis la mise en service progressive de l'ouvrage industriel Cigéo, dont chaque étape sera validée par l'ASN, intègre une ou des phases pilotes pour permettre, si nécessaire, des vérifications complémentaires de sûreté", commente Pierre-Yves Lochet, porte-parole d'EDF pour ce débat public.
Le bilan précise : "Cette étape doit notamment permettre de garantir la capacité à maîtriser les risques, étant entendu que si cette démonstration ne pouvait être apportée, un retour en arrière soit possible ; c'est à dire que les colis qui auraient été mis en place à titre d'essai lors de la phase pilote puissent être retirés en toute sécurité". Cette application du principe de précaution à un stockage géologique réversible, principe acté par la loi de 2006, ne fait pas l'objet d'un consensus.
Pour l'expert de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest (Acro) David Boilley, ces deux principes "n'ont rien à voir dans ce projet qui est au contraire fondé sur l'irréversibilité", rappelle le compte-rendu avant de dresser en annexe un tableau de la diversité des points de vue argumentés sur la sécurité et la réversibilité du projet. "Ce débat nous a appris beaucoup sur comment se fondent les opinions, sur quoi peut se fonder un avis, commente Pierre-Yves Lochet. Force est de constater que la plupart des expressions sont favorables au stockage souterrain, pour certains en conditionnant cette approbation à des études complémentaires".
Le maître d'ouvrage réagit
L'Andra, maître d'ouvrage du projet, réagit à cette publication en soulignant que "le débat a été très riche, avec un nombre important d'expressions au niveau national et local". Selon le compte-rendu, sept des neuf débats contradictoires ont en fait été suivis en direct par moins de 300 internautes. 18,5% des questions posées viennent de Meuse et de Haute-Marne, a précisé Claude Bernet. Et "il est vital d'améliorer le cadre de vie des habitants [de Bure et ses environs] présents et futurs, via des équipements à l'internet très haut débit", estime l'avis de la Conférence de citoyens.
Dans son communiqué, l'Andra précise qu'elle "va examiner en particulier la proposition d'un nouveau jalonnement du projet", dans le délai de trois mois exigé par la loi. "Le ministre saisira ensuite pour avis l'ASN et pour observations les producteurs de déchets radioactifs avant de rendre publics la décision et le projet retenus par le gouvernement", déclare le ministère de l'Ecologie sans répondre à la question du lien avec le titre V du projet de loi de transition énergétique relayée par le Réseau Sortir du Nucléaire.
L'Andra "note également que des propositions sont formulées pour permettre l'insertion territoriale du projet (desserte ferroviaire, activités locales, formation)". Le fait que cela puisse passer par la création d'une zone d'intérêt national autour "d'un projet territorial mobilisateur et structurant", ce que la CPDP retient du débat, figure ni dans le bilan de la CNDP ni dans la réaction à cette publication de Jean-Paul Chanteguet, président de la Commission du développement durable de l'Assemblée nationale. De quoi décevoir les élus meusiens qui se sont bien plus impliqués dans le débat que ceux de Haute-Marne.
Si le bilan du débat acte la préférence du transport des déchets via le réseau ferré national, le compte-rendu souligne qu'" aucune option n'est arrêtée sur la desserte finale de l'éventuel centre de stockage : y aurait-il, ou non, une rupture de charge analogue à celle qui est actuellement pratiquée à Valognes (Cadarache), où les emballages passent du train au transport routier ?". Ce qui ne va pas calmer les inquiétudes du maire du village haut-marnais de Saudron qui semble avoir acquis l'idée d'accueillir sur son territoire le bâtiment d'entrée de la descenderie vers les installations souterraines.
"Les études d'avant-projet permettront à l'Andra d'instruire sur le plan technique les modifications apportées au projet suite au débat public et de prendre en compte les recommandations des évaluateurs (ASN, IRSN, CNE, Autorité environnementale)", poursuit l'Andra dans son communiqué. Durant le débat, elle a renforcé sa maîtrise d'oeuvre d'ingénierie technique confiée à Gaiya (Technip/Ingerop) avec les sociétés Astrium pour les installations nucléaires de surface (52,7 M€), Tractebel Engineering France pour les installations souterraines (52,2 M€), Cegelec pour les procédés techniques de transfert et de manutention des colis de déchets (21,7 M€), et la SNC Lavalin (6,8 M€) pour les installations conventionnelles de surface.
Quant au débat, son coût s'élève à moins d'1,4 M€. Aura-t-il été l'occasion d'expliciter les questions financières du projet, réserve formulée par la CNDP lorsqu'elle accepta de soumettre le dossier du maître d'ouvrage au débat public ? Le président de la CNDP n'a pas souhaité répondre à cette question.