Suite à la suspension du débat public sur le projet de Cigéo, la Commission particulière du débat public (CPDP) a réuni jeudi 6 juin au matin la table-ronde annoncée huit jours avant. "On s'est interrogé sur « Comment faire changer ces opinions qui n'ont pas d'intérêt à ce que ce débat public se tienne ? »", a expliqué le président Claude Bernet. Entouré des deux vice-présidents de la Commission nationale du débat public (CNDP), il s'est montré satisfait d'avoir réussi à rassembler les "forces vives de la Nation", les "cinq piliers" parmi lesquels l'Etat et le maître d'ouvrage. Il ne manquait que le citoyen pour que ce moment s'inscrive dans la procédure du débat public qui se poursuit depuis bientôt un mois.
Reprendre le débat sur le terrain
"Il faut que le débat se tienne", a affirmé Claude Bernet. Que cette opinion soit partagée par les 30 participants à la table-ronde n'a rien d'étonnant étant donné l'absence des trois invités dont la ligne de conduite est le "boycott actif" du débat : deux associations membres de la Coordination Bure-Stop et le Réseau Sortir du Nucléaire. Représentés, les présidents des Conseils Généraux de Meuse et de Haute-Marne, sénateurs et président de l'OPECST, Christian Namy et Bruno Sido, ont affirmé que ce débat doit être perçu "comme un moment important de dialogue, s'inscrivant dans un renforcement indispensable des instances de concertation exigé par la révélation progressive du projet CIGEO". Présentes, les sections syndicales CFDT Lorraine et Champagne-Ardenne ont, quant à elles, réaffirmé leur attachement à la démocratie participative. Elles représentent l'Union Fédérale des Syndicats du Nucléaire (UFSN) dont le Cahier d'Acteurs (n°7) vient d'être publié sur le site Internet du débat.
"Le débat public reprend car c'est un droit démocratique et un sujet majeur pour la France et d'une certaine façon pour l'Europe, a déclaré le vice-président de la CNDP Jacques Archimbaud. Le droit de s'opposer à un débat public n'existe pas et nous prendrons les moyens pour que ce débat ait lieu". Il a annoncé le recours à une expertise variée, à des experts indépendants pour favoriser une expression contradictoire.
Avec de nouvelles formes...
Saluant la présence de Bertrand Pancher, le député de la circonscription du sud-meusien concernée par le projet de Cigéo membre lui aussi de l'OPECST, Claude Bernet a annoncé avoir intégré l'une de ses propositions : l'organisation dans les communes concernées par le projet de Cigéo de petites réunions très locales sous forme minimaliste (permanence ou audition publique dans un hall d'école ou une salle des fêtes avec un membre de la CPDP et un du maître d'ouvrage). Un mode de débat qui risque fort d'être contaminé par la campagne électorale des prochaines municipales ; selon France Bleu Lorraine, elle est lancée dans la Région.
Organiser ces auditions locales, "ce n'est pas pour dissuader les opposants, mais pour rendre service à la population, recueillir l'expression du public, l'aider à formuler des avis, a précisé Claude Bernet. Pour l'instant, les seuls avis que nous ayons sont ceux du site Internet".
Comme libéré des contraintes budgétaires qui excluaient jusqu'ici la retransmission video en directe des réunions publiques, le Haut Fonctionnaire se dit prêt à renforcer la CPDP.
… Et dans un climat d'incertitude
Revenant sur l'échec de la réunion de lancement du débat, C. Bernet a estimé que le maître d'ouvrage avait abusé dans la représentativité de ses membres et que lui-même s'y est mal pris : "Faire la première réunion publique à Bure, je n'aurais pas dû". Interrogé sur l'opportunité du projet de Cigéo sur laquelle les Français sont invités à débattre, le président de la CPDP a repris les propos de la représentante du maître d'ouvrage : "l'Andra ne considère en aucun cas qu'il [le projet] est acquis". "Mais l'Andra ment !", a interjeté le représentant de l'association Qualité de Vie de Ville-Sur-Terre (Aube), la seule association anti-enfouissement à avoir accepté de participer à cette table-ronde.
"Nous savons déjà que même si le centre de Bure fonctionnait un jour, le problème des déchets nucléaires ne serait pas résolu. La France investit une nouvelle fois plusieurs milliards pour tenter de promouvoir le nucléaire au niveau national et international", a déclaré Greenpeace qui non seulement a refusé de participer à cette table-ronde mais a aussi décidé de se retirer du débat."Si Cigéo se fera ? Ça reste une question ouverte", a affirmé J. Archimbaud, citant en exemple les récents arrêts des projets similaires aux Etats-Unis et au Royaume-Uni.
Malgré le bon vouloir affirmé de la CNDP et de sa CPDP, la poursuite de ce débat public paraît bien fragile. La prochaine réunion publique non seulement est décalée dans le temps mais a changé de lieu, "pour des raisons d'accès et de sécurité par crainte de dérapages", précise L'Est Républicain, le quotidien local meusien. Absent de cette table-ronde, le Collectif contre l'enfouissement des déchets radioactifs (Cedra) soutient qu'un réel "progrès démocratique considérable serait de revenir à l'essence même de la démocratie : des choix faits pour et par le peuple". Il a justifié son refus d'y participer par sa vocation : faire reconnaître la nécessité "de déclarer un moratoire dans le projet d'enfouissement et la suspension du calendrier". Jusqu'au terme du débat sur la transition énergétique, suggère le président d'Asodedra, une association des Vosges "qui n'a pas appelé au boycott" du débat et n'a pu répondre favorablement à l'invitation de la CPDP dans un délai aussi bref.
Des débats publics à repenser ?
La liste des personnes invitées non présentes à la table-ronde révèle au final un fort taux d'abstention général (42%), notamment des parlementaires invités. Cela dénote un climat peu favorable à la participation citoyenne et fait écho aux conclusions du rapport sur les Autorités Administratives Indépendantes du député René Dosière : laisser à la CNDP la compétence pour l'organisation des seuls débats d'intérêt local ou régional (infrastructure de transport...), et confier l'organisation des grands débats d'ampleur nationale au Parlement. "Une institution semblable à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques (OPECST) pourrait être créée à cette fin", précise-t-il. Cette vision future de la CNDP pourtant contradictoire à celle de l'avis formulé par le Centre d'analyse stratégique témoigne d'un climat favorable à la participation représentative (parlementaire) lors des démarches de concertation sur les projets d'aménagements ayant des impacts sur l'environnement. Le dernier rapport de l'OPECST sur les gaz de schiste illustre d'ailleurs bien cette tendance au désintérêt de la démocratie participative.