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AccueilCarl Enckell, avec la collaboration de Lisa ViryFilière REP et aide d'État : l'avocat général de la CJUE est prudent

Filière REP et aide d'État : l'avocat général de la CJUE est prudent

Les soutiens financiers versés aux opérateurs de tri, déterminés selon le barème aval du dispositif de la REP textile constituent-ils une aide d'État illégale ?

Publié le 01/07/2020
Actu-Environnement le Mensuel N°406
Cet article a été publié dans Actu-Environnement le Mensuel N°406
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C'est la question à laquelle vont devoir répondre le Conseil d'État et la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Au vu du précédent que constitue le dispositif d'obligation d'achat des énergies renouvelables, la qualification d'aide d'État pourrait engendrer des conséquences importantes (risque de remboursement des aides illégales par leurs bénéficiaires ou par l'État si sa responsabilité était avérée). La réponse est donc très attendue en France jusqu'au plus haut niveau des acteurs économiques, administratifs et politiques.

Le 28 mai 2020, l'avocat général Giovanni Pitruzzela a rendu ses conclusions à la Cour de justice de l'Union européenne dans l'affaire C-556/191 relative au dispositif français de responsabilité élargie du producteur (REP) pour la gestion des déchets issus de produits textiles, du linge de maison et des chaussures. Bien que ces conclusions ne lient pas la CJUE, dont l'arrêt interviendra dans quelques mois, et n'ont, en soi, pas de force juridique contraignante, elles permettent d'éclairer la question de savoir si le modèle de REP à la française peut être fragilisé.

Après avoir rappelé le contexte de la saisine de la CJUE (I), nous examinerons la réponse de l'avocat général, qui fait preuve de prudence en évitant de trancher plusieurs questions (II).

I - Contexte de la saisine de la CJUE

Encadrée par la directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 et le droit national, la REP est un outil destiné à mettre en œuvre l'économie circulaire au sein de la filière des déchets. Elle vise à ce que les producteurs de produits assument la responsabilité de la gestion des produits une fois devenus déchets. Ainsi, en France, les metteurs sur le marché (producteurs, importateurs et distributeurs) de produits textiles, du linge de maison et des chaussures (TLC) doivent soit contribuer, soit pourvoir au recyclage et au traitement des déchets qui en sont issus.

Dans la pratique, la contribution via un éco-organisme agréé est largement adoptée et consiste à lui verser des contributions sur la base d'un cahier des charges : c'est la contribution amont. L'éco-organisme reverse ensuite les contributions financières aux personnes chargées du recyclage et du traitement des déchets : ce sont les soutiens en aval.

Dans le cadre des TLC, la société Eco TLC est le seul éco-organisme agréé en France pour pourvoir pour le compte des producteurs de produits TLC à l'obligation légale leur incombant de traiter les déchets issus de ces produits. Son cahier des charges prévoit notamment la présence, au sein du conseil d'administration, d'un censeur d'État, ainsi que la nature et le barème des soutiens financiers susceptibles d'être versés aux opérateurs de tri conventionnés.

Par un arrêté ministériel du 19 septembre 2017, modifiant un arrêté du 3 avril 2004, le cahier des charges d'Eco TLC a été changé, tel que le montant du soutien aval à la pérennisation versé aux opérateurs de tri qui est passé de 65 euros par tonne à 82,5 euros par tonne. En réaction à cette décision, Eco TLC a demandé au Conseil d'État l'annulation de l'arrêté, considérant qu'il s'agit d'une aide d'État illégale au sens de l'article 107 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).

En effet, selon l'éco-organisme, la détermination du barème aval (soutien versé par l'éco-organisme aux opérateurs de tri conventionnés) est incompatible avec le marché intérieur et aurait dû être préalablement notifiée à la Commission européenne (article 108§3 TFUE), puisque ces ressources proviennent de contributions obligatoires, conférant un avantage sélectif à leurs bénéficiaires de nature à fausser la concurrence entre les États membres   . En réponse à cet argument, il peut être objecté que ces soutiens financiers ne proviennent pas de ressources étatiques mais de contributions versées en amont par les metteurs en marché ayant contracté volontairement avec l'éco-organisme

Un contentieux important entoure depuis plusieurs années le dispositif français de responsabilité élargie du producteur et tout particulièrement les barèmes d'aide (amont et aval) fixés selon les cahiers des charges des éco-organismes. Ainsi, dans ses conclusions sous une affaire2 n°406667, 406668, 408516 jugée par le Conseil d'État le 30 mai 2018, la rapporteure publique a estimé que l'équilibre du dispositif dépend « autant des contributions versées par les metteurs sur le marché aux éco-organismes que des contributions ensuite versées par ces derniers aux collectivités ».

Finalement, devant l'importance du sujet, et au regard des effets potentiellement atomiques de la qualification d'aide d'État sur les nombreux dispositifs de REP adoptés par la France, le Conseil d'État a, par un arrêt3 du 12 juillet 2019, n°416103, renvoyé à la CJUE le soin de répondre à la question à titre préjudiciel. Si la CJUE venait à conclure que les sommes versées par Eco TLC devaient être considérées comme des aides d'État, alors plusieurs dispositifs de REP pourraient être fragilisés, avec à la clé un risque de remboursement des aides par leurs bénéficiaires, ou par l'État si sa responsabilité était avérée.

II- La réponse de l'avocat général devant la CJUE

L'avocat général estime que les soutiens versés aux opérateurs de tri ne sont pas des aides d'État4. Toutefois, ses conclusions sont très prudentes, et il évite de trancher sur de nombreuses questions. Il examine successivement les quatre critères cumulatifs de l'aide d'État à savoir : l'existence d'une intervention de l'État ou au moyen de ressources d'État (2.1.) ; l'existence d'un avantage économique sélectif aux opérateurs de tri (2.2.) ; un effet du dispositif sur la concurrence, d'une part, l'affectation des échanges entre les États membres, d'autre part (2.3). L'avocat général estime que, si les derniers critères sont remplis, les deux premiers ne le seraient a priori pas, mais préconise que cela soit examiné au cas par cas par le Conseil d'État.

Critère 1 : intervention de l'État ou au moyen de ressources d'État

Les conclusions reposent essentiellement sur la détermination de ce premier critère, largement plus développé que les autres. Sont considérés comme une aide d'État les avantages accordés directement ou indirectement au moyen de ressources d'État ; sachant que les ressources d'Etat sont des fonds « collectés par l'État, pour le compte de l'État, ou en vertu d'une intervention de l'État et mis à disposition des autorités nationales compétentes qui ont le pouvoir de décider de leur utilisation finale ».

Trois sous-critères établis par la jurisprudence permettent de déterminer s'il s'agit de ressources d'État : les contributions amont payées par les metteurs sur le marché doivent être obligatoires (a), constamment sous contrôle public (b), et il doit y avoir un lien suffisamment direct entre le prétendu avantage et une diminution du budget étatique (c). L'avocat général démontre que les soutiens financiers aux opérateurs de tri ne sont pas des ressources d'État, ce qui lui permet de conclure qu'il ne s'agit pas d'aide d'État (tous les critères étant cumulatifs). Toutefois, il émet des réserves sur chacun des sous-critères.

  1. a. Le caractère obligatoire des contributions amont

Les contributions en amont ne sont pas obligatoires en ce que le metteur sur le marché a le choix entre contribuer à l'éco-organisme ou pourvoir à la collecte et à la valorisation des déchets issus de TLC qu'il met sur le marché. Toutefois, dans ses conclusions devant le Conseil d'État (juridiction de renvoi devant la CJUE), le rapporteur public avait considéré que les metteurs sur le marché n'optaient pas pour la seconde option « purement théorique » car plus onéreuse et compliquée à mettre en place5. Il n'a sur ce point « pas de doute [sur le fait] que la législation française revient en pratique à imposer à presque toutes, sinon toutes les entreprises du secteur de contribuer à Eco TLC ».

L'avocat général devant la CJUE évoque lui aussi « une contribution qui est de facto obligatoire », ce qui doit être considéré comme entraînant les mêmes effets qu'une « contribution de jure obligatoire ». Faisant toutefois preuve de prudence, il demande à la juridiction de renvoi de vérifier que cette alternative est véritablement « purement théorique » car le dossier dont dispose la Cour « ne fournit pas tous les éléments factuels nécessaires pour effectuer de manière définitive une telle appréciation ».

  1. b. Des fonds constamment sous contrôle public

Ensuite, pour être qualifiés de ressources d'État, les fonds doivent rester « constamment sous contrôle public ». L'État aurait alors accès, ou du moins un pouvoir de disposition sur ces fonds.

L'accès aux fonds par l'État est ici rapidement écarté, puisque les fonds sont gérés par l'éco-organisme, qui est une entité privée, gérée par le droit privé ; et que les fonds conservent leur caractère privé pendant tout leur parcours.

Le pouvoir de disposition sur les fonds est plus difficile à apprécier. D'une part, ce pouvoir est inexistant au regard de l'initiative de versement car elle appartient aux metteurs en marché, et non à l'État. De même, si l'affectation des fonds permet exclusivement de répondre aux objectifs fixés par l'autorité publique, ce n'est pas une condition suffisante, au regard de la jurisprudence, pour conclure à un pouvoir de l'État de disposer des fonds.

Mais, d'autre part, ce pouvoir de disposition pourrait être caractérisé en ce que l'État « garde une emprise certaine » sur l'éco-organisme. En effet, l'État détermine le barème aval, ce qui influe sur le barème amont, l'éco-organisme répercutant les prix sur les metteurs sur le marché. L'avocat général tempère ce lien en citant les arguments présentés par le gouvernement français. Par exemple, le montant de la contribution amont dépend aussi d'éléments qui sont à déterminer par l'éco-organisme seul, tels que les coûts de gestion. La question de savoir à quel point ces éléments seraient déterminants dans le montant total des contributions amonts n'est pas évoquée. Finalement, il renvoie là aussi au Conseil d'État le soin de trancher la marge d'autonomie de l'éco-organisme par rapport à l'État.

Pour terminer, ferait également pencher vers un contrôle public permanent des fonds, le fait que les autorités publiques contrôlent l'éco-organisme via son agrément, et par la participation du censeur d'État aux réunions du Conseil d'administration. Néanmoins cet argument est modéré par le fait qu'il ne s'agit pas d'un contrôle assimilable à une tutelle. L'avocat général se contente finalement d'exposer les arguments relatifs à un contrôle de l'éco-organisme et à ceux de son autonomie, mais ne conclut pas sur le degré de contrôle. Ainsi, il ne tranche pas si les fonds restent ou non « constamment sous contrôle public ».

  1. c. L'existence d'un lien suffisamment direct entre le prétendu avantage et une diminution, à tout le moins potentielle, du budget étatique

Le sous-critère d'un lien suffisamment direct entre le prétendu avantage et une diminution, à tout le moins potentielle, du budget étatique est a priori écarté. En effet, les contributions amont ne revêtent pas le caractère d'une taxe ou une imposition. De plus, « sur la base des informations contenues dans le dossier » le dispositif ne prive pas l'État de ressources, de quelque nature que ce soit. L'avocat général en conclut que les soutiens financiers ne constitueraient pas des ressources d'État. Il précise, tout de même, que ce critère d'existence de lien doit être repris par la juridiction de renvoi.

Donc, concernant la qualification de ressources d'État, l'avocat général préconise que la juridiction de renvoi vérifie à la fois le caractère obligatoire des contributions des metteurs sur le marché, le degré d'autonomie de l'éco-organisme et l'existence d'un lien suffisamment direct entre l'avantage en cause et une diminution du budget de l'État. Cette première conclusion intermédiaire demeure alors hypothétique et conditionnée par des données et éléments factuels que l'avocat général n'a pas en sa possession. Dans le cas où la CJUE suivrait ces propositions, la marge d'interprétation du Conseil d'État serait très importante.

Critère 2 : l'avantage économique sélectif au bénéficiaire

  1. a. L'existence d'un avantage économique

Les soutiens financiers que l'éco-organisme verse aux opérateurs de tri peuvent être considérés comme conférant un avantage économique dont ils ne disposeraient pas s'ils étaient placés dans une pure situation de marché. En effet, la formule de calcul utilisée pour déterminer les soutiens financiers ne se fonde pas sur les coûts de la prestation de tri et de recyclage mais sur l'activité globale et d'autres facteurs qui peuvent constituer un avantage économique.

  1. b. L'existence d'un avantage sélectif

Sur ce point, le rapporteur public devant le Conseil d'État penchait pour valider l'existence d'un avantage sélectif, mais relevait de nombreux questionnements face à une jurisprudence de la Cour « difficile à théoriser et […] particulièrement large » sur cette notion6. Ce critère de la sélectivité consiste à favoriser certaines entreprises ou certains secteurs économiques qui sont dans une situation factuelle et juridique comparable. Le traitement entre ces entreprises ou secteurs est donc différencié et par là même, discriminatoire. Mais, dans l'affaire de la REP textile, la possibilité de stipuler une convention avec l'éco-organisme est ouverte à tous les opérateurs de l'Union européenne, ce qui les met sur un pied d'égalité. De plus, si des critères de performance et de traçabilité sont établis, les opérateurs ne pouvant pas y répondre sont dans une situation factuelle que l'avocat général estime ne pas être comparable ; invalidant ainsi le critère de la sélectivité. Le dispositif ne confèrerait donc pas d'avantage économique sélectif aux opérateurs de tri.

Néanmoins, après cette conclusion, l'avocat général ajoute de nouveau un doute, demandant à la juridiction de renvoi de vérifier si les critères du conventionnement des opérateurs de tri, que peut ajouter l'éco-organisme, ne constituent pas un traitement différencié pouvant être qualifié de discriminatoire.

Critères 3 et 4 :l'effet du dispositif sur la concurrence et l'affectation des échanges entre les États membres

Enfin, les deux derniers critères de l'aide d'État sont très rapidement analysés, car de manière plus évidente, remplis. Tout d'abord, le dispositif de REP en matière de TLC est susceptible d'affecter les échanges entre les États membres et de fausser la concurrence, car il confère un avantage aux opérateurs de tri conventionnés. De plus, il peut affecter les échanges entre États membres puisque les soutiens financiers ne concernent que les déchets d'origine française.

En conclusion, si l'avocat général devant la CJUE réfute la qualification d'aide d'État du dispositif de la REP textile, il émet de très nombreuses réserves en proposant à la Cour de renvoyer au Conseil d'État le soin de trancher7 :
-    le caractère obligatoire des contributions des metteurs sur le marché à l'éco-organisme
-    si les fonds avals restent sous contrôle public et à la disposition des autorités compétentes ;
-    s'il existe un lien suffisamment direct entre l'avantage en cause et une diminution du budget étatique ;
-    si l'adhésion à l'éco-organisme est discriminatoire.

Tout au long de ses conclusions, il prend le soin d'exposer chacun des éléments permettant ou pas de conclure à une aide d'État, et anticipe les principaux reproches que l'on pourrait lui faire (considérant 74). Il le fait à la lumière d'éléments factuels propres à la responsabilité élargie du producteur en matière de TLC, et demande à la juridiction de renvoi de conclure à de nombreuses questions juridiques au regard de ces éléments.

Ainsi, il paraît faire en sorte d'orienter la CJUE et le Conseil d'État vers un arrêt d'espèce (spécifique à la REP textile) et non de principe (applicable à l'ensemble des dispositifs de REP). Cela pourrait avoir pour conséquence de devoir apprécier les différents mécanismes de REP au cas par cas, compte tenu de la diversité des modalités des dispositifs.

S'agissant de la question posée, la CJUE devra se positionner dans quelques mois, en suivant ou non la prudence de son avocat général. À la suite de son arrêt, la reprise de l'instance devant le Conseil d'État permettra aux parties de développer leurs arguments et au juge national de se prononcer définitivement sur la base de l'arrêt de la CJUE et de son analyse factuelle sur pièces.

Avis d'expert proposé par Carl Enckell avec la collaboration de Lisa Viry de Enckell Avocats

1 Accéder à l'affaire
http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=226870&pageIndex=0&doclang=fr&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=5273408

2 Accéder aux conclusions
https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2018-05-30/406667

3 Accéder à l'arrêt
https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?idTexte=CETATEXT000038759031

4 Accéder aux informations
http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=226870&pageIndex=0&doclang=fr&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=5273408

5 Accéder aux conclusions
https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CRP/conclusion/2019-07-12/416103

6 Accéder aux informations
https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CRP/conclusion/2019-07-12/416103

7 Accéder aux données
http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=226870&pageIndex=0&doclang=fr&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=5273408

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